Entretien avec Edouard Waintrop

Entretien avec Edouard Waintrop

Arrivé à la tête de la Quinzaine des Réalisateurs en 2012, Edouard Waintrop s'est distingué par des choix éclectiques et des paris audacieux. Il nous dit tout de la sélection 2013, et même un peu plus. Pour avoir un large aperçu des temps forts de la prochaine Quinzaine des réalisateurs, ça se passe ci-dessous !

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FilmDeCulte : Quelles sont selon vous les les qualités d’une bonne sélection d’un festival de cinéma ?

Edouard Waintrop : Un : la diversité, deux : la surprise. Ce sont des films qu’on a vus et qu’on a appréciés, et il faut que chaque film ne nous laisse rien présager de celui qui va suivre. Sinon qu’il sera bon ! C’est ça un bon festival, de bons films et des films qui soient suffisamment différents pour, à chaque fois, rajeunir le regard de celui qui les voit. Avant d’être directeur de festival, j’étais un usager à haute dose, je faisais en général San Sebastian, Cannes, Udine etc. Et ce que j’aime bien, c’est me dire chaque jour : « ah, qu’est-ce qui va me surprendre aujourd’hui ? ».

FDC : Après l'édition 2012, vous avez déclaré dans une interview: 'il faut que l’année prochaine, on aille plus loin'. En quoi avez-vous le sentiment d'être allé plus loin cette année ?

EW : Eh bien 2012, 2013, on est déjà un an plus loin ! On est allé plus loin oui. On est allé dans les mêmes directions mais quasiment un pas plus loin à chaque fois. L’année dernière on avait un ou deux films policiers, certains flirtaient seulement avec le genre. Là on a des films comme Blue Ruin qui est l’essence même du polar, le film philippin On the Job ou le film d’Anurag Kashyap. On a été plus loin dans le film de genre. On a deux films d’horreur cette fois-ci, dont un qui mêle science-fiction et horreur. Dans la comédie, cette année, on est allé vers de jeunes cinéastes qui s’essaient à ce registre. Aussi bien Guillaume Gallienne ou Antonin Peretjatko, il s’agit de leur premier film. L’année dernière on savait que si le Noémie Lvovsky était réussi, il plairait. Pareil sur le Bruno Podalydès, on n’a même pas réfléchi, on a vu qu’il était réussi. Podalydès, c’est presque une marque. Là c’est une nouvelle génération. L’année dernière j’ai trouvé un film comique anglais qui m’a beaucoup plu. Cette année on tombe sur la veine sociale des premiers Ken Loach avec une jeune cinéaste. Et puis Jodorowsky en lui-même, c’est aller plus loin ! (rires) Surtout qu’il y a deux films, l’un de Jodorowsky et l’autre autour de lui. Marcel Ophuls c’est aller plus loin. Et Ari Folman, dès le début, c’est aller très loin. C’est un film assez monstrueux dans le mélange de science-fiction avec des acteurs et la science-fiction en dessin animé. On a été plus audacieux. Dans les nouveaux talents, on était très contents des premiers films qu’on a montrés, et cette année il y a des gens qui tentent des choses. Il y avait de très bons metteurs en scène l’année dernière. Là, en plus, il y a des metteurs en scène qui montrent un regard sur la société tout à fait passionnant. C’est le cas de Thierry de Peretti avec Les Apaches. C’est un film qui n’a pas l’air d’y toucher et qui parle de la Corse en des termes extrêmement crus. Je pense effectivement qu’on a été plus loin. Et on est plus fatigué. (rires)

FDC : L'un des éléments frappants de la sélection 2012, c'était son hyper-éclectisme. Il y avait du cinéma d'animation coréen, un documentaire sur le cinéma, Les Liaisons dangereuses en Chine, des comédies... J'imagine que lorsque vous faites votre sélection, vous choisissez les meilleurs films, ceux que vous préférez, mais gardez-vous en tête ce souci de l'éclectisme ? Ou est-ce que les choses se font spontanément ?

