Festival de Cannes 2013: le bilan !

Festival de Cannes 2013: le bilan !

Le 66e Festival de Cannes s’est achevé ce dimanche ! Quel bilan tirer de cette nouvelle édition ? Quels temps forts, quelles tendances à travers les différentes sections ? Et quid du palmarès du jury présidé par Steven Spielberg ? Coup de rétro complet sur ce très bon cru cannois.

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TENDANCES

La compétition 2013 s’annonçait ouverte, sa Palme d’or est finalement assez incontestable. La Vie d’Adèle a été le coup de tonnerre d’une sélection par ailleurs de très bon niveau. Adèle est aussi l’exemple parfait d’un des motifs récurrents de cette 66e édition du festival de Cannes. Quel est le point commun entre La Vie d’Adèle, Ma vie avec Liberace et L’Inconnu du lac ? Ils traitent tous de personnages homosexuels. Mais le point commun le plus intéressant est tout autre : l’homosexualité n’est pas le principal sujet de ces films. Hypocrisie ? Non, mais une façon d’avoir un discours politique sans distribuer de tract et en prenant de l’avance. Lorsque Kechiche tranche dans la (très belle) bande dessinée de Julie Maroh, il laisse de côté certaines questions propres à l’homosexualité en tant que thème. Ma vie avec Liberace ne filme pas strictement des homosexuels mais une histoire d’amour comme une autre, et l’issue de celle-ci, contrairement à un Brokeback Mountain, n’est pas conditionnée par l’homosexualité des personnages. Dans L’Inconnu du lac, l’histoire se déroule sur un lieu de drague masculin, mais le fait que les personnages soient gays n’est jamais le sujet, la question. Voilà la grande avancée politique de ces films : l’homosexualité n’y est plus un thème ou un sujet d’étude sociologique façon Philadelphia, elle y est traitée comme l’hétérosexualité, elle est là et il n’est pas question de la discuter. Mieux, Kechiche et Guiraudie traitent de la sexualité avec franchise : nudité frontale et décomplexée dans L’Inconnu du lac, longues scènes de sexe passionnées dans La Vie d’Adèle (Soderbergh, qui a conçu son film pour la télé, est évidemment plus limité mais n’élude pas le sexe dans son film). Cette tendance se retrouve dans d’autres longs métrages des sections parallèles : l’homosexualité larvée d’un des personnages de Magic Magic est évoquée subtilement là où tant d’autres films l’auraient appuyée, la possible homosexualité de l’héroïne éponyme de Sarah préfère la course est traitée comme un détail, la présence d’une transsexuelle dans Norte, la fin de l’histoire n’est jamais questionnée ou expliquée. Pas besoin. Ce traitement des figures queer est inédit, et s’effectue dans des films de haut standing, parfois des films avec des stars et pas des productions indé invisibles. L’avancée n’en est que plus remarquable.

L’un des autres points marquants et communs d’une partie des films diffusés est l’expression concrète, physique, d’une violence sociale. Il y avait déjà une violence dans le cinéma de Jia Zhang-Ke, mais dans A Touch of Sin, l’aspect contemplatif laisse place à une violence armes à la main. On n’est plus du tout dans une métaphore de la violence, celle-ci éclate à l’écran. Dans le Mexicain La Jaula de oro, la tentative de traversée de la frontière entre Mexique et Etats-Unis pourrait être un joli film world de plus, elle est filmée comme un survival. Heli, qui traite d’une violence insensée à laquelle les Mexicains sont confrontés quotidiennement, ne jette pas de voile pudique sur celle-ci. Escalante traite de cette violence, traite du traumatisme qu’elle crée, et il n’est pas question, n’en déplaise aux spectateurs plus sensibles, de jouer la carte de la suggestion. La représentation de la violence a posé problème à certains festivaliers. Lors du débat d’après-séance, une spectatrice a reproché à Jim Mickle ses scènes gores de We Are What We Are, lui expliquant avec un certain dédain qu’il aurait dû s’y prendre autrement. Comme s’il y avait une façon unique de représenter la violence, adaptable à tous les sujets. Comme si le problème venait du réalisateur et non des blocages du spectateur. Pour ces cinéastes, en 2013, l’état du monde est tel que la violence ne peut être déplacée hors-champ.

