Emir Kusturica

Emir Kusturica
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Réalisateur, Scénario, Acteur, Producteur
Serbie-et-Monténégro
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Le monde du cinéma peut remercier Bernard-Henri Lévy. Sans la nullité du Jour et la nuit, l'inénarrable navet de notre intellectuel à chemise blanche, Emir Kusturica aurait selon ses dires arrêté de filmer. Lassé de la polémique autour de son film Underground, fatigué de devoir porter le fardeau d'une nationalité devenue préjudiciable, le poète des Balkans avait songé à mettre un terme à sa carrière cinématographique pour se consacrer à ses deux grandes passions, la musique et le football.

YOUGOSLAVIE, MON AMOUR

Le Festival de Cannes 1995 aurait dû être la consécration pour le fils spirituel de Federico Fellini. Pour son sixième long métrage de fiction, Underground, Emir Kusturica entrait dans le club très fermé des réalisateurs doublement palmés d'or. Mais voilà, un article assassin d'Alain Finkelkraut dans Le Monde allait écourter son bonheur. La charge était particulièrement rude. Emir Kusturica était accusé des pires maux et surtout de complicité de crimes de guerre par omission. Pour le "philosophe", le jury cannois présidé par Jeanne Moreau "a porté aux nues la version rock, postmoderne, branchée, américanisée et tournée à Belgrade de la propagande serbe la plus radoteuse et la plus mensongère". Tant pis si Alain Finkelkraut n'avait pas vu le film au moment d'écrire son pamphlet (ce qui donnera naissance au personnage joué par Luchini dans Rien sur Robert), si Emir Kusturica était tout sauf dans les petits papiers du régime de Milosevic et si Underground n'était en rien un brûlot pro-Grande Serbie. Le mal était fait. Toujours prompte à suivre un avis clamé haut et fort, la critique a embrayé le pas et descendu en flèche son ancien enfant chéri, coupable de ne pas être du côté du nationalement correct, lui le natif de Sarajevo à la famille principalement bosniaque. Son seul crime? Rêver d'une Yougoslavie unie et non pas déchirée.

JOYEUX BORDEL

Jusqu'ici, sa trajectoire était rectiligne. Après des études à la prestigieuse université de Prague comme son modèle Milos Forman, Emir Kusturica devient rapidement un grand nom du cinéma mondial, le chouchou des festivals du monde entier. Dès son premier film, Te souviens-tu de Dolly Bell?, version serbo-croate d'Amacord, il cumule les récompenses: Lion d'or de la meilleur première oeuvre à Venise en 1981, une première Palme d'or pour Papa est en voyage d'affaire en 1985, le prix de la mise en scène à Cannes pour Le Temps des gitans en 1989, l'Ours d'argent au Festival de Berlin pour Arizona Dream en 1993. Au fil des années, il est parvenu à imposer une signature inimitable. Son cinéma singulier, baroque et barré, traversé de fulgurances poétiques imparables, s'adapte à chaque sujet pour établir un langage onirique universel. Peu de choses unissent a priori une femme célibataire un peu fêlée du fin fond de l'Arizona, un enfant qui s'imagine footballeur dans la Yougoslavie communiste de Tito et un tzigane obligé de partir sur la route pour retrouver sa soeur. Mais l'art d'Emir tient justement dans cette faculté à raconter des histoires insensées, en y intégrant son univers personnel et son bestiaire fantasmagorique. Dans une récente interview, il a confié son récent coup de coeur pour Big Fish de Tim Burton. Aucune surprise à cela, tant il semble partager avec l'auteur de Burbank la même douce mélancolie et le goût pour les extravagances formelles.

MUSICA MUSICA

Pour se ressourcer et ne pas laisser la colère s'exprimer sur les écrans, Emir Kusturica s'est offert une pause. Bien sûr, entre Underground et La Vie est un miracle, il y a eu Chat noir, chat blanc, comédie romantique irrésistible, bouffonnerie jubilatoire dans laquelle le cinéaste enfile les péripéties comme des perles. Mais de son propre aveu, il s'agit là d'un film léger, d'une petite récréation pour ne pas rouiller et perdre la main. Non, les huit longues années qui séparent ses deux projets majeurs, il les consacre à la grande affaire de sa vie: la musique. Enfant, Emir Kusturica s'imaginait rock star et ce n'est pas un hasard s'il a cité le leader des Sex Pistols au moment de recevoir sa seconde Palme d'or. Son premier fait d'arme de provocateur-né est d'avoir été le bassiste d'un groupe punk qui a défrayé la chronique dans le début des années 80 avec des textes très engagés. En 1994, la formation reprend vie sous le doux nom de No Smoking orchestra pour un album et une longue tournée internationale que le documentaire Super 8 Stories capte dans sa démesure très slave. Fâché avec son compositeur attitré, Goran Bregovic, il signe désormais ses propres musiques de film et attend avec impatience la fin de la promotion de son dernier long pour reprendre la route, guitare à la main. A moins qu'il ne préfère les terrains de football. Dingue du ballon rond, ancien joueur de talent, Emir Kusturica envisage de porter au cinéma la vie tumultueuse de son idole, Diego Maradona. Un rebelle comme lui, adulé un temps puis porté aux gémonies.

par Yannick Vély

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