EW : On l’a en tête et ça se fait spontanément. Comme spectateur, j’aime autant les films de kung-fu que je regardais à la fin des années 70 que Le Mépris de Godard, qu’un film d’Anthony Mann que des films de Johnnie To ou des comédies. La comédie, c’est un genre extrêmement noble parce que quand c’est de la bonne comédie, c’est souvent très travaillé, c’est des effets très cinématographiques, des effets de montage et de mise en scène. C’est du vrai cinéma. Je ne peux pas dire que j’aime un genre plus qu’un autre. C’est vrai que j’aime beaucoup le polar et la comédie mais j’aime le western, la comédie musicale, les films de James Gray, les documentaires… Il n’y a pas de limite ! Donc il y a mon éclectisme naturel. Mais un festival, c’est surprendre tous les jours, donc c’est l’idée de chercher partout où ça se passe. Et même si on a cette volonté, ça dépend aussi de l’offre. Cette année on a eu une offre avec beaucoup plus de diversité que l’année dernière. Notamment dans le domaine de l’horreur, on a eu des propositions qu’on n’a pas eues l’an passé : un cinéaste qui fait son troisième film, Jim Mickle, et un qui fait son premier, Ruairi Robinson. Voilà des cinéastes qui m’ont passionné à des degrés divers et j’avais envie de montrer leur travail. On a eu beaucoup plus de documentaires montrés cette année. L’autobiographie d’un cinéaste, un film sur un projet mythique comme Dune, c’est rare. On a eu des opportunités aussi. Parce que le festival est bon quand les films sont bons, et quand on a réussi à les sélectionner (rires). Mais la sélection vient en deuxième, il faut encore avoir cette proposition. Contrairement à ce que j’ai entendu, ce n’est pas une mauvaise année !

FDC : Vous avez été à la tête du Festival de Fribourg. Quelle différence faites-vous entre votre travail à Fribourg et à la Quinzaine des réalisateurs ? Y a-t-il des enjeux, des pressions différentes ou pas du tout ?

EW : Ça n’a rien à voir. La pression n’est pas du tout la même. Les gens nous courtisent, acceptent très mal qu’on ne les prenne pas. Ça c’est pour parler à la fois des facilités et des difficultés. Et nous-mêmes on se prend au jeu. Il y a des moments, heureusement courts, où on craque et où la Quinzaine devient le centre du monde. Heureusement, il y a d’autres choses dans la vie. Alors qu’à Fribourg j’avais toujours cette distance. C’était plus difficile d’avoir les films qu’on voulait. J’avais conscience de la relativité du travail. J’ai jamais senti le danger du burn-out. Ici, il y a des moments plus compliqués, le nombre de films à voir est colossal, et parfois on désire tellement un film que quand il nous échappe, ça nous fait descendre le moral d’une dizaine de degrés.

FDC : La Quinzaine 2012 a été très bien accueillie. Est-ce que cela constitue une pression supplémentaire pour cette année ou au contraire une libération ?

EW : Les deux. D’un côté les professionnels font plus d’offres. Ca on s’en est aperçu. Il y a des tonnes de professionnels qui pensaient que la Quinzaine n’était plus dans le jeu et qui se sont remis à nous parler, à nous faire des propositions. Dont certains qui s’étaient vraiment fâchés avec la Quinzaine. Ca c’est le côté positif. Le côté négatif c’est qu’évidemment, même si je m’y suis refusé tant que j’ai pu, j’ai mis la barre plus haut. Et il y a des moments où ce n’est pas la peine, il faut laisser aller. Mais il y a une pression supplémentaire.

FDC : Avez-vous des regrets au sujet de certains films qui n'auraient pas eu l'écho que vous auriez souhaité ?

EW : Bien sûr. J’ai beaucoup aimé Alyah, c’est un film très intime, très personnel qui n’a pas eu de mauvaises critiques mais qui n’a pas eu un écho à la hauteur de ce que le film méritait. Je ne sais pas quelle est la carrière du Repenti mais ça m’a l’air un peu difficile. C’est un film que j’aime beaucoup. Ce sont deux films au sujet desquels je regrette qu’ils n’aient pas trouvé le public qu’ils méritaient. Mais à côté de ça il y en a d’autres qui ont très bien marché comme No, Camille redouble, Adieu Berthe, même Rengaine qui, par rapport à ce projet de production, a quand même bien marché auprès du public. Il a bien ouvert la porte à son réalisateur, Rachid Djaïdani, dans le domaine du cinéma.

FDC : Vous avez vu énormément de films pour constituer votre sélection. Avez-vous pu observer les qualités particulières d'une production, d'un pays en particulier ?

