Vie est un miracle (La)

Vie est un miracle (La)
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Vie est un miracle (La)
Serbie-et-Monténégro, 2004
De Emir Kusturica
Scénario : Ranko Bozic, Emir Kusturica
Avec : Vuk Kostic, Natasa Solak, Slavko Stimac, Vesna Trivalic
Durée : 2h34
Sortie : 12/05/2004
Note FilmDeCulte : *****-

Luka est un ingénieur sans histoire, chargé de moderniser une ligne de chemin de fer. La guerre éclate. Son fils part au combat, sa femme le quitte. Sa vie bascule quand il reçoit la garde d'une prisonnière mulsumane et en tombe amoureux.

KUSTULAND

Six longues années séparent Chat noir, chat blanc de La Vie est un miracle. On retrouve pourtant intact le talent visuel d'Emir Kusturica, son univers baroque et foisonnant, son sens rabelaisien du cinéma. Que raconte au juste son nouveau film? L'immortalité de l'amour - rien que ça -, dans une version balkanique de Roméo et Juliette de William Shakespeare. Dès les premières minutes, une farandole d'images et de sons nous transportent et nous poussent sur de vertigineuses montagnes russes qui enfilent à toute allure les gags et les scènes d'hystérie collective. Ingénieur des chemins de fer voué à sa tâche, Luka est d'abord un simple spectateur. Il ne pense qu'à l'avenir de son fils Milos, jeune footballeur qui rêve de jouer au Partizan de Belgrade et, comme les personnages d'Underground, semble ignorer les signes avant-coureurs de la fracture à venir: un match de foot qui se termine en pugilat, les trafics mafieux qui s'amplifient depuis la mort de Tito, les tristes nouvelles transmises par la télévision. Seuls comptent l'instant présent et la réalisation de la maquette harmonieuse mise au point dans son grenier.

TRISTE BORDEL

Et puis la guerre finit par éclater malgré les promesses des militaires. Le petit monde de Luka s'écroule. Lui qui refusait d'envisager de tels événements, qui ne comprenait pas pourquoi son fils ne pouvait plus dîner avec la famille de son meilleur ami musulman, devient l'acteur d'un conflit qui le dépasse. Milos est fait prisonnier, son épouse le quitte pour un musicien hongrois. Il doit garder comme otage une jeune femme du camp d'en face. Heureusement la vie est un miracle, l'amour ne s'embarrasse pas des frontières géopolitiques. Le Serbe tombe amoureux de la Bosniaque, et réciproquement. Emir Kusturica concentre alors son récit sur les deux tourtereaux, seuls au milieu du chaos. Il met en scène de purs moments de grâce. Sous les bombardements qui redoublent de violence, le couple se rapproche peu à peu, uni par la peur et le désir naissant. Contraints à l'exil, les deux amants trouvent refuge dans une maison reculée en pleine nature et apprennent à vivre ensemble. La passion les éloigne de la triste réalité. Ils glissent enlacés le long d'une butte, font l'amour sous une chute d'eau et imaginent une vie meilleure aux antipodes.

LE TOURBILLON DE LA VIE

"Les grands films sont ceux qui parviennent à s'affranchir de leur postulat de départ pour amener le spectateur sur des terrains inconnus.", a écrit un éminent critique. Si cet adage est vrai, La Vie est un miracle est un chef-d'oeuvre. Expert du contre-pied (son amour du football?), Emir Kusturica multiplie les rebondissements, les changements de ton et les pics de tension. Il passe du rire aux larmes, de la grosse farce à la mode slave, avec ménagerie omniprésente et vodka qui coule à flot, au drame sentimental avec une aisance incroyable. Bien sûr cet excès de péripéties, ce mouvement perpétuel, ces aller-retours incessants entre la grande Histoire et la "guerre privée" que mène Luka pour retrouver son fils et ne pas quitter sa belle, provoquent parfois un sentiment de trop-plein, l'envie irrépressible de baisser le son et de retrouver un peu de calme. Mais l'énergique Barnum du poète des Balkans ne connait pas de répit. Les détails occupent l'écran jusqu'à l'écoeurement. Au premier plan, une jeune femme regarde un homme avec les yeux de l'amour, au second plan un chat profite de cette inattention pour chaparder de la nourriture puis au fond, un train de contrebande passe alors que fusent les tirs croisés des assaillants.

LIBERTE DE PENSER

Certains reprochent encore à Emir Kusturica de ne pas prendre partie, de renvoyer dos à dos les différents protagonistes du conflit et de montrer un officier serbe sympathique. Comme si forcément la jeune recrue enrôlée de force par l'armée était un tueur en série et qu'il ne pouvait pas exister, de chaque côté, des personnes conscientes de l'absurdité d'une telle guerre de voisinage. Le cinéaste ne cherche pas à expliquer les raisons qui ont amené les gens de son pays à s'entre-déchirer. Il en montre juste les conséquences: des jeunes soldats inexpérimentés qui tirent à l'envers, des fous qui deviennent des brutes sanguinaires et des pourris qui s'enrichissent et sniffent de la coke sur les rails du chemin de fer. Luka et Sabarah cherchent parfois à se trouver des différences culturelles pour expliquer comment elle a pu devenir sa prisonnière. En vain, musulman ou serbe, les expressions linguistiques sont les mêmes, les adages souvent identiques et tous apprécient "la marmite bosniaque". "La vie est un miracle", clame le réalisateur avec un optimisme désespéré mais la magnifique histoire d'amour de son long métrage s'apparente de plus en plus à un jeu de l'esprit.

par Yannick Vély

En savoir plus

Revue de presse: Le nouveau film d'Emir Kusturica a reçu un accueil très favorable lors de sa présentation à Cannes. Si Chronicart évoque un essouflement du cinéaste et Libération un contenu idéologique douteux, les louanges pleuvent: "séquences d'anthologie" pour Studio, fresque délirante pour Télérama... La Vie est un miracle pourrait donc figurer au palmarès du 57e Festival de Cannes, surtout grâce à son acteur étonnant, Slavko Stimac.

La Vie est un miracle est la troisième collaboration d'Emir Kusturica avec l'acteur Slavko Stimac après Te Souviens-tu de Dolly Bell ? et Underground.

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