Volem rien foutre al païs

Volem rien foutre al païs
Envoyer à un ami Imprimer la page Accéder au forum Notez ce film
Volem rien foutre al païs
France, 2004
De Pierre Carles, Christophe Coello, Stéphane Goxe
Scénario : Pierre Carles
Avec : Pierre Carles, Christophe Coello, Stéphane Goxe
Durée : 1h47
Sortie : 07/03/2007
Note FilmDeCulte : *****-

Dans cette guerre économique, qu'on nous avait promise il y a bien des années et qui avance comme un rouleau compresseur, existe-t-il encore un sursaut d'imagination pour résister? Mis en demeure de choisir entre les miettes du salariat précaire et la maigre aumône que dispense encore le système, certains désertent la société de consommation pour se réapproprier leur vie. "Ni exploitation, ni assistanat!" clament-ils pour la plupart. Ils ont choisi une autre voie, celle de l'autonomie, de l'activité choisie et des pratiques solidaires...

UN FILM D'ACTIONS

Trois ans plus tard, comme on s’y retrouve (pour rappel, relisez notre ni vieille ni traître critique). Salle Olympe de Gouges, Ciné-Citoyen, mal assis, un bout de crâne, une mèche de cheveux mal raplatie, grignotant le bas de l’écran. Il fait chaud, l'assise est raide, on en gardera des courbatures aux fesses… Certains, d'ailleurs, sont assis sur les marches; on jette les normes de sécurité avec l’eau du bain et peut-être bien qu’on y resterait tous si un feu prenait. On s’en fout, on sourit. On est aussi venus pour ça, pour vivre l’expérience filmique du nouveau Carles – mince, gaffe, voilà que nous aussi, on cède aux sirènes du star-system… Reprenons: pour vivre l’expérience filmique du nouveau Carles/Coello/Goxe (l’ordre alphabétique ne triche pas), appliquons à notre tour une espèce de collectivisme cinéphile et communions, communions, on finira bien par tous se marrer/s’écharper (cf. le débat final, qu’on vous a bien bénévolement podcasté). Cinéma de communion, cinéma de quartier: Ciné-Citoyen, l’intitulé tombe bien.

Rien foutre, donc, ou Attention danger travail quatre ans après. On en est où, avec la vie? On en est où, avec le cinéma? La méthode n’a pas changé: montage vagabond, tourner en cercles concentriques autour du pot commun. Attention danger travail rencontrait les décroissants, Volem rien foutre al païs (quel titre!) débat avec eux. Prend le sujet par tous les bouts, croque ici et là, tire, observe ce qui vient, s’y nourrit un temps, renifle, goûte, soupèse, puis, l’horloge tournant, tire un autre fil. Film d’actions, à coup sûr – qu’on y bâtisse une baraque en bottes de pailles, qu'on y bidouille du biocarburant, qu’on y fauche allègrement dans les étalages des boutiques, qu’on y poursuive des pions rougeauds dans les couloirs du Medef, ou qu’on y descende en rappel le long des parois d’un immeuble aux appartements inoccupés, pour les investir d’autorité rigolarde – Volem rien foutre al païs vibrionne joyeusement. Agir, penser, débattre: le trio CCG dérange la chronologie de l’action politique, tapant sec sur les doigts d’une société prompte au sommeil, au risque de la réveiller parfois trop brusquement. On ne manquera sans doute pas d’en entendre qui, trémolos appuyés, s’offusqueront des réjouissants appels à la déviance que lance régulièrement le film – ceci ne témoignera alors que de leur trop opaques œillères: Volem rien foutre al païs n’assène pas, mais propose et (s’)interroge.

Vérité fondamentale d’Attention danger travail et Volem rien foutre al païs: le montage fait les films. Films de liens, en somme, propositions de synthèse à des travaux empiriques, volontairement discontinus, traçant des trajectoires sur un ordre bordélique de l’espace et du temps (comme Attention danger travail avant lui, Volem rien foutre al païs puise allègrement dans des archives de tous supports, tous âges et toutes origines). Roger Ikhlef, co-monteur du film aux côtés de Sandrine Romet-Lemonne, l’énonça ainsi clairement l’autre soir: bien d’autres films eurent été possibles. Une version en particulier, celle du monteur (et refusée par les trois co-auteurs), laisse rêveur et renseigne bien sur la dissolution du "je" carlien dans l’appareil collectif (qu’on pressentait depuis un bail, à mesure que le corps de Carles lui-même s’escamotait du cadre – remember la prestidigitation à la Méliès d’Enfin pris?): d’une durée de trois heures, elle s’achevait sur une heure de débats filmés, et ôtait de la bouche du bon Ciné-Citoyen le sacré pain de Panurge ergotant. Violente, voire cruelle, avec le spectateur, cette mouture, "la plus belle", selon les mots d'Ikhlef, restera invisible.

Difficile, pourtant, de la perdre de vue: qui suivit le destin de Ni veux, ni traîtres en percevra l’écho. En effet, la version finale du documentaire dont nous vous présentions la version inachevée en 2004, diffusée l’an passé sur Zaléa TV et disponible en DVD, s’était justement nourrie des réactions après séances recueillies, notamment, Salle Olympe de Gouges. On avait regardé la chose d’un air circonspect, se promettant d’en reparler dans ces colonnes. On n’avait jamais vraiment osé: violent, à coup sûr, ce montage l’était. Mais les coups n’étaient pas portés qu’au spectateur. Le film faisait en effet, en incorporant sa propre critique, le constat de son propre échec. Ainsi présenté, brisé, en miettes, Ni veux, ni traîtres semblait plus monstrueux que montrable – mais du même coup fascinant à regarder. Déformé, amputé, malade de lui-même, Ni veux, ni traîtres fut certes peu vu, puisque privé de sortie en salles. Il faut pourtant le considérer comme une étape d’importance dans la trajectoire de Pierre Carles: ici est mort quelque chose – non, disons plutôt: ici est né le doute. Qu’on retrouve dans Volem rien foutre al païs certaines des chutes oubliées sur le sol lors du remontage de Ni veux, ni traîtres (dont les fameux pique-niques et corridas de Bernard Thibaut) permet de célébrer cette naissance et de confirmer la valeur d’une telle démarche auto-dubitative et donc potentiellement autophage (si telle séquence ne convenait pas à tel film, peut-être conviendra-t-elle au suivant). Vigoureux, vivant, mouvant, Volem rien foutre al païs témoigne d’une pratique documentaire destinée à perdurer, bien que, pour l'instant, sans doute plus imparfaite. Mais sa vivacité stimule tant et si bien, qu’elle emporte le morceau.

par Guillaume Massart

En savoir plus

Le débat, que nous enregistrâmes comme nous pûmes (on s'excuse par avance pour la qualité du fichier, qui reste cependant tout à fait écoutable), fut donné le vendredi 16 février dernier, à 20h30, Sallle Olympe de Gouges, dans le 11ème arrondissement de Paris. Le cinéaste Laurent Roth distribuait la parole entre Stéphane Goxe, Roger Ikhlef, les économistes Liêm Hoang-Ngoc et Serge Latouche, et le public. Un grand merci à Soizik Moreau et Chloé Lorenzi.

Quelques liens :

Partenaires