EW : L’année dernière on avait un film américain, certes mémorable (Room 237), mais il était seul. Là on a trois ou quatre films américains dont un en première mondiale, qui est Blue Ruin, et qui montre que les indépendants savent encore faire du polar comme autrefois les artisans des années 50 comme Don Siegel. Ca, c’est un des bonheurs de la sélection de cette année. Je suis très content aussi qu’il y ait deux films britanniques et non pas un. Que l’Inde soit à nouveau présente avec celui qui pour moi est le cinéaste indien le plus prometteur et de loin, Anurag Kashyap. L’année dernière nous avions Gangs of Wasseypur, et cette année Kashyap revient avec un film plus codé, plus dans le genre Mumbai noir, et il est absolument étonnant. Sinon ça faisait longtemps que je cherchais des polars philippins, la veine de Lino Brocka semblait épuisée. Et là quelqu’un qui a fait des travaux d’artisan pendant une dizaine d’années sort un film d’une force manifeste, On the Job. L’Amérique latine est moins présente, mais elle l’est quand même avec Jodorowsky qui est retourné au Chili. C’est le Chili qui est très présent avec un Mexicano-Franco-Chilien, Jodorowsky, un Americano-Chilien, Sebastian Silva, et une Chilienne, Marcela Said. Ca ne veut pas dire pour autant que cette année, en Amérique latine, il n’y a du cinéma qu’au Chili. La preuve, le meilleur film sud-américain cette année est peut-être Heli d’Amat Escalante, qui est en compétition. C’est un film mexicain qu’on a vu et on a été soufflé.

FDC : Qu'est-ce qui s'est passé au sujet de pays absents cette année de la Quinzaine, comme la Corée, l'Allemagne ou l'Italie ?

EW : On a vu un film coréen intéressant qui n’était pas loin de la sélection. On n’a pas vu le Im Sang-Soo, on ne sait pas où il est passé, on ne sait pas s’il est fini. Il y a deux films italiens en officielle, il y a un bon film italien à la Semaine de la Critique. Sur ce dernier on avait quelques vues, mais on était moins enthousiaste que Charles Tesson (sélectionneur de la Semaine de la Critique, ndlr) donc c’est normal, il l’a eu. C’est en tout cas un film où on voit des cinéastes s’affirmer. J’ai des réserves sur le film parce qu’il ne tient pas toutes ses promesses mais dans ses 35 premières minutes, il est admirable. Ce sont des cinéastes à suivre. A part ça, les autres ne nous ont pas plus, ou n’étaient pas finis. Par exemple il y a un documentaire de Gianfranco Rosi qui à mon avis sera un très bon film mais il lui fallait un mois de montage. Pour l’Allemagne, il y a un film à Un Certain Regard, Tore Tanzt de Katrin Gebbe. Je ne comprends pas exactement le propos mais c’est un film assez fort et très bien foutu.

FDC : L'an passé on a beaucoup parlé de la présence de comédies, et du fait que les comédies étaient sous-représentées à Cannes. Cette année vous avez deux films d'horreur dans votre sélection, et j'ai le sentiment que l'horreur est un genre encore plus sous-représenté à Cannes que la comédie. Même dans des festivals où d'excellents films d'horreur ont été présentés ces dernières années, comme à Sundance, ceux-ci sont confinés dans des sections spéciales, des séances de minuit. Comme si on avait encore du mal à concilier horreur et auteur. Quel est votre point de vue à ce sujet ?

EW : Nous, sur le film de genre horreur ou science-fiction, on a deux films plus un film sur le plus grand film de science-fiction qui a failli exister, c'est-à-dire Dune. C’est un film qui aurait dû faire 10 heures, avec Mick Jagger, Orson Welles, Salvador Dali, Amanda Lear, David Carradine, musique de Magma et Pink Floyd, dessins de Moebius… ça c’est le troisième film de SF qu’on a. On a deux films d’horreur, on essaiera de faire mieux la prochaine fois. Je pense que les auteurs s’expriment dans tous les genres et toutes les formes de films. Je n’ai aucun a priori par rapport à ça. Je pense que Ruairi Robinson était quelqu’un que les amateurs suivaient dans ses courts métrages, et son premier essai en long métrage prouve qu’il est prêt pour avoir de grosses productions. Parce qu’il a vraiment maîtrisé le rythme, les acteurs, notamment Olivia Williams que j’aime beaucoup et qui joue une cosmonaute assez revêche. Jim Mickle est quelqu’un qui a déjà un passé, et une évolution surtout qui est très intéressante. Entre son film précédent, Stake Land, et celui-ci, il y a un vrai écart, une étape qui a été franchie.

