Une nouvelle amie

Une nouvelle amie
Envoyer à un ami Imprimer la page Accéder au forum Notez ce film
Une nouvelle amie
France, 2014
De Francois Ozon
Scénario : Francois Ozon
Avec : Aurore Clément, Anaïs Demoustier, Romain Duris, Isild Le Besco, Raphaël Personnaz
Musique : Philippe Rombi
Durée : 1h47
Sortie : 05/11/2014
Note FilmDeCulte : *****-
  • Une nouvelle amie
  • Une nouvelle amie

À la suite du décès de sa meilleure amie, Claire fait une profonde dépression, mais une découverte surprenante au sujet du mari de son amie va lui redonner goût à la vie.

UNE AMIE QUI NOUS VEUT DU BIEN

Est-ce en réaction au regain d’homophobie décomplexée qui a récemment déferlé en France ? Pour son quinzième long métrage (déjà !), François Ozon s’attaque à nouveau frontalement à des thématiques LGBT. Or, hormis quelques personnages secondaires et sous-textes par-ci par-là, c’est peut-être la première fois depuis... Gouttes d’eau sur pierres brûlantes. Mais là encore, Ozon embrasse ces thèmes à sa manière, c’est-à-dire respectueuse et malicieuse mais surtout détournée et parfois tordue. Concrètement, il n’y a en effet pas un seul personnage qui soit réellement homo ou bi dans Une nouvelle amie. Et ce serait une erreur que de l’appréhender comme un film-manifeste qui viendrait répondre avec sérieux aux besoins légitimes de visibilité des personnes transgenres. Et pourtant, le film reste éminemment queer, le plus surprenant et le plus subversif de son auteur depuis une dizaine d’années.

On devrait continuer à remercier régulièrement Ozon d’avoir, en faisant mine de se fondre dans les plus conventionnels des moules (des gentilles comédies ou des jolis drames avec des acteurs très connus), injecté une bonne dose queer dans le cinéma populaire français. Baigné dans une lumière d’automne, Une nouvelle amie ressemble aux mélos banlieusards chics de Douglas Sirk, mais Ozon poursuit ici joyeusement son travail de sabordage discret, pervertissant de l’intérieur les modèles classiques et dominants en faisant passer les idées les plus provocantes comme une lettre à la poste. Après tout, cette histoire commence par rien de moins que par l’enterrement du rêve familial et du schéma de la famille nucléaire traditionnelle. Et la mort d’une femme idéale va donner naissance à deux autres femmes, comme dans un improbable Vertigo transgenre, où l’amitié et l’amour seraient mélangés plus qu’intervertis (quand on grave un cœur dans un tronc d’arbre, c’est pour y marquer le nom de sa meilleure amie). Et si l’on part du postulat qu’un enfant a besoin d’un papa et d’une maman, pourquoi ne pas imaginer les deux en une seule et même personne ?

Comme souvent chez Ozon, il est ici question de jeu, c’est-à-dire de mise en scène de soi-même mais surtout de plaisir. Et comme dans Une robe d’été, c’est un vêtement féminin qui devient vecteur d’une redécouverte ludique de soi-même. Une nouvelle amie assume son coté décalé, presque irréaliste par moments (les fantasmes érotiques, le traitement du personnage d’Isild le Besco), tout en restant digne quand cela importe. Le film ne craint pas de se frotter au grotesque, en développant ponctuellement un aspect farcesque (quitte à risquer d’être mal interprété), sans jamais tomber dans le graveleux ou le caricatural. Lorsque Virginia tente de descendre un escalier de manière sexy, involontairement habillée comme une pute, sur fond de saxophone érotique… la scène est hilarante mais ne manque pourtant miraculeusement pas de respect au personnage. Quel autre réalisateur, queer ou non, sait jongler aussi habilement avec le 1e et le 3e degré ? Ceux qui croient rire du personnage marginal se trompent, c’est bien elle qui aura le dernier mot, et qui aura rallié les autres à sa cause.

Histoire de renaissances (d’un homme pas si timide, d’une amie qui ne veut plus rester cachée, d’une garçonne qui devient amoureuse sensuelle), Une nouvelle amie commence donc par un décès, et « chacun doit trouver le moyen de faire son deuil ». Pas si anodine, cette réplique-clef prend une résonance extra-filmique bien particulière avec l’actualité française, à l’heure où l’on nous parle de soi-disant « suicide français ». Comme les personnages du film, nous devons effectivement nous réinventer suite à un décès, mais c’est alors celui d’une France réac, dépassée par la réalité des choses. Une France dépassée par ce qui existe déjà, qui existe pour l’instant cachée dans la maison, derrière les façades des maisons bourgeoises et des familles idéales, et qui ne demande qu’à s’exprimer au grand jour. Ozon retrouve ici Ruth Rendell, auteure britannique à la réputation revêche (dont il s’était déjà inspiré pour le personnage de Charlotte Rampling dans Swimming Pool), mais en faisant prendre à ses personnages un chemin plus proche du conte de fées que du polar (ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants), il invente ici un schéma familial inédit. L’art de passer par l’artifice pour parler des choses les plus concrètes. L’art de parler de choses révolutionnaires sans en avoir l’air. Cette amie nous veut définitivement du bien.

par Gregory Coutaut

Commentaires

Partenaires