Taboor

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Taboor
Iran, 2012
De Vahid Vakilifar
Scénario : Vahid Vakilifar
Durée : 1h24
Note FilmDeCulte : *****-
  • Taboor
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Hypersensible aux ondes électromagnétiques qui l’entourent, un homme voit la température de son corps augmenter de jour en jour. Afin de se protéger, il s’est confectionné une combinaison en aluminium qu’il porte sous d’amples vêtements. Malgré son état physique, l’homme enfourche sa moto à la tombée de la nuit et rend visite à ses clients. Sa mission : désinsectiser les habitations. L’homme plonge chaque soir au coeur de la nuit, parcourant tous les recoins de cette mégapole où le temps semble arrêté, où nulle trace du tumulte de la journée ne demeure. Tout en guettant l’aube, il est confronté aux intrigues de la nuit...

Taboor est un film passionnant. Mais l’est-il parce qu’il est d’une certaine manière à contre-courant du cinéma iranien, ou au contraire parce il est augure d’un éventuel renouveau du cinéma iranien ? Qu’importe, car indépendamment de sa nationalité, il s’agit d’un film dont la singularité est loin d’être l’unique qualité. Taboor n’a qu’un seul personnage ou presque, n’a quasiment aucun dialogue, possède un rythme bien à lui (le réalisateur cite Bela Tarr en influence et ce n’est pas pour rien) et combine tout cela en un résultat résolument moderne, un trip nocturne hypnotisant dans un monde déserté et presque irréel. Ce dernier mot n’est pas employé en vain : Vahid Vakilifar (lire notre entretien) ne se contente pas d’emprunter certains éléments à la science fiction (les usines sont filmées comme d’improbables vaisseaux spatiaux, la ville est déserte comme après une catastrophe nucléaire, réduite à un cocon sonore…), il réalise là un vrai film fantastique. Il ne se passe certes rien de surnaturel dans Taboor (les mauvaises langues diront qu’ils ne s’y passe de toute façon pas grand-chose), mais il témoigne d’une manière de transformer les choses les plus quotidiennes (faire cuire de la viande, changer l’huile d’un moteur) en rituels fantasmagoriques, de débusquer l’inquiétante étrangeté derrière le banal. Et l’inquiétante étrangeté, avec ou sans références SF, c’est déjà du fantastique.

La surprise est d’autant plus grande qu’elle vient d’Iran. Taboor possède effectivement à la base quelque chose de très iranien, une manière d’avoir pleinement confiance au pouvoir dramaturgique des symboles et des métaphores. Dans combien de films iraniens la moindre pomme, le moindre enfant ou la moindre querelle de voisinage devient-elle le symbole de la société entière ? Certains grands cinéastes parviennent, par leur art de la mise en scène, à dépasser ce patron très théorique, mais parmi la récente génération de cinéastes, on avait encore trouvé peu de noms faisant preuve de suffisamment de poigne pour de pas rester dans l’ombre de leur métaphore. Au contraire Taboor en décolle complètement. S’il détonne à ce point du tout-venant du cinéma iranien, c’est précisément parce qu’il est autant à l’écoute du cinéma contemporain que de la société contemporaine. Taboor semble bien plus intéressé par le média cinéma que nombre de ses compatriotes, il n’offre pas une simple illustration de scénario (aussi brillant soit-il)… et quel bol d’air frais ! Paradoxalement, c’est en décollant du réel et du quotidien que le film parvient à rendre ses métaphores plus vivantes qu’ailleurs, et que l’on respire enfin.

Mais Taboor resterait tout aussi brillant s’il venait d’ailleurs. Si corrélation il y a, elle serait peut-être plus à chercher du coté du jeune cinéma grec contemporain. Pas seulement parce que le protagoniste rappelle le motard mutique de L, mais bien par cette manière de trouver le décalage juste, de créer un monde à la fois proche du nôtre et pourtant détaché en permanence de la trivialité quotidienne. Le héros est ici persuadé qu’il va finir brulé vif par les radiations s’il ne porte pas en permanence une improbable combinaison en aluminium. Le danger qu’il court est-il réel ? Peu importe, car Vakilifar prend très au sérieux ce point de départ pourtant complètement décalé. Sans partager nécessairement l’humour de la génération de Yorgos Lanthimos, Vahid Vakilifar témoigne en revanche d’un sens plastique assez stupéfiant. Les scènes de pure contemplation sont souvent impressionnantes, et leur durée ne fait que renforcer leur beauté. Dire que Taboor donne à voir un visage inédit de l’Iran (transformé ici en ville déserte ultra moderne plongée dans le silence de la nuit) ne suffit pas à lui rendre justice. Le film bâtit peu à peu autour de son personnage un univers absurde, splendide et empli de tension sourde, il construit son propre monde et ne ressemble qu’à lui-même. Que demander de mieux ? Taboor ne fournit pas de clé d’interprétation toute prête : dans sa mise en scène comme dans sa manière de parler métaphoriquement d’une société qui broie les individus, il se situe à l’opposé (et nettement au dessus) de films-à-thèses simplistes du mauvais cinéma world. En réalisant une fable fantastique et futuriste plutôt qu’un exposé, Vahid Vakilifar prouve qu’il n’a pas peur de laisser place à l’imagination et l’intuition du spectateur. Une révélation.

par Gregory Coutaut

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