L'année cinéma 2011 de Gregory Coutaut

L'année cinéma 2011 de Gregory Coutaut

On a beaucoup parlé de la fin du monde cette année. Chocs telluriques de planètes se fracassant l’une contre l’autre, dilatation des vies humaines dans l’espace et l’infini… Derrière ces tonitruants fracas, l’année a pourtant été ponctuée de menaces beaucoup plus discrètes, de films en apparence plus mineurs mais tout aussi pessimistes. Et pas forcément moins ambitieux. 2011 a pourtant commencé dans le plus doux des cocons : celui du Château Marmont dans Somewhere de Sofia Coppola. Mais l’intarissable confort matériel n’y était que le reflet du désert intérieur de son héros en plein naufrage, et venait souligner la sobriété formelle d’une œuvre moins lisse qu’il n’y parait. Des bulles aussi faussement coupées du monde, il y a en eu beaucoup d’autres, et l’illusion d’un confort douillet et privé s’est retrouvé en filigrane dans de nombreux films-clés de l’année. La maison close de L’Appolonide est un écrin cosy à la beauté de ses filles, mais accueille également la mort, la maladie et la torture. Tout aussi perméable au chaos extérieur, le nid conjugal de Miranda July dans The future vacille sous le poids d’une angoisse aussi faussement légère qu’invincible. La maison où vivent cloitrés les protagonistes de Michael fonctionne autant comme une chaumière de conte de fée, coupée du monde pour mieux vivre l’illusion d’un amour impossible, que comme une sordide bicoque de banlieue, théâtre des faits divers les plus glauques. Quand à la chambre de l’héroïne de Sleeping Beauty, elle suinte elle aussi d’une menace venue d’on ne sait où, d’un insondable mystère trop grave pour être révélé à la légère. Même en se repliant chez soi (Propriété interdite), même en se voilant la face (Shame), ou même en se construisant une dérisoire cabane en bois en guise d’abri atomique (Melancholia), personne n’aura échappé à la désintégration de son propre univers. Les histoires d’amour de l’année se seront toutes pris la foudre dans la gueule : implosant dans la pire violence (Drive, J’ai rencontré le diable), ou dans des gouffres d’amertume (Blue Valentine, Restless). Même l’amour filial a capitulé devant le rouleau compresseur de la fatalité : We need to talk about Kevin, Notre étrangère, Les Crimes de Snowtown, The tree of life... Si la fin du monde a bel et bien pointé le bout de son nez en 2011, elle l'a fait de la manière la plus menaçante qui soit : dans un cadre toujours domestique, et sur la pointe des pieds.

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MON TOP

1. Somewhere, Sofia Coppola
2. Black Swan, Darren Aronofsky
3. Melancholia, Lars Von Trier
4. J’ai rencontré le diable, Kim Jee-Woon
5. Michael, Markus Schleinzer
6. Sleeping Beauty, Julia Leigh
7. Blue Valentine, Derek Cianfrance
8. Oki’s movie, Hong Sang-Soo
9. L’Apollonide, souvenirs de la maison close, Bertrand Bonello
10. Drive, Nicolas Winding Refn

MON COUP DE CŒUR: L’année de la femme

Une statistique parmi tant d’autres : cette année parmi la vingtaine de cinéastes sélectionnés en compétition officielle au Festival de Cannes, quatre étaient des femmes. Et sur l’ensemble des sélections du festival, les réalisatrices étaient vingt-deux. Pour comparaison, il y a deux ans elles n’étaient que quinze, et l’an dernier seulement onze, soit deux fois moins. Hasard du calendrier ? Peut-être. Mais si l’on considère (avec raison) Cannes comme un baromètre du cinéma d’auteurs mondial, cette statistique devient une tendance. De certains succès publics (Polisse, Mes meilleures amies…) aux palmarès des festivals les plus pointus (Somewhere à Venise, Abrir puertas y ventanas et Nana à Locarno…), les réalisatrices étaient bel et bien là. Plutôt qu’une « prise de conscience » du public ou des festivals, cela est plutôt dû à l’arrivée d’une nouvelle génération. On a beaucoup reproché à Cannes de ne pas sélectionner beaucoup de réalisatrices par le passé. Or le festival n’est condamné qu’à représenter ce qu’il reçoit et perçoit de la production mondiale. Et justement cette année, la plupart des long-métrages réalisés par des femmes étaient des premières ou deuxièmes œuvres. Donc de plus en plus de réalisatrices émergent… et alors ? Dire qu’un film réalisé par une femme peut être aussi mauvais ou bon que n’importe quel autre revient à enfoncer une porte ouverte. Inutile de tomber dans la discrimination positive, et comme le déclarait Thierry Frémaux au Film Français : « Nous nous félicitons de cette présence, mais quand les lumières s’éteignent, on se fiche un peu de savoir si c'est réalisé par une femme ou par un homme ». Si le nombre des réalisatrices semble bel et bien augmenter, c’est une avancée surtout symbolique, mais qui mérite tout de même que l’on se réjouisse. C’est même la moindre des choses.