FDC : L'an passé vous aviez indiqué qu'il y avait un film que vous aimiez particulièrement, que vous aviez en quelque sorte "imposé" dans votre sélection, et qui était Touristes. Est-ce qu'il y a eu cette année des films difficile à imposer ?

EW : J’ai dit ça ? Je n’aurais pas dû le dire. On est un comité, c’est moi qui suis responsable en dernier lieu, on n’impose rien aux autres. Le comité fonctionne très bien, il y a des gens qui préfèrent tel ou tel film et à la fin j’avalise, donc j’assume ça. Il y a peut-être un ou deux films que j’ai choisis seul mais ce sont des films où il fallait réagir très vite. The Selfish Giant, j’étais le seul à l’avoir vu et j’ai tout de suite voulu l’avoir. Ils ont mis quinze jours à se décider parce que je pense qu’ils ont eu des propositions venant de plus haut que la Quinzaine. Mais moi j’ai été très très pressant, je n’arrêtais pas d’appeler. Donc là ce n’est pas tellement une question d’imposer un film, car je suis là aussi pour ça : pour prendre des décisions rapidement.

FDC : Alejandro Jodorowsky aura une place particulière cette année, entre son nouveau film et le documentaire sur sa version de Dune. En quoi La Danza de la realidad s'imbrique t-il dans sa filmographie si particulière ?

EW : Je ne sais pas si ça s’imbrique dans sa filmographie mais ça s’imbrique dans sa vie. Ce sont des souvenirs à la Jodorowsky, ce ne sont pas des souvenirs réalistes. Il y a quelque chose de mythique et légendaire mais ce sont des souvenirs d’enfance. C’est son père, sa mère, sa vie à Tocopilla, ses rencontres mais vus par Jodorowsky donc c’est tout sauf plat et naturaliste. Les gens qui aiment son œuvre y verront ses racines. Il s’est intéressé au mystique, à la magie, et tout commence là. Le film est en réaction à un père qui était intransigeant, qui avait un portrait de Staline accroché dans sa boutique… J’ai trouvé ça très éclairant. Je ne sais pas s’il en est conscient mais dans le film, il a une mère magnifique mais il s’intéresse avant tout à son père. Ca, et le documentaire sur Dune, ce sont des clefs importantes sur le personnage et sur son œuvre.

FDC : Il y a un pays parfois mal connu ou mal compris que l'on retrouve à nouveau dans votre sélection: l'Inde. Certains festivals semblent parfois coincés entre les deux extrêmes de ce cinéma : les grands spectacles musicaux d’un côté, et une production art-et-essai encore trop rarement exportée. Quel est votre rapport au cinéma indien ? Y a-t-il une difficulté particulière en tant que programmateur à trouver des films et à convaincre les réalisateurs et producteurs de les présenter ?

EW : J’ai toujours été fan du cinéma indien. Mother India de Mehboob Khan est un de mes films préférés. Mais j’ai toujours été plutôt tendance Mumbai.Il se trouve qu’il y a une dizaine d’année j’ai découvert ce qu’on appelle le Mumbai noir. Ram Gopal Varma avant tout, un cinéaste de Bombay mais qui venait du sud. Grâce à un spécialiste américain du genre, Galen Rosenthal, j’ai commencé à voir d’autres réalisateurs apparus dans cette mouvance. Ainsi j’ai découvert Anurag Kashyap, il y a 7-8 ans et quand j’étais à Fribourg j’ai montré par exemple Black Friday. Pour moi c’était la clef. Il faut des clefs quand on produit mille films par an, et j’avais plusieurs clefs. J’avais la clef Ashutosh Gowariker, c'est-à-dire reprendre les codes de Bollywood et les travailler de l’intérieur comme avec Jodhaa Akbar. Et la clef Mumbai noir. C’est vrai que j’aime beaucoup le film de genre. Company de Ram Gopal Varma est un de mes films préférés, mais comme c’est un cinéaste plutôt déclinant, j’avais envie de voir la nouvelle génération.

