Crimson Peak

Crimson Peak
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Crimson Peak
États-Unis, 2015
De Guillermo Del Toro
Scénario : Guillermo Del Toro, Matthew Robbins
Avec : Jessica Chastain, Tom Hiddleston, Charlie Hunnam, Mia Wasikowska
Photo : Dan Laustsen
Musique : Fernando Velazquez
Durée : 2h00
Sortie : 14/10/2015
Note FilmDeCulte : *****-
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À la suite d'une tragédie familiale, une romancière en herbe est déchirée entre l'amour qu'elle porte à son ami d'enfance et son attirance pour un mystérieux inconnu. Alors qu'elle tente d'échapper aux fantômes de son passé, elle s'aventure dans une sombre demeure étrangement humaine, qui respire, saigne et se souvient.

¿QUÉ ES UN FANTASMA?

Comme souvent chez Guillermo del Toro, une voix off ouvre le film et donne le ton par une réplique qui reviendra fermer le film. Dans Crimson Peak, la citation fait figure de profession de foi. "Ghosts are real. This much I know." Si les fantômes existent, ils sont une donnée de notre monde et ne nécessitent pas d'être au cœur de l'action. Et comme l'affirme la jeune protagoniste à propos de son livre dans une déclaration méta qui donne la clé du film, cette histoire n'est pas une histoire de fantômes mais une histoire avec (aussi) des fantômes. D'autant plus que chez Del Toro, les véritables monstres ne sont pas les créatures surnaturelles mais les humains. Ce faisant, le nouvel opus du cinéaste mexicain est le cousin américain de ses œuvres hispaniques (L'Échine du Diable et Le Labyrinthe de Pan) qui sont avant tout affaire de personnages et non de fantastique. En réalité, Crimson Peak est principalement une romance gothique. Mais à la sauce Del Toro. Ainsi le metteur en scène organise-t-il la rencontre entre Edith Wharton et les films de la Hammer, union symbolisée par le nom de son héroïne - Edith Cushing, d'après Peter Cushing, célèbre Van Helsing des films du studio britannique - qui voyage du comté de New York du "temps de l'innocence" jusqu'en Angleterre dans les landes chères aux sœurs Brontë, vivant son conte de fée vicié dans une maison hantée.

Jeune fille vierge qui incruste un bal auquel elle n'est pas invitée et danse avec le Prince Charmant à la place d'une femme de la société qui aurait tout aussi bien pu être sa méchante belle-sœur, notre Cendrillon va basculer dans un autre célèbre conte (que nous ne révèlerons pas afin de ne pas spoiler certains aspects de l'intrigue), autrement plus macabre. Influence littéraire déjà ouvertement affichée auparavant dans la filmographie de l'auteur (Le Labyrinthe de Pan évidemment mais également Hellboy II), le conte est toutefois détourné ici par Del Toro afin d'en subvertir la morale habituelle. Le sexe n'est plus un danger mais un acte d'amour, transformatif. La métamorphose a toujours été un thème récurrent du cinéma de Guillermo del Toro. Dans ses premiers films, les protagonistes humains passaient à un état de mort-vivant (immortels, fantômes, vampires) dont ils ne pouvaient se libérer que par le biais de la vengeance. Depuis Hellboy, ce sont davantage les choix que font les protagonistes qui les changent (Hellboy refuse sa destinée de héraut de l'apocalypse puis d'instrument du gouvernement, Ofelia réfute le fascisme, annihilation du choix). Dans le cas présent, la transformation est autre. Et double. D'un côté, Edith, énième orpheline deltoroienne et encore dans l'âge d'or de l'innocence (la lumière ambrée des scènes à New York, la robe dorée qu'elle porte) mais vite rattrapée par la couleur du sang ("crimson" signifie "pourpre" ou "cramoisi"), de la mort et du dépucelage, passe à l'âge adulte. De l'autre, Thomas Sharpe, héros byronien par excellence et être arrêté dans le temps, mort-vivant, est obsédé par une machine qu'il ne parvient pas à faire fonctionner (rappelant le général franquiste obsédé par la réparation de la montre de son père dans Le Labyrinthe de Pan). Chacun sort de sa chrysalide un être nouveau. Motifs récurrents du film témoignant une fois de plus de la fascination de l'auteur pour les insectes, les papillons sont les symboles de cette métamorphose.

En plus de subvertir le conte de fées, Del Toro en fait de même avec la romance gothique, réintroduisant le fantastique dans un genre qui ne s'en sert que pour le décorum. L'écrivaine Ann Radcliffe avait recours au "surnaturel expliqué" pour apporter de la respectabilité au genre. Les héroïnes de romances gothiques se retrouvant souvent en terre inconnue, effrayante et fantastique en apparence mais l'explication intervenait toujours en fin de récit en lieu et place des fantômes attendus. Les locataires de la maison de Crimson Peak, fondée sur une mine d'argile rouge, passent leur temps à donner les raisons scientifiques expliquant pourquoi cette demeure morte, avec ses blessures béantes, semblent saigner par tous ses pores et pourquoi la neige devient rouge sang mais les spectres du film sont bel et bien réels. Tout en respectant ses codes, explorant l'enfermement d'une femme au sein d'un espace domestique où elle est sujette à l'autorité patriarcale et aux risques qu'elle encourt si elle ose transgresser ces restrictions, Guillermo del Toro confère une littéralité aux démons qui hantent ses protagonistes, tout autant de figures tragiques. Plus proche de l’œuvre de Daphné du Maurier que du film d'horreur classique, Crimson Peak est un film magnifiquement dense, d'une beauté aussi fragile que la flamme d'une bougie prise dans le vent d'une valse.

par Robert Hospyan

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