Mais l’augmentation du nombre de réalisatrices en activité fait-elle du coup avancer le féminisme ? Vous avez quatre heures. Plutôt que de m’engouffrer dans ce long débat, je rappelle deux ou trois évidences. Un « film de femme » (les guillemets ironiques s’imposent tant l’expression est condescendante) n’est pas forcément un film sur La Femme. Tout interpréter sous cet angle serait un raccourci paresseux. Aussi brillants et remarqués qu’ils furent, on ne peut pas dire que les long-métrages de Debra Granik, Mia Hansen-Love, Susanne Bier, Kelly Reichardt ou Lynne Ramsay aient eu pour but premier d’aborder ces thématiques-là. Et parfois, les œuvres les plus pertinentes sur la féminité viennent de réalisateurs. On a par exemple entendu des louanges plus sincères sur les personnages féminins de Lars Von Trier que ceux de la Source des potiches de Radu Mihaileanu. Et le cinéma de Kathryn Bigelow (célébré et exposé cette année au Moma) reste à priori nettement moins féminin que celui de Pedro Almodovar (même si celui-ci ne met quasiment plus que des hommes au cœur de ses récits depuis dix ans, comme c’était encore le cas cette année).

En 2011, les expressions les plus modernes et pertinentes d’un féminisme toujours d’actualité sont venues de deux films diamétralement opposés. Une comédie américaine grand public réalisée par un homme et un documentaire crée collectivement par des féministes queer. Face à la question « Ca veut dire quoi, être féministe ? », les activistes radicales de Too Much Pussy ! ne prennent pas le temps d’avoir froid aux yeux et avisent simplement : « c’est arrêter d’avoir le reflexe de vouloir s’excuser, arrêter de culpabiliser d’être ce qu’on est ». Chez elle, cela se traduit par une réappropriation de leurs corps via des performances parfois extrêmes qui décapsulent les préjugés et décoiffent les théories les plus sages avec un naturel explosif. Sous des apparences à priori nettement plus conventionnelles, les comédiennes/scénaristes du carton surprise de l’année Mes Meilleures amies ont pourtant décidé de faire la même chose : de ne pas s’excuser. Assumer ce qu’elles sont, et assumer de vouloir faire rire le monde entier avec des scènes de diarrhée incontrôlable et de vomi dans les cheveux. Depuis on a d’ailleurs perdu le compte des spectatrices qui se sont reconnues là-dedans. Ces exemples peuvent paraître extrêmes, mais ils ont le mérite de piétiner les clichés d’un faux-féminisme aussi lisse que toc, et il s’agit surtout des autoreprésentations les plus libératrices de l’année.

MON TOP INÉDITS / SORTIES DVD / SANS DATE DE SORTIE / DÉCOUVERTES FESTIVALS

1. La Maladie du sommeil, Ulrich Köhler
2. Buddha Mountain (La Montagne de Guanyin), Yu Li
3. Code Blue, Urszula Antoniak
4. Bedevilled (Blood Island), Jang Cheol-Soo
5. Detention, Joseph Kahn
6. The Innkeepers, Ti West
7. Endhiran - Robot, S. Shankar
8. Abrir puertas y ventanas, Milagros Mumenthaler
9. Triangle, Christopher Smith
10. Revenge, A Love Story, Ching-Po Wong

MES ATTENTES

1. In Another country, Hong Sang-Soo
2. Alps, Yorgos Lanthimos
3. Paradies, Ulrich Seidl
4. Captured, Brillante Mendoza
5. Dark Horse, Todd Solondz
6. Dark Touch, Marina de Van
7. The Loneliest Planet, Julia Loktev
8. Tue-moi, Emily Atef
9. The Grand Masters, Wong Kar Wai
10. Spring Breakers, Harmony Korine

par Gregory Coutaut

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