L'année cinéma 2014 de Anne Mourand-Sarrazin

L'année cinéma 2014 de Anne Mourand-Sarrazin

L'année 2014 aura vu d'un côté l'annonce-choc de la suspension de la production de longs métrages au sein du Studio Ghibli, et de l'autre, sur les écrans français, la sortie des derniers films des deux fondateurs du studio, Hayao Miyazaki et Isao Takahata. Si Le Vent se lève, a priori dernier opus de son réalisateur, est un film déconcertant mais par moments réellement sublime, Le Conte de la princesse Kaguya aura, malgré quelques longueurs, marqué l'animation japonaise de ces dernières années, notamment grâce à un graphisme superbement libre et à une fin déchirante.

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Du côté de nos amis les super-héros, les suites attendues de Captain America et du reboot de X-Men ont peiné à trouver un souffle narratif suffisant pour nous emporter de nouveau ; la surprise est cette fois venue d'ailleurs, de la petite bande irrévérencieuse (et très "équipe alternative" dans l'esprit) des Gardiens de la Galaxie. Puisant allègrement dans le ton ludique des space-operas façon Star Wars IV, V, et VI, le réalisateur James Gunn a su rendre ses 5 héros immédiatement sympathiques, en brandissant la comédie comme objectif et non comme faire-valoir, et en jouant d'une bande-son intradiégétique... et à fort potentiel marketing à destination des générations 80's. 2014 aura été aussi sans conteste l'année de Scarlett Johansson ; très haut au box-office avec Lucy de Luc Besson, elle était surtout à l'affiche de deux des projets les plus originaux de l'année. D'une part le doux-amer Her, où elle prête sa voix à un système d'exploitation qui, en prenant "corps", va aller à la découverte du monde ; d'autre part dans l'envoûtant et dérangeant Under the Skin où elle incarne une créature dont toute l'évolution est, là aussi, conditionnée à son rapport à son corps, ici réellement au sens d'enveloppe charnelle. Les vampires de Jim Jarmush et leur spleen ont été aussi un moment marquant de l'année avec Only Lovers Left Alive ; tandis que Wes Anderson s'est amusé comme un fou avec ses histoires de boîtes dans des boîtes dans sa maquette vivante du Grand Budapest Hotel.

Le cinéma français a lui aussi livré quelques perles : hormis l'imparfait mais précieux Bande de filles de Céline Sciamma et le très beau Eastern Boys de Robin Campillo, Olivier Assayas a quant à lui signé son film le plus touchant à ce jour peut-être, Sils Maria, qui ne se contente pas d'être un "film d'actrices sur les actrices" et dont la mise en scène restera l'une des plus élégantes de l'année. Mais c'est François Ozon, qu'on suivait d'un peu plus loin ces derniers temps, qui nous offre une belle surprise, avec cette Nouvelle amie portée par le talent remarquable et la sensibilité époustouflante d'Anaïs Demoustier, secondée par un Romain Duris épatant dans un rôle difficile. Enfin, si Christopher Nolan est toujours un peu lesté par son désir absolu de contrôle, son Interstellar reste, malgré ses quelques défauts, la démarche cinématographique la plus ambitieuse et la plus enthousiasmante de l'année. Pour une fois le réalisateur a accepté de placer l'émotion au cœur de son film, sans la rejeter sur le côté de la route ; film-somme qui cherche rien de moins qu'à raconter l'humanité, c'est en tout cas clairement le long métrage de 2014 qui nous aura emmenés le plus loin, ne serait-ce que pour ce simple raccord de Cooper quittant sa fille en voiture et se retrouvant propulsé au fin fond du cosmos.

MON TOP 2014

1. Interstellar de Christopher Nolan
2. Une nouvelle amie de François Ozon
3. Under The Skin de Jonathan Glazer
4. Sils Maria de Olivier Assayas
5. Le Conte de la princesse Kaguya de Isao Takahata
6. Her de Spike Jonze
7. The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson
8. Only Lovers Left Alive de Jim Jarmush
9. Les Gardiens de la Galaxie de James Gunn
10. Le Vent se lève de Hayao Miyazaki

MON TOP SÉRIES 2014

1. Hannibal - saison 2
2. Sherlock - saison 3
3. The Leftovers - saison 1
4. Boardwalk Empire - saison 5
5. True Detective - saison 1

IN MEMORIAM : PHILIP SEYMOUR HOFFMAN

Le début de l'année 2014 a été marqué par la disparition brutale et choquante de l'acteur américain Philip Seymour Hoffman. Un peu moins d'un an plus tard, son absence laisse toujours un trou béant et ses dernières apparitions à l'écran durant cette année ont été tout autant précieuses - l'illusion, pendant 2 heures, que le comédien est toujours là, comme si de rien n'était - que déchirantes - l'irréalité douloureuse d'une présence en deux dimensions sur un grand écran, qui s'éteint en même temps que la lumière du projecteur.

