Une aventure

Une aventure
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Cécile et Julien viennent d’emménager ensemble. Ils s’aiment. Un soir, en rentrant de son travail, Julien rencontre Gabrielle, une jeune femme égarée dans la nuit, pieds nus, en état de choc, énigmatique. Il va la suivre, tout risquer pour approcher son secret. Il y a un autre homme, Louis. Julien se laissera entraîner, s’abandonnera, jusqu’au crime.

CE N'EST QUE DU CINEMA...

Où se dirige le cinéma de Giannoli? Alors que son premier film, brutal et sensible, cherchait ouvertement sa voie du côté de Maurice Pialat, le cinéaste des Corps impatients prend ici le parti de surprendre, de brouiller les pistes avec un second métrage pourtant aux allures de prime abord familières. Triangle amoureux: un couple au début de son histoire, un élément perturbateur et malade; si la forme diffère (le cinéaste prend le temps de poser sa caméra, son montage se fait plus circonspect), le postulat reste le même. Mais là où Giannoli tentait dans Les Corps impatients, par le biais d'un naturalisme appuyé, de trouver une certaine véracité, il fait ici du cinéma, du vrai; intime, profond, certes, mais ouvertement chimérique. L'on se gardera bien de chercher cette fois des influences quelconques (même si le jeu pourrait s'avérer fructueux, ne serait-ce qu'avec la tutelle de Barbet Shroder - qui fait une apparition dans le film). On n'aura en revanche pas loupé le plan qui ouvre et clôt le film, cette machine impressionnante et quasi divine, qui cherche dans les arcanes de la Vidéothèque de Paris une VHS, pour ensuite l'insérer dans un magnétoscope. "Mais ce n'est que du cinéma", semble nous dire Giannoli - l'allusion ici à Wes Craven n'est pas anodine, même si un rien biscornue, tant Une aventure cherche parfois ses marques dans le cinéma d'horreur. Soit, Une aventure sera donc un film de cinéma, là où Les Corps impatients était la chronique réaliste d'un couple déchiré. Quels que soient la scène, le plan, par tous les moyens aussi bien diégétiques que formels, le cinéaste parvient à prendre le contre-pied de son précédent métrage. On pourrait parler de maturité, mais outre sa lourdeur, la formule paraît un rien hors de propos pour un second film. Alors on se contentera de souligner notamment l'excellence de l'utilisation du son, composée de bruits, de souffles, d'artifices occultes renforçant une atmosphère onirique, ainsi que la direction d'acteurs absolument impeccable (en dépit d'une Ludivine Sagnier un brin décevante, surtout face aux compositions étonnantes de Duvauchelle et Todeschini).

DANS LA CHALEUR DE LA NUIT

Etonnement, bien que les deux films n'entretiennent que peu de rapport, c'est à Lost Highway que l'on pense, dans cette approche clinique et expérimentale par le biais d’un couple, d'un genre, ici le film noir (mais pas seulement) sur lequel le cinéaste viendrait apposer sa patte. Tout comme le chef-d'œuvre de David Lynch, Une aventure fait ainsi figure de linceul sur le corps en décomposition d'un genre vulgarisé: enquête, ambiance trouble et sombre, tournage de nuit, visite des lieux communs au genre (boîtes de nuit), mensonge, hypocrisie, sont les archétypes recrachés par le film... Mais avant tout, l'aventure du titre est celle qui bouleversera la vie de ce couple sinistré, que Giannoli piétine, maltraite, pour les faire quitter cette autoroute perdue sur laquelle ils roulent paisiblement depuis leur rencontre. En attendant le crash, l'accident, Cécile et Julien forment un couple en suspens, en retrait, anodin sans doute, et à la chair triste; lui vit la nuit, elle vit le jour, ils ne se croisent que peu. La jeunesse leur permet probablement de croire que tout est encore possible, mais ils restent au final engoncés dans les obligations d'usage, n'échangeant pas, ne communiquant plus. Ainsi, il devient difficile de dire si l'intrusion brutale et extravagante de Gabrielle dans leur vie représente un danger ou au contraire un échappatoire salvateur pour eux qui, à son contact, progressivement cherchent à reprendre les rênes de leur destin, à deux ou séparément. Notons au passage la réussite de la distribution, Florence Loiret-Caille (Le Chignon d'Olga et plus récemment Peindre ou faire l'amour) confirmant sans mal le bien que l'on pensait d'elle et formant un couple crédible avec le surprenant Nicholas Duvauchelle (dont c'est là le meilleur rôle). Lui ne peut qu'être attiré par le monde fantasmagorique qui s'offre à lui par l'intermédiaire de Gabrielle; elle ne peut qu'observer, de loin, constater l'éloignement progressif de son conjoint, et ponctuer le film de commentaires monocordes (présence très judicieuse ici de la voix off).

LES VISITEURS DU SOIR

"Il ne s’agit absolument pas d’un film sur le somnambulisme, explique le cinéaste... Ce n’en est ni l’anecdote principale, ni le sujet ou l’horizon. Nous avions l’intuition que le somnambulisme serait une piste intéressante vers la vérité humaine de notre personnage, un chemin singulier vers son secret". D’ailleurs l’un des personnages le dit, le somnambulisme n’est pas une maladie, mais un symptôme. Et si ces plans d’une Gabrielle sous hypnose, aux yeux blancs, restent les plus impressionnants du film (notamment ceux filmés en caméra infrarouge), Giannoli donne bien plus à voir et à ressentir que la simple description de ces symptômes. "Gabrielle n’est pas somnambule, elle est amoureuse, continue Giannoli". Soit. Alors Gabrielle se prolonge avec paresse dans une vie qu’elle a fini par accepter, avec cet homme qu’elle n’aime pas et cet enfant qu’elle n’attendait pas. Où se situe la névrose de la jeune femme? Insatisfaite, dépossédée, elle cherche à fuire, littéralement, par le biais de ses rêves et de ses ballades nocturnes. En un sens, le couple composé de Louis et Gabrielle forme le double nocturne, voire maléfique, du couple Cécile – Julien. Transitaire, Gabrielle hésite, amoureuse d’un idéal qu’elle ne trouve pas, attirée par Julien dont elle est l’incarnation des désirs cachés, effrayée par Louis pour lequel elle est chose secrète le jour, et objet qu’on expose la nuit – Todeschini confirme ici qu’il est l’un des plus grands acteurs actuels. C’est toute la force de Giannoli, immense cinéaste en devenir, d’avoir réussi la composition de ce quartet et de ses électrons qui se déplacent d’un pôle à un autre, d’avoir su leur conférer une vie et une existence propre au sein même d’une histoire qui commence par un meurtre, comme le plus banal des romans noirs. Réalisateur unique, naviguant avec grâce et facilité d’un genre à un autre, il n’est pas exclu que Xiavier Giannoli fasse un jour un très grand film.

par Anthony Sitruk

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