L’an passé, Anurag a offert Gangs of Wasseypur. J’ai vu le film alors qu’il n’était pas mixé, pas encore fini d’être monté. Quand il est passé par Paris, je lui ai fait une déclaration d’amour. Il y avait encore deux mois de travail sur le film mais tel qu’il était, je le prenais. A l’époque les fusils faisaient encore «pssschhht » et les révolvers « fiouup » mais c’était quand même visible qu’il y avait un talent et une ampleur pas possibles. Le film a bien marché chez nous alors qu’il durait 5h40. Cette année, j’attendais d’autres choses. On a vu plein de films indiens mais en définitive c’est Anurag qui a le plus plu. On a vu une vingtaine de films possibles, certains n’étaient pas mal du tout. Mais je pense qu’Anurag a une force que les autres films indiens à Cannes n’ont pas. Pour moi il n’y a pas photo. C’est dans cette veine-là que se situe l’un des avenirs du cinéma indien. Je dis l’un des avenirs parce qu’il y a une constellation de mille étoiles, et on peut difficilement la maîtriser. D’ailleurs dans les trois films indiens montrés à Cannes, il y a un autre film qui flirte avec le genre, qui sera à Un Certain Regard. Mais il ne le fait pas frontalement, il joue aussi avec une certaine modernité démonstrative qui ne me plait pas tellement. Alors que celui-là dit quelque chose sur Bombay, sur les classes moyennes, sur l’absence de moralité. Et c’est vertigineux.

FDC : Il y a beaucoup de polars dans votre sélection. Il y a en particulier Blue Ruin, que vous avez présenté comme un film dans l'esprit des séries B des années 50. Sans trop nous en dévoiler, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce long métrage ?

EW : Pour ne pas trop en dire mais en dire suffisamment, au bout d’une demi heure, il s’était passé tellement de choses que quelqu’un du comité m’a dit : « mais comment il va continuer pendant une heure ? ». Et pourtant il continue et ça ne baisse jamais d’un cran. Ça fait très longtemps que je n’ai pas vu un film avec une telle vigueur. En plus c’est un indépendant, c’est impressionnant. La qualité de rythme, de direction des acteurs, d’écriture. C’est assez rare.

FDC : Il y a deux réalisatrices venues du documentaire qui signent leur première fiction: Clio Barnard et Marcela Said. Pouvez-vous nous en dire plus sur leurs longs métrages respectifs ?

EW : Alors il y a un rapport très fort entre ce que ces réalisatrices ont fait dans le documentaire et dans leurs films de fiction. Clio Barnard s’intéressait dans The Arbor à Bradford, à l’environnement d’un écrivain, et là l’environnement devient la matière même : ces quartiers pauvres, les ferrailleurs, les enfants dans un monde de récupération. Il y a un rapport net entre son documentaire et sa fiction. Elle a eu des tonnes de prix pour son documentaire mais je pense qu’elle est avant tout faite pour la fiction. Marcela Said, c’est quelqu’un qui avait fait des films sur les couches dirigeantes, sur l’Opus Dei et l’héritage de Pinochet. Là, elle fait un film sur une famille de grands propriétaires fonciers dont les parents sont d’un égoïsme absolu et dont on peut imaginer que dans d’autres temps, ils auraient pu être pinochetistes aussi. Il y a un lien. Ce sont des pinochetistes modernes. Ils sont dans un égoïsme vis-à-vis de ce qui les entoure, un inintérêt par rapport aux Indiens qu’ils exploitent, l’environnement qu’ils sont en train d’épuiser… Ces deux films ne sont pas du tout des documentaires en fictions. La photo du film de Marcela Said est d’une splendeur et d’une étrangeté particulières, tandis que le film de Clio Barnard a un sens de la narration qui fait penser qu’elle devait se brider dans le documentaire. Encore que celui-ci était assez fictionnalisé. Clio Barnard, je me suis beaucoup battu pour l’avoir. Marcela Said c’était plus simple ; ce n’est pas pour ça que le film est moins bien, mais c’était plus simple. Barnard, c’était un coup de foudre et ensuite une difficulté à transformer l’essai, ce qui en fait d’autant plus un film cher.

FDC : Avant votre arrivée à la Quinzaine, vous avez été membre du jury de la Caméra d’Or en 2009. Quel souvenir gardez-vous de cette expérience ? Avez-vous une anecdote à nous raconter à ce sujet ?