Dès la fin des années 90, lorsqu'il nous est apparu dans Boogie Nights de Paul Thomas Anderson, il était déjà incontournable, acteur au physique à la fois banal et animal, un peu repoussant mais très magnétique. Immédiatement fascinant, dans un équilibre miraculeux entre ridicule et bouleversant dans le rôle de ce technicien un peu bedonnant amoureux du jeune pornstar Dirk Diggler, Hoffman s'imposait déjà par son extraordinaire capacité à s'investir émotionnellement dans son jeu depuis les pieds jusqu'au bout des cils. Plus tard, que ce soit en pathétique loser dans Happiness de Todd Solondz, où il se fondait parfaitement dans le malaise global dégagé par le film, ou encore dans le rôle mémorable de Phil Parma, infirmier dévoué et hypersensible de Magnolia, toujours de PT Anderson, il a toujours semblé embrasser ses personnages dans leur intégralité, leurs côtés admirables comme leurs petites lâchetés, mettant leurs zones d'ombre en lumière, et inversement. Dans Le Talentueux M. Ripley d'Anthony Minghella, il était le seul à voir clair dans le jeu de Tom Ripley (Matt Damon), un peu insupportable car trop conscient de son intelligence et de sa richesse, mais aussi brillamment présent, obstiné et jamais dupe. Jamais néanmoins Philip Seymour Hoffman n'a semblé chercher des films qui pourraient lui donner "le beau rôle". Même ses personnages les plus positifs (par exemple Lester Bangs dans Presque célèbre de Cameron Crowe, conseiller bienveillant du jeune garçon propulsé journaliste de rock comme lui) portent toujours une lassitude, une défaite intérieure, quelque chose de brisé - et ne sont pas nécessairement toujours très sympathiques. De la même manière, il excelle dans les rôles de méchants (on ne se souvient d'ailleurs presque que de lui dans Mission : Impossible III) ou d'odieux individus (le mémorable vendeur de matelas dans Punch-Drunk Love de PT Anderson) ; mais toujours en eux émerge une forme de génie, un éclat qui force le respect et même une certaine forme d'admiration. On ne trouvera dans sa filmographie aucun rôle de saint ou de martyr pétri de dignité ou de villain absolu, fonds de roulement traditionnel des "grands" acteurs américains. D'ailleurs, sa (seule !) performance oscarisée, dans Truman Capote, où il déguisait sa voix pour mieux incarner l'écrivain Truman Capote, si elle reste bien évidemment en tête, n'est finalement pas nécessairement "sa meilleure interprétation", tant le niveau de son travail était uniformément excellent et n'avait pas besoin de "trucs" pour être marquant. Plus les années passaient, plus Philip Seymour Hoffman gagnait - on ne savait pas précisément comment c'était possible encore - en profondeur ; chacun des mouvements de son visage et de son corps étaient portés par mille couches de jeu successives, toutes construites avec précision et rigueur pour aboutir à un personnage presque réel. Citons, sans égrener sa filmographie entière même si elle le mériterait amplement, son rôle dans Doute de John Patrick Shanley ou dans le plus récent The Master de PT Anderson : deux personnages puissants, terriblement charismatiques, foncièrement ambigus mais profondément talentueux, dont jamais on n'arrive à déterminer s'ils sont manipulateurs, géniaux, authentiques, ou complètement factices. Personne d'autre que lui n'est capable de jouer ces rôles avec une sincérité aussi entière ; toujours intimement mêlé aux objectifs et aux motivations de son personnage, il ne donne pour autant jamais l'impression de vouloir le "défendre" à tout prix.

En cette année 2014, dans Hunger Games, la révolte : 1ère partie, sa présence est incroyable ; il reste à peu près le seul à continuer à croire en ce qu'il joue, malgré la platitude des scènes trop étirées où même les actrices les plus enthousiastes de nature (Julianne Moore, Jennifer Lawrence) peinent à entretenir la flamme - la faute à cette fâcheuse manie de vouloir rentabiliser les grosses franchises et de "faire deux films à partir d'un seul livre". Même en arrière-plan, on n'a d'yeux que pour lui, l'image vibre dès lors qu'il est à l'écran. Avant cela, dans Un homme très recherché d'Anton Corbijn, où il tient le rôle principal, il bouleverse dans ce personnage en bout de course, à bout de souffle, mais entièrement dévoué à son travail ; la scène finale, déchirante, prend une résonance particulière depuis sa disparition.
Acteur majeur d'Hollywood sans être à proprement parler une star, il disposait d'une solide base d'admirateurs (le mot fan semble trop superficiel) qui allaient voir des films simplement en voyant son nom à l'affiche. Pour ceux-là, le décès de Philip Seymour Hoffman reste quelque chose d'inacceptable, dont il est difficile de se remettre, une perte aussi tragique que révoltante, tant il faisait partie "des bons", tant sa présence irradiait au point que son absence n'est pas envisageable, et surtout, tant il lui restait à jouer, tant on avait envie de le voir, encore, chez PT Anderson et chez tous les autres, y compris sur les scènes de théâtre où il continuait à travailler. On ne peut s'empêcher aussi de céder à une forme de colère, colère contre une addiction dont l'issue fatale semble indigne de lui - mais même là, il réussit à nous faire comprendre et surtout ressentir cruellement la réalité de cette fin qu'on voudrait éclatante mais dont on ne peut nier l'aspect pathétique. Comédien aussi magistral qu'humble, personne d'autre n'aura su incarner comme lui la vraie fatigue existentielle.

MES ATTENTES POUR 2015

1. Crimson Peak de Guillermo del Toro
2. Mad Max: Fury Road de George Miller
3. Inherent Vice de Paul Thomas Anderson
4. Macbeth de Justin Kurzel
5. Vice Versa de Pete Docter
6. Avengers: Age of Ultron de Joss Whedon
7. Knight of Cups de Terrence Malick
8. Birdman de Alejandro González Inárritu
9. Personne n'attend la nuit d'Isabel Coixet
10. The Hateful Eight de Quentin Tarantino

par Anne Mourand-Sarrazin

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