La Vie d'Adèle

La Vie d'Adèle
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Vie d'Adèle (La)
France, 2013
De Abdellatif Kechiche
Scénario : Abdellatif Kechiche, Ghalya Lacroix
Avec : Adèle Exarchopoulos, Léa Seydoux
Durée : 2h59
Sortie : 09/10/2013
Note FilmDeCulte : ******
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A 15 ans, Adèle a deux certitudes : elle est une fille, et une fille, ça sort avec des garçons. Le jour où elle aperçoit le bleu des cheveux d'Emma sur la grand'place, elle sent que sa vie va changer. Seule face à ses questions d'adolescente, elle transforme son regard sur soi et le regard des autres sur elle. Dans son amour fusionnel avec Emma, elle s'accomplit en tant que femme, en tant qu'adulte. Mais Adèle ne sait pas faire la paix, ni avec ses parents, ne avec ce monde plein de morales absurdes, ni avec elle-même.

LE COURAGE D’AIMER

A l’origine du nouveau film d’Abdellatif Kechiche, il y a la bande dessinée à succès Le Bleu est une couleur chaude de Julie Maroh, qui racontait avec un mélange de candeur, noirceur et passion une histoire d’amour de deux jeunes filles. L’attrait du réalisateur pour cette fresque amoureuse avait de quoi intriguer sur le papier, mais l’on retrouve dans La Vie d’Adèle la qualité la plus flagrante de son cinéma : une manière sans pareille de dépeindre un quotidien vif, bouillonnant, à fleur de peau. Emma et ses cheveux bleus débarquent dans la vie d’Adèle comme un ouragan, et leur histoire d’amour s’étalant sur des années nous terrasse aussi dès la première seconde. La caméra de Kechiche est collée au visage de ses comédiennes, comme pour aller chercher leur moindre soubresaut émotif « sous la peau » comme il est dit de Marivaux. Il confirme également son statut de directeur d’acteur exceptionnel. Après avoir révélé Sara Forestier, Hafsia Herzi ou Yahima Torres (même si la suite de leur carrière n’était pas à la hauteur), il fait à nouveau briller de naturel ses comédiennes. Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos crèvent l’écran, cette dernière s’avérant aussi crédible en ado paumée qu’en jeune adulte déterminée.

Déterminée. C’est peut-être bien le mot qui résume le mieux Adèle, qui commence l’histoire frêle et absente mais qui trouvera dans cette histoire d’amour d’incassables racines. Détail qui n’en n’est pas un : Kechiche modifie le dénouement de la bande dessinée d’origine. Cette décision pas arbitraire vient démontrer que le sujet du film n’est peut-être pas uniquement cet amour fou, mais comment cet amour (sa folie, son deuil, ses montagnes russes) participent à la construction et l’épanouissement de celle qui le vit. Paradoxalement, c’est en dépeignant autant cette histoire d’amour que son hors-champ (les nombreuses scènes d’Adèle à l’école) que Kechiche la rend aussi bouleversante. D’une part en montrant qu’elle influence tout sur son passage (le rapport à l’art, au travail, à la justice) mais également en y mettant à jour la dynamique de transmission. Lycéenne, Adèle dit aimer n’importe quelle matière du moment que le prof est passionnant. Adulte, elle devient elle-même professeur par goût de la transmission du savoir. Au fond, Le Vie d’Adèle est moins un film sur l’amour qu’un film sur le courage. Celui nécessaire pour vivre une telle passion, pour s’en sortir, et surtout pour vivre sa propre vocation envers toutes les influences.

Le sujet de Le Vie d’Adèle n’est en tout cas pas l’homosexualité, féminine ou non (comme s’il s’agissait d’un sujet en soi - personne ne dirait que l’hétérosexualité est un sujet de film). Ni même la politisation de ce genre de relation, l’aspect social du film se situant ailleurs. Kechiche sait que quand on filme une relation homosexuelle, on filme avant tout la relation unique entre deux personnages eux aussi uniques, et non pas l’exemple même de l’homosexualité. Celle-ci n’est ici qu’un exemple, mais Kechiche a l’intelligence de la traiter avec le plus profond respect, c’est-à-dire en la traitant comme n’importe quelle histoire d’amour, sans mettre de guillemets. Le réalisateur désamorce les critiques en se moquant au passage de la fascination des hommes hétéros pour les lesbiennes et pour le supposé mystère de la sexualité féminine (la question d’un garçon maladroit : « les filles, c’est plus doux ? » sonnerait d’ailleurs presque comme le nom d’une des comédiennes). Pas de guillemets ni de mystère quand il filme ces deux filles qui s’aiment, comme le prouve l’une des scènes de sexe les plus incroyablement fortes vues récemment au cinéma. Un rapport sexuel filmé sans complaisance mais avec un désir féroce d’authenticité, montré presque dans son intégralité. Dix minutes hallucinantes qui laissent bouche bée, donnant à voir une intimité presque violente de réalisme (au sens où l’on se sent presque de trop face à tant de désir) et qui viennent piétiner toutes les tentatives de réalisme dans un cinéma hexagonal pourtant friand de ce genre d’exercice. A l’image de cette séquence, Le Vie d’Adèle laisse stupéfait par cette alliance d’hyper réalisme et de tornade passionnelle. Ces trois heures bouleversantes passent en un battement de cœur.

par Gregory Coutaut

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