Publié le 14/02/2008

BERLINALE 2008: huitième jour

Feuerherz de Luigi Falorni
Awet est élevée dans un orphelinat catholique de campagne en Eritrea. Un jour sa sœur vient la chercher pour lui apprendre qu’elle rentre à la maison où son père, sa nouvelle femme et leurs enfants l’attendent. Les retrouvailles ne seront pas chaleureuses et la pauvreté et le dur travail quotidien contrastent avec la vie qu’elle a connue jusqu’ici. Quelques temps après ce même père emmène Awet et sa sœur dans la montagne afin de les laisser à l’unité de combat « Les Sœurs d’Elitrea » qui forme les enfants à la guerre au nom du front de libération du pays.
Feuerherz est inspiré librement du roman autobiographique éponyme de la chanteuse Senait G. Mehari et est basé sur d’intenses recherches sur le terrain. Le film est entouré d’une énorme polémique en ce qui concerne la véracité des faits révélés. D’un côté le réalisateur prétend s’appuyer sur des témoins et des rapports scientifiques et de l’autre des dizaines de témoins crient au mensonge. Il n’y aurait jamais eu d’enfants soldats impliqués dans la guerre d’indépendance qui a fait rage pendant trente ans, de 1961 à 1991. Les difficultés rencontrées pour monter le film sont elles bien réelles et cinq jours avant le début du tournage le réalisateur n’avait plus personne pour tenir les rôles principaux, les acteurs et actrices ayant décidé de renoncer au film à cause de menaces proférées à leur encontre et celle de leur famille. A l’arrivée cette énorme pression semble avoir joué sur le filml qui ne se décide pas à prendre parti. Il est clair que le réalisateur est extrêmement prudent et joue sur les deux tableaux pour dépeindre ses personnages. Au début les enfants reçoivent des fusils en bois qui sont bien vite remplacés par de vraies armes et parmi les soldats du front de libération les avis sont aussi partagés sur le devenir de ces enfants. De plus, le film se perd entre le documentaire-fiction et le conte au lieu de traiter son sujet de manière radicale et se conclut sur une scène peu crédible. Reste la fougueuse interprétation de Letikidan Micael (Awet) qui du haut de ses dix ans porte le film sur ses frêles épaules.


Restless de Amos Kollek
Moshe est Israélien et vit à New York depuis une vingtaine d’années. Il vend des articles de seconde main dans les rues de la grande pomme et arrive difficilement à joindre les deux bouts. Son seul soleil est la poésie que lui inspire jour après jour ce pays qui est le sien et qu’il clame sur la scène d’un petit bar au plus grand plaisir de la clientèle à grande majorité israélienne. Un soir il apprend par répondeur interposé la mort d’une femme qu’il a laissée au pays, la mère de son fils Tzach. Celui-ci est devenu tireur d’élite et est forcé de quitter l’armée après un incident. Il retrouve dans les papiers de sa défunte mère la trace de ce père exilé et décide de le retrouver.
Amos Kollek a tourné pendant des années des rôles de femmes fortes et se retrouve aujourd’hui avec un casting principalement masculin. Le réalisateur habitait New York et a décidé de rentrer au pays en Israël afin que ses filles connaissent leurs origines. Ce film peut donc se voir comme la transition entre ces deux mondes, ces deux vies qui sont les siennes. Il parle de la relation entre ce père et son fils qui sont issus de deux générations qui sont extrêmement différentes. Moshe sait ce qu’il veut mais ne parvient pas à atteindre ses buts alors que Tzach se retrouve seul au monde, renvoyé de l’armée et perdu dans cette vie dont il ne sait que faire. Ils ont toutefois un point géographique paradoxalement commun car que ce soit Israël ou New York la vie est extrême, rapide, les sirènes hurlent jour et nuit, la nervosité est dans l’air. Des endroits où il est difficile de se reposer, ce qui se reflète sur tout le film, qui est ainsi dans le mouvement. Les acteurs, la caméra, il n’y a pas de pause car sur l’écran les deux personnages sont dans cette mouvance perpétuelle à la recherche d’une place qui serait la leur. La recherche d’identité se retrouve aussi dans les deux langues utilisées dans le film, l’hébreu et l’anglais. Si au début du film le personnage de Moshe est trop entier pour être sympathique, le spectateur va petit à petit pouvoir glisser un œil sous la carapace qu’il jette à la figure de ses semblables et comprendre qu’il porte un lourd fardeau qu’il a désespérément besoin de poser.


Il y a longtemps que je t’aime… de Philippe Claudel
Léa vient chercher sa sœur Juliette à l’aéroport. Les deux femmes ne se sont pas vues depuis quinze ans. Quinze ans que Juliette a passé derrière les barreaux sans aucun contact avec sa famille. Léa va prendre sa sœur aînée chez elle dans la maison qu’elle partage avec son beau-père, son mari et leurs deux filles, et essayer de la retrouver.
« A la claire fontaine m’en allant promener, j’ai trouvé l’eau si claire que je m’y suis baignée… ». Léa a été forcée d’oublier beaucoup de choses mais pas la chanson qu’elle jouait au piano avec sa sœur Juliette quand elles étaient enfants. Au temps du bonheur, avant que Juliette ne fasse ce qu’elle a fait et ne soit bannie de la famille. La joie des retrouvailles est bien réelle pour Léa mais sous le signe de la tension. Est-il possible de remonter le temps et de repartir de zéro ? Est-ce que Juliette va le vouloir ? Peut-elle reprendre une vie normale après quinze ans de solitude en prison ? Autant de questions, et d’autres, auxquelles Philippe Claudel, prix Goncourt pour Les Petites Mécaniques, essaye de répondre pour son premier passage derrière la caméra. Il réussit un film d’une grande intensité, depuis le premier plan, sur le visage brisé de Juliette, qui ne cesse de monter dans l’attente de l’inévitable explication entre les deux sœurs, celle-ci venant sous la forme d’une explosion à la fin du film. Le rôle de Léa a été écrit pour Elsa Zylberstein et elle incarne cette jeune sœur qui a grandi avec le souvenir de son aînée en elle tout en devant supporter son absence. Une femme qui s’est mal construite et qui aujourd’hui fait comme si. Le spectateur la sent sur le fil tout au long du film, au bord des larmes, elle repart quinze ans en arrière et redevient une enfant admirative. Kristin Scott Thomas crève l’écran dans le bouleversant rôle de Juliette. Elle donne vie à cette femme qui s’est volontairement exilée dans la plus grande des souffrances et qui bien que sortie physiquement de prison, doit maintenant échapper à celle dans laquelle elle s’est psychologiquement enfermée. Il est à la fois merveilleux et terrible de suivre les échanges entre ces deux sœurs tant les rôles sont bien écrits et interprétés mais suscite également une vive émotion qui prend le spectateur à la gorge pour ne plus le lâcher. En toute subjectivité: le plus beau film de cette compétition.


Le dernier film de la compétition, Ballast de Lance Hammer, sera montré demain alors que Katyn de Andrzej Wajda et Deux Soeurs pour un roi de Justin Chadwick (qui sera présenté demain et non hier comme précédemment indiqué) sont hors compétition.

par Carine Filloux

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