L'année cinéma 2015 de Gregory Coutaut

L'année cinéma 2015 de Gregory Coutaut

Voir plus loin. La formule pourrait ressembler à un slogan creux pour les assurances, mais ce fut le parti pris récurrent de nombreux films marquants de l'année. Une invitation à traverser le miroir jusqu'à se perdre avec fascination, comme chez les magiciens de l'année : Malick, Weerasethakul, Maddin, Strickland, ou Dupieux. Leurs films ont partagé une qualité rare : ils ressemblaient moins à des récits conventionnels qu'à des rêves imprévisibles, possédant leur propre logique, gouvernés par l'imagination. Voir plus loin, c'est aussi une incitation à reconsidérer la dichotomie réalisme/imagination, car l'un et l'autre sont moins des contraires que des ingrédients complémentaires, dont le mélange donnent les recettes les plus excitantes. La comédie d'aventure urbaine Tangerine tire sa force d'une véracité sociale rare, tandis que Le Bouton de Nacre et Norte, la fin de l'histoire utilisent tous deux d'ambitieuses métaphores poétiques pour parler de l'histoire politique de leur pays. Trois films qui semblent ne rien partager, si ce n'est qu'ils ouvrent tous une fenêtre pour respirer en dehors des sentiers battus. Dans un tel contexte, le film le plus représentatif de l'année fut aussi le plus fou et le plus inclassable : Taxi Téhéran. Un tour en voiture tourné en caméra cachée qui se transforme en tour de force narratif, ludique et imaginatif. On en reste hébétés, les yeux écarquillés, comme l'héroïne à la fin de Cemetery of Splendour. Sans doute l'un des plans les plus marquants de l'année, reflet de notre propre fascination.

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MON TOP

1. Taxi Téhéran, Jafar Panahi
2. Knight of Cups, Terrence Malick
3. Réalité, Quentin Dupieux
4. Norte, la fin de l'histoire, Lav Diaz
5. The Duke of Burgundy, Peter Strickland
6. Le Bouton de Nacre, Patricio Guzmàn
7. La Chambre interdite, Guy Maddin et Evan Johnson
8. Au-delà des montagnes, Jia Zhang-Ke
9. Queen of Earth, Alex Ross Perry
10. Tangerine, Sean Baker

COUP DE CŒUR : LAV DIAZ

Hors-norme, radical, indépendant. Ces mots peuvent sonner creux et faciles, mais ils ne sont pas vainement utilisés lorsque l'on parle de la filmographie de Lav Diaz. Hors-normes, ses films le sont avant tout par leur durée, parfois titanesques (7h30 pour Melancholia ou 10h43 pour Evolution of a Filipino Family, par exemple). Indépendant, le réalisateur philippin l'est également par sa volonté incorruptible de documenter la violence de l'histoire politique de son pays. Ses films ne ressemblent à rien de ce que l'on connaît chez nous, allégories tropicales mystérieuses en noir et blanc, hors du temps, dans lesquelles on plonge et on plane, entre inquiétude et fascination. Sans jamais choisir (et donc faire de hiérarchie) entre sa manière de filmer les choses en face (tortures, pauvreté), et l'utilisation de métaphores poétiques, Lav Diaz combine dans son œuvre (et parfois dans le même film) récits mythologiques surnaturels, témoignages historiques et images documentaires. Le résultat est unique et fascinant.

L’œuvre de Lav Diaz n'est pas la plus aisément diffusable. Et même dans son propre pays, malgré le respect inspiré par le cinéaste, ses films sont peu ou pas édités en dvd. Après plusieurs sélections aux festivals de Venise, Rotterdam ou Locarno, il aura fallu attendre le magnifique Norte, la fin de l'histoire, son film le plus accessible (4 heures « seulement », et pour une fois en couleurs) pour le voir sélectionné à Cannes et enfin distribué dans les salles françaises. Mais au-delà de cette double première fois, il faut saluer le travail de Dissidenz, qui prend le risque de sortir en salles l'un de ses précédents films (l'excellent Death in the Land of Encantos, qui dure tout de même 9 heures!), ainsi que celui du musée du Jeu de Paume qui, en concomitance avec ces deux sorties, a proposé une rétrospective intégrale du cinéaste, donnant ainsi à voir des films jusqu'ici inédits en France.

Ces événements ont permis de découvrir l'ampleur rare de son travail, l'un des plus radicaux et passionnants du moment. Mais ils ont surtout permis de vivre des expériences hors-normes pour le spectateur. Qui n'aurait pas d'inquiétude à l'idée de rester plus de six ou huit heures assis dans une salle de cinéma ? Il faut pourtant le vivre pour le croire : dans ses films les plus léchés comme dans les plus bruts, Lav Diaz parvient, on ne sait comment, à dilater ses récits tout en nous en faisant épouser le rythme avec une incroyable fluidité. Les « très riches heures » du cinéaste (du nom de la rétrospective parisienne) passent avec une rapidité et un bonheur que doivent lui envier bien des cinéastes plus conventionnels. Il y a une magie Lav Diaz. Ses films, bien plus accessibles qu'il n'y paraissent, gagnent énormément à être vus et vécus en salle. L'expérience d’immersion y est sans pareille, proprement stupéfiante.

MON TOP INÉDITS

1. Happy Hour, Ryusuke Hamaguchi
2. Love and Peace, Sono Sion
3. Tag, Sono Sion
4. Sayonara, Koji Fukada
5. From What is Before, Lav Diaz
6. Fires on the Plain, Shinya Tsukamoto
7. The Mirror, Mike Flanagan
8. Going Clear, Alex Gibney
9. Behemoth, Zhao Liang
10. Kurt Cobain : Montage of Heck, Brett Morgen

MES ATTENTES POUR 2016

1. Elle, Paul Verhoeven
2. Wiener-Dog, Todd Solondz
3. Hele sa Hiwagang Hapis, Lav Diaz
4. The Neon Demon, Nicolas Winding Refn
5. The Whispering Star, Sono Sion
6. Toni Erdmann, Maren Ade
7. The Death and Life of John F. Donovan, Xavier Dolan
8. Ma Loute, Bruno Dumont
9. The Handmaid, Park Chan-Wook
10. Frantz, François Ozon

par Gregory Coutaut

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