The Duke of Burgundy

The Duke of Burgundy
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Duke of Burgundy (The)
Royaume-Uni, 2015
De Peter Strickland
Scénario : Peter Strickland
Durée : 1h46
Sortie : 17/06/2015
Note FilmDeCulte : *****-
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Quelque part, en Europe, il n’y a pas si longtemps… Cynthia et Evelyn s’aiment. Jour après jour, le couple pratique le même rituel qui se termine par la punition d’Evelyn, mais Cynthia souhaiterait une relation plus conventionnelle. L’obsession d’Evelyn se transforme rapidement en une addiction qui mène leur relation à un point de rupture…

COMBAT D’AMOUR EN SONGE

Qui est donc ce duc de Bourgogne, qui donne son titre à ce film où il n’y a pourtant que des femmes à l‘écran ? Sans révéler la réponse, on peut dire que ce titre trompeur va comme un gant à ce film en trompe-l’œil, à la fois vintage dans son vocabulaire (on croirait par moments voir une œuvre vieille de 40 ans) et moderne par son audace narrative. The Duke of Burgundy s’ouvre sur une superbe générique à la façon de certaines séries B des années 70, et dès ces premières minutes, le film est truffé de mystérieuses trouvailles, tel un surprenant crédit… pour le parfum des actrices. Cette patine vintage à la fois familière et étrange, mi-films d’horreur de la Hammer mi-téléfilm érotique italien, et qui recouvre l’ensemble de la première et la dernière minute, aurait pu tourner à la parodie ou même simplement à la recréation stérile pour cinéphile geek. Mais chez Peter Strickland (Katalin Varga), la fétichisation n’est pas qu’un gimmick. Derrière tout ce théâtre se cache d’emblée un cœur vénéneux qui bat de manière inquiétante.

Rideaux lourds, clavecins, capes et cols Claudine… mais à quelle décennie se déroule donc The Duke of Burgundy ? D’où sort cette villa gothico-bourgeoise où se déroule presque toute l’action ? Le village où celle-ci se trouve pourrait se situer absolument partout en Europe centrale, et chaque actrice s’y exprime en anglais avec un accent pourtant exotique et différent pour chacune. Cette absence de repères clairs donne parfois l’impression de voir une Europe irréelle, cosmopolite et fantasmée, comme on la rencontre plus généralement dans de culture japonaise (de Miyazaki à Lady Oscar). Qui sont d’ailleurs ces deux héroïnes, vivant presque recluse dans un confort d’un autre âge? Il y a quelque chose des fantômes féminins de Céline et Julie vont en bateau dans ce couple mystérieux, coupé de toute référence à une réalité concrète, et dont on ne comprend que progressivement la ronde mystérieuse.

« C’est tout ce dont j’ai toujours rêvé » confie l’une des jeunes femmes à l’autre. Rêvé, le mot est lâché. A la fois déclaration d’amour et incantation magique, il ouvre à lui tout seul les portes du film, qui se déroule effectivement comme un songe cotonneux, et qui contient sont lot de mots de passe, d’hypnose et de faux semblants. Qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est ce qui est vraiment possible, ici, entre une improbable société biologique uniquement composée de jeunes femmes, et une vendeuse de meubles/cercueils lookée comme Delphine Seyrig ? Comme un conte de fées dont on perçoit en filigrane la grande violence, comme une intimité aperçue par un trou de serrure, The Duke of Burgundy possède plusieurs niveaux de lectures cachés sous son charme toxique et sa grande beauté plastique. The Duke of Burgundy est un labyrinthe, mais un labyrinthe plus sexy et accessible que Berberian Sound Studio, le précédent film de Strickland.

Et si, finalement, ce qu’il y avait de plus fou dans ce film fou, c’était son aspect le plus normal ? Derrière la reconstitution fétichiste des décors et des costumes, derrière la virtuosité plastique (on pense parfois au travail de Cattet et Forzani), derrière les faux-semblants narratifs, il y a une vraie histoire d’amour, qui se suit sans peine de A à Z. Le style de Peter Strickland aurait pu étouffer ses personnages (c’est un peu la réserve qu’inspirait Berberian Sound Studio), mais au contraire, ce qui reste au final c’est l’émotion de ces deux femmes en miroir qui cherchent leur équilibre. Voici la principale surprise du film, mais aussi un paradoxe : c’est précisément le formalisme de Strickland (ce côté détaché de la réalité) qui lui permet d’éviter les clichés du film-de-lesbiennes-filmées-par-un-homme, mais c’est aussi ce qui rend cette histoire d’amour impossible finalement si émouvante. Derrière le fantastique, derrière le grotesque, derrière les clichés lesbiens de femmes fatales dont personne n’est dupe, The Duke of Burgundy continue à faire battre son cœur amoureux jusqu’au bout, et se révèle être un grand film sur le couple, rien de moins.

par Gregory Coutaut

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