From What is Before

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From What is Before
Mula sa Kung Ano ang Noon
Philippines, 2014
De Lav Diaz
Scénario : Lav Diaz
Note FilmDeCulte : *****-
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Pendant les deux années précédant la proclamation par Ferdinand Marcos de la loi martiale en 1972, des évènements mystérieux surviennent dans un village côtier négligé par l’État. Des gémissements proviennent de la forêt, des maisons brûlent, un homme se vide de son sang. Tandis que la terreur et la paranoïa infiltrent la communauté, l'armée fait son entrée dans le barrio.

L'ESPRIT DE LA FORET

"Croyez-vous en Marcos ?". La question, posée par un villageois à un des militaires venant surveiller son village, a plus d'une résonance dans l’œuvre de Lav Diaz. La dictature de Marcos et ses répercutions contemporaines, les films du cinéaste philippin ne parlent que de ça, mais presque toujours par le biais de récits allégoriques de luttes pour la survie. La filmographie de Lav Diaz tourne autour de ce traumatisme national, et pourtant il n'est pas si fréquent d'y entendre ce nom prononcé. De fait From What is Before semble occuper une place particulière dans la chronologie du cinéaste. On aurait pu croire que son précédent long métrage, Norte, la fin de l'histoire, annonçait un nouveau départ : filmé pour une fois en couleurs, rapidement, d'une durée relativement réduite (4 heures au lieu de 7 ou 11), une reconnaissance en forme de présentation à Cannes et enfin une distribution en salles. Avec From What is Before Lav Diaz clôt pourtant cette parenthèse en retournant à ses méthodes de travail habituelles ; retour au noir et blanc, à une durée plus costaude (5h38 qui passent facilement), et un tournage étalé sur 6 mois. A l'arrivée, le film a ceci de passionnant qu'il combine au mieux les deux visages de ce cinéma-là : l'Histoire et la métaphore. Le réalisme et le fantastique.

Le film se déroule en 1970 et retrace la naissance de la dictature, tout en documentant sur les rites pré-hispaniques et pré-islamiques perdurant dans cette région reculée. La volonté de réalisme est double, le film est même basé sur des histoires réelles, et pourtant l'ensemble regorge de mystère. Annonçant, tel un mauvais rêve prémonitoire, l'arrivée de la loi martiale dans cette région primitive (où la vie paraît se dérouler comme dans des temps immémoriaux), les événements étranges se succèdent : un cadavre est retrouvé vidé de son sang, le visage de la Vierge apparaît dans les rochers, des troupeaux entiers sont décimés. On tremble, on prie d'être épargné par des créatures surnaturelles. "Croyez-vous en Marcos ?". Quand la question est posée, elle relève presque du surnaturel. On se la pose comme si on se demandait "Croyez-vous au dragons ?". On parle d'Aswang et de Kapre (des vampires et esprits appartenant au folklore local) sans se douter que la menace qui pèse est pire encore. La première partie, presque fantastique, laisse alors place à un réalisme militaire pas moins inquiétant.

Au-delà de sa remarquable gestion du rythme, la plus grande réussite de From What is Before est sans aucun doute l'habileté avec laquelle le film combine et alterne ce qui devrait être antinomique. Face à la machine militaire en marche, les habitants perdent peu à peu leur système de croyance propre, et le village se retrouve peu à peu exsangue comme les cadavres du début. A la fin, toute trace de merveilleux a disparu, et il ne reste presque plus personne pour se souvenir. Mais Lav Diaz refuse les interprétation simplistes. Ici, l'ennemi ne vient pas « d'ailleurs » polluer un espace de vie primitif proche de la nature. Peu importe le nom qu'on lui donne, le mal est présent dès l'origine. Comme dans Body Snatchers de Ferrara, l'envahisseur prend la forme des supposés protecteurs, l'armée, mais l'ennemi est déjà potentiellement présent en chacun.

Au-delà de l'écriture, il faut bien sûr souligner l'incroyable richesse visuelle du film. From What is Before gagne à être vu sur grand écran, tant certains de ses plans ne révèlent leurs détails et leurs sens que progressivement. Comme dans une improbable version de Où est Charlie il faut se perdre dans ces immenses plans d'ensemble de jungle luxuriante pour y distinguer un personnage ou un mouvement. Des images fascinantes, surtout présentes dans la première moitié du film, comme une métaphore des illusions des personnages (la deuxième partie du long métrage étant placée sous une lumière crue plus plombante). Ici, le sens esthétique ne se réduit de toute façon jamais à une simple décoration. Il ne vient jamais contredire la dureté d'un cinéma du sacrifice, où les personnages vivent les pieds dans la boue. Combien de films peuvent se permettre de se clore sur un carton annonçant « in memoriam mon pays » sans crouler sous le poids du dolorisme ? Comment combiner l'éthique de la reconstitution historique à l'imagination d'un récit fantastique ? Comment rendre ces 5h38 aussi passionnantes et fluides sans rien perdre de son radicalisme ? From What is Before se sort haut la main de toutes ces audaces. Cinéaste unique, Lav Diaz nous laisse une fois de plus pantois devant tant d'ambition et de réussite.

par Gregory Coutaut

En savoir plus

From What is Before est projeté dans le cadre de la rétrospective "Lav Diaz, les très riches heures", actuellement au musée du Jeu de Paume.

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