SANG NEUF

L’an passé, nous déplorions la relative faiblesse des premiers films, ce qui, dans un festival prenant le pouls de la création contemporaine, posait problème. 2013 a été beaucoup plus enthousiasmante à ce niveau. La Caméra d’or accordée à Anthony Chen pour Ilo Ilo (Quinzaine des Réalisateurs) est peut-être un soupçon généreuse (le film est très classique et manque un peu de personnalité), mais c’est une première œuvre réussie, attachante, sensible. Parmi les premières œuvres marquantes de cette édition, deux Allemands : Tore Tanzt de Katrin Gebbe (Un Certain Regard) et L’Etrange petit chat (ACID). La première fait déjà preuve d’une grande ambition avec un film visuellement impressionnant adapté d’un fait divers sordide qui pose plus de questions qu’il n’y répond. Le second s’inscrit déjà au sommet d’un certain minimalisme allemand : traitement au microscope pour une chronique familiale teintée d’inquiétante étrangeté. Parmi les pépites, le singulier L’Eté des poissons volants de Marcela Said, confirmant que le cinéma le plus intéressant d’Amérique du sud vient bien du Chili, l’enthousiasmant documentaire Jodorowsky’s Dune ou encore (en trichant un peu) Blue Ruin de Jeremy Saulnier (l’Américain signe en réalité son deuxième film après un premier passé plutôt inaperçu), un thriller concis et redoutablement efficace. Tous trois étaient à la Quinzaine. A Un Certain Regard, en plus de Tore Tanzt, on retiendra surtout le beau La Jaula de oro de Diego Quemada-Diez, mais aussi l’élégant Bends de Flora Lau ou encore Sarah préfère la course de Chloé Robichaud. Une belle brochette d’espoirs qui a apporté un vrai plus à cette édition 2013.

TEMPERATURE

La compétition 2013 a été de très haut niveau et plus homogène que l’an passé. A la rédaction de FilmDeCulte, il n’y a guère que l’insipide Borgman qui ait fait l’unanimité contre lui, voire Jimmy P, qui n’a pas suscité d’enthousiasme. Même des films haïs comme La Grande Bellezza ont aussi eu leur défenseur. Autre long métrage à avoir largement divisé la rédaction : Le Passé. Mécanique brillante pour les uns, film qui expose rapidement les limites d’un cinéma artificiel pour les autres. La vraie surprise a peut-être été l’accueil globalement tiède réservé au nouveau James Gray, The Immigrant, de loin son film le plus faible.

Jia Zhang-Ke surprenant, Hirokazu Kore-Eda presque à son meilleur avec Tel père, tel fils, le puissant Heli ou bien sûr la Palme La Vie d’Adèle ont eu nos faveurs. Ce fut également le cas, et à l’unanimité, de certains absents du palmarès. Only God Forgives, dont on pouvait prévoir l’accueil houleux à des kilomètres, a confirmé la talent et la liberté de Nicolas Winding Refn qui signe un fascinant film-trip d’une beauté irréelle. Radical au risque de diviser, laissant notamment de côté ceux qui l’ont découvert avec Drive, Only God Forgives a défrisé les festivaliers qui ne supportent pas les réalisateurs trop brillants (une habitude cannoise, où certains souhaitent avant tout que les cinéastes soient humbles et qu’ils baissent la tête), ou ceux qui ne peuvent pas voir de film sans le relier à une question sociale (en écho à une réplique fort à propos de La Vénus à la fourrure de Polanski). Polanski, parlons-en : le cinéaste n’a plus rien à prouver mais La Vénus…, à partir d’éléments ultra-minimalistes (une scène de théâtre, deux acteurs), démontre une nouvelle fois qu’il est un maître. Only Lovers Left Alive de Jim Jarmusch enfin, splendide façon de conclure la compétition avec ses nocturnes poétiques et son envoûtant dandysme. Malgré ces oublis, les choix du jury sont, globalement, très satisfaisants. Belle Palme d’or, beau prix de la mise en scène à un nouveau cinéaste, de vrais prix d’interprétation dans une catégorie habituée aux énormités. On aurait presque été vexés que l'Axe du Bien formé par des artistes qu’on estime autant que Spielberg, Kawase, Kidman ou encore Lee ait fait de mauvais choix. Ce n’est pas le cas.

Si la compétition a été brillante, deux grosses ombres néanmoins avec l’absence de deux des meilleurs films du festival : Le Congrès de l’Israélien Ari Folman ou Real du Japonais Kiyoshi Kurosawa. La modernité de ces deux films, leur singularité, leur porte ouverte sur l’imaginaire rendent encore plus regrettable leur inexplicable absence en compétition. On se pince encore pour croire que Real, film bouleversant de beauté, ait fait sa première dans une salle de 63 sièges au Marché du Film, entre les affiches de longs métrages à chiens et les fresques avec Billy Zane. Que s’est-il passé ? Le Congrès, lui, a fait l’ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs. Ce n’était pas la seule bonne surprise réservée par une sélection enthousiasmante.

L’éclectisme promis par Edouard Waintrop était bel et bien au rendez-vous. On vous a parlé, plus haut, des nombreux bons ou très bons films qui ont été présentés à la Quinzaine. Surtout, la diversité de 2012 était encore d’actualité cette année, ainsi qu’un réjouissant esprit de découverte. Après une belle édition l’an passé, la Quinzaine fait mieux que confirmer. Si l’on attend évidemment de pied ferme la 67e sélection officielle, on attendra aussi les prochaines surprises de la Quinzaine des Réalisateurs…

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par Nicolas Bardot

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