Vers l'autre rive

Vers l'autre rive
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Vers l'autre rive
Kishibe no Tabi
Japon, 2015
De Kiyoshi Kurosawa
Scénario : Kiyoshi Kurosawa
Avec : Tadanobu Asano
Durée : 2h08
Sortie : 30/09/2015
Note FilmDeCulte : *****-
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Un homme, Yusuke, disparu en mer il y a trois ans, revient un jour auprès de son épouse Mizuki. Yusuke lui propose un voyage en sa compagnie consistant à rendre visite à toutes les personnes qui lui ont rendu service durant sa disparition. Alors qu'ils voyagent ensemble, Mizuki voit, touche et ressent ce que Yusuke a fait pendant trois ans. Pourquoi est-il soudainement revenu ?

LE FANTOME ET MADAME MIZUKI

"On va tourner un petit film japonais", nous avait confié avec modestie et nonchalance Kiyoshi Kurosawa, l'an passé, au sujet de Vers l'autre rive. La place de Kiyoshi Kurosawa dans le cinéma contemporain est assez paradoxale. Il n'a pas été tellement reconnu dans les plus grands festivals mondiaux (à Cannes, il n'est venu qu'une seule fois en compétition, et ce Vers l'autre rive n'a été retenu "qu'à" Un Certain Regard), il oeuvre essentiellement dans le cinéma de genre (et dans un des genres les plus mal aimés: l'horreur)... Pourtant, film après film, le cinéaste confirme qu'il est l'un des plus grands metteurs en scène au monde. Splendeur formelle, Vers l'autre rive regorge d'images marquantes. Ici, un plan renversant de beauté avec un travelling enveloppant les deux héros dans la nature, le visage tourné vers la lune. Là, un gros plan extrême sur le visage d'un spectre, un rayon de lumière lui traversant le visage : on croirait voir resurgir ce fantôme qu'on peut toucher dans l'une des scènes les plus connues de Kaïro. Là encore, en contrepoint, des images silencieuses sur un crépuscule. Vers l'autre rive est déjà une réussite rien que par son éclatante mise en scène, qui aurait largement mérité un prix... s'il avait été en compétition.

Vers l'autre rive s'ouvre par quelques notes péniblement exécutées sur un piano. La fillette se retourne et cherche, si ce n'est des félicitations, au moins une approbation. La scène est l'envers de celle vue dans Tokyo Sonata, qui s'achevait par la prestation formidable du gamin de la famille au piano, dont le succès n'est remis en cause par personne. Ici, les notes sonnent un peu faux. Comme le quotidien de Mizuki (Eri Fukatsu), qui semble avoir repris son cours malgré la disparition mystérieuse de son mari Yusuke (incarné par la star Tadanobu Asano). Un léger mouvement de caméra découvre le salon derrière le visage de Mizuki. De la profondeur de champ, de la pénombre: ceux qui connaissent Kurosawa savent qu'il est l'heure des fantômes (et il n'y a pas meilleur au monde pour filmer des fantômes que le cinéaste japonais).

"Il n'y a rien de plus dramatique qu'un fantôme". Les mots de TS Eliot s'appliquent à une bonne partie de la filmographie de Kiyoshi Kurosawa. Mais les fantômes de Vers l'autre rive (car il n'y en a pas qu'un) ne sont plus si dramatiques. Leurs apparitions obéissent aux codes du genre établis par les aînés de Kurosawa: la variation expressionniste de la lumière comme les ruptures sonores (lorsqu'apparaît un grand mur de fleur, lorsque le visage de Yusuke est étrangement éclairé lors d'un discours) annoncent le surnaturel, même s'il n'est pas évident à l'image. "Il n'y a pas de raison d'avoir peur", entend-on.

Oui, il y a des fantômes vers l'autre rive, certes, l'atmosphère peut parfois être lugubre. Mais la musique en décalage, outrageusement mélodramatique comme un clin d'oeil à Bernard Herrmann, donne un indice. L'acceptation du deuil est traitée sur le ton du conte fantastique. Comme souvent chez le cinéaste, on finit par ne plus distinguer les vrais fantômes des humains fantomatiques. L'héroïne et une ex-collègue de son mari qui entament un dialogue passif-agressif sont filmées comme des spectres. Mizuki, morose, a l'air plus absente que Yusuke, avec son imper... orange fluo. A l'image de la discussion sur les particules, ces fantômes qui ne pèsent rien existe t-il ? Chez le cinéaste, bien sûr, encore faut-il savoir de quoi le fantôme est le nom : de la jeunesse morte-vivante de Kaïro, de la culpabilité dans Séance, d'un souvenir dans Rétribution, ou du deuil ici. La structure épisodique rappelle le travail du cinéaste sur la série télévisée Shokuzai, et se prête idéalement à ce récit d'apprentissage. Tragique, comme le destin de l'héroïne ou celui de ce fantôme qui, image stupéfiante, noircit à l'écran. Mais apaisé aussi, par le regard que Kurosawa porte sur l'au-delà, sur la perte et la reconstruction. Ce "petit film"-là est rempli d'immenses qualités.

par Nicolas Bardot

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