EW : C’était une très bonne année, toutes sections confondues. A l’officiel, et à la Quinzaine c’était une des meilleures années aussi. A la Semaine également. J’ai un très bon souvenir. Voir 27 premiers films quand on est un ancien journaliste de cinéma, c’est un vrai plaisir. On s’est tous kiffés très vite dans le jury. Roschdy Zem était président, et il a été parfait, chaleureux. Il parlait des films comme quelqu’un qui a envie d’en faire et ça c’est quand même agréable, entendre quelqu’un de concerné par ce qu’il voit. Il y avait aussi Charles Tesson avec qui je suis maintenant collègue. C’était très agréable de discuter avec lui de films. C’était, avant que je prenne la Quinzaine, mon meilleur souvenir de Cannes.

FDC : Quelles relations entretenez-vous avec les autres sections de Cannes ?

EW : Elles sont assez bonnes. Avec l’officielle, ils n’ont pas besoin de nous et nous on essaie de ne pas avoir besoin d’eux. Ce sont des relations correctes. Si on aime un film et qu’ils le prennent en compétition, qu’est-ce qu’on peut dire à part bravo ? Quand c’est pour Un Certain Regard, on discute. Certains préfèrent aller à la Quinzaine, d’autres à Un Certain Regard. Ça dépend de stratégies qui nous dépassent un peu. On n’a pas de mauvaises relations avec l’officielle, on n’a pas vraiment de relation non plus. En ce qui concerne la Semaine de la Critique, on se voyait une fois par semaine avec Charles. Je voyais là où il avait des envies plus fortes que les miennes, et inversement. On ne s’est pas marché sur les pieds. Ça s’est fait aussi sur la capacité de convaincre les producteurs, les réalisateurs d’aller chez lui ou chez moi.

FDC : Lors de l'annonce de la sélection, vous avez indiqué qu'il était difficile ou délicat de parler de coup de cœur ou de mettre en avant un film plus qu'un autre. J'imagine que vous ne pouvez pas nous conseiller un film en particulier dans votre sélection ?

EW : Commencez par aller voir le film d’Ari Folman (Le Congrès, qui fait l'ouverture de la Quinzaine, ndlr) ! Après, tous les films sont des coups de cœur.

FDC : Est-ce que certains films retenus dans d'autres sections ont particulièrement retenu votre attention ?

EW : Oui. Je dois aller plus loin ?

FDC : Si possible !

EW : Le film de Nicolas Winding Refn. Il est très différent de Drive, et se situe plutôt dans la veine du Guerrier silencieux, avec un hommage à Jodorowsky. Only God Forgives va en déstabiliser plus d’un mais c’est un film fort et très original. J’aime beaucoup le film de François Ozon. Ca fait longtemps que j’attendais que ce type qui est visiblement doué fasse un film à la hauteur de ses qualités. Il fait un très beau film, fort, dur, et plein d’émotion. Il y a la clôture de la Semaine, 3x3D. Le passage de Godard m’a régalé. Il réalise quelques images de vraie 3D et après il passe des images 2D en 3D, je retirais mes lunettes et il fait du 2D avec de la 3D. Donc il fait le contraire des autres. Ce qui colle avec ce qu’il dit, qui est grosso-modo que le cinéma n’a pas besoin de ça. Il y a un vrai discours, court et drôle. Et je vous conseille de retirer vos lunettes pour voir comment on fait de la 3D avec du 2D. Sinon comme autre coup de cœur, je pense aussi au film d’Hany Abu-Assad qui sera à Un Certain Regard.

FDC : Quels ont été, en tant que spectateur et hors Quinzaine des réalisateurs, vos coups de cœur de ces derniers mois ?

EW : J’ai vu Gloria, un film chilien que j’ai beaucoup aimé. Celui-là je le voulais, ils ont choisi d’aller à Berlin. Et ils ont bien fait parce que ça a cassé la baraque. Donc je ne peux pas leur en vouloir mais dieu sait que je voulais avoir ce film. Je crois que c’est un des plus gros coups de cœur que j’ai eus. Sinon il y a eu Amour. Quand j’ai vu Amour, c’était très loin à l’autre bout de la France. Je suis revenu à mon hôtel, et je suis resté pendant une demi-heure KO. Et puis j’ai revu sur grand écran à la Rochelle un film que je n’avais pas revu dans de telles conditions depuis une éternité : c’est La Charge fantastique de Raoul Walsh. Voilà un grand coup de cœur.

Entretien réalisé le 29 avril 2013. Un grand merci à Jean-Charles Canu.

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par Nicolas Bardot

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