Entretien avec Vahid Vakilifar

Entretien avec Vahid Vakilifar

Lauréat du prix de la critique au Festival De Deauville avec sa fable de science-fiction Taboor, Vahid Vakilifar offre un univers cinématographique singulier, complètement à contre-courant de ses compatriotes, et s’impose comme l’une des révélations de ce début d’année.

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FilmDeCulte : Taboor se base sur un postulat de départ bien réel (l’accumulation des ondes et leurs effets sur l’Homme) mais le traitement que vous en faites n’est pas réaliste. Ce paradoxe faisait-il partie de vos intentions de départ ?

Vahid Vakilifar : Comme vous le dites, c’est un film basé sur quelque chose de réel, quelque chose qui est en train d’arriver tous les jours à tous les êtres vivants. C’est réel mais en même temps c’est déjà quelque chose de presque surnaturel puisque c’est un phénomène que l’on ne peut pas voir à l’œil nu. Ce n’est pas quelque chose de tangible. Le film est donc d’une certaine manière réaliste mais il utilise divers éléments issus de la science-fiction.

FDC : Il y a effectivement dans Taboor des images presque sorties d’un film de science-fiction mais le film possède aussi une ambiance souvent surnaturelle. Est-ce que cela vous convient si l’on voit Taboor comme un film fantastique ?

VV : En réalité je dois vous dire que même moi, au moment où je faisais le film, je ne savais pas tout à fait dans quel genre il pourrait se classer! D’ailleurs, je ne me suis pas imposé de cadre spécifique. J’ai fait un film avec mes propres sentiments et je me suis laissé guider. Si quelqu’un me dit qu’il s’agit d’un film fantastique, je lui répondrai « oui, peut-être ». Si on me dit que c’est de la science-fiction, je répondrai la même chose. Tout dépend de vous, de comment vous recevez le film en tant que spectateur. J’ai réalisé le film, mais le reste appartient désormais aux spectateurs.

FDC : Taboor est justement un film qui laisse beaucoup de place à l’imagination du spectateur.

VV : Dès le départ, je souhaitais que les spectateurs potentiels de mon film ne restent pas passifs. Je voulais qu’ils le voient à travers leur propre prisme. Pour être honnête, à chaque fois que je regarde mon film, j’en pense quelque chose de nouveau, de supplémentaire. Des fois je me dis qu’il est complètement surnaturel, d’autre fois c’est au contraire son réalisme qui me surprendrait presque. Je deviens un spectateur comme un autre !

FDC : Un autre paradoxe intéressant se trouve dans le dénouement. On pourrait croire que ce soleil qui se lève est un symbole positif mais la scène est angoissante, car c’est comme s’il n’y avait plus aucun être vivant. Etait-ce une manière de sous-entendre une apocalypse passée ou à venir ?

VV : Je suis tout à fait d’accord. Je pense comme vous maintenant ! Pour moi cette scène représente ce qui va arriver à l’humanité. Nous nous dirigeons vers cet horizon mais il nous reste encore à savoir s’il s’agit de la mort ou au contraire d’une renaissance possible. A chaque fois que je regarde le film, je souhaite que quelque chose d’extraordinaire arrive à cet homme, je le souhaite de tout mon cœur.

FDC : Pouvez-vous nous parler de votre travail sur l’aspect visuel du film : aviez-vous des références picturales à l’esprit ? Comment avez-vous travaillé avec votre chef-opérateur ?

VV : J’ai gardé pour Taboor la même équipe technique que sur mon premier long-métrage. On était déjà habitué à travailler tous ensemble, et heureusement, nous n’avons eu aucune divergence artistique ou problème de comportement, je touche du bois ! Avant même de vraiment commencer à travailler sur le film, on avait déjà les images en tête, on connaissait déjà les endroits qu’on allait filmer. De manière générale, j’aime bien travailler sur la lumière. Déjà dans mon premier film j’avais adoré utiliser la lumière naturelle. C’était évidemment un challenge différent sur Taboor, vu que tout se passe de nuit. On a ensuite enregistré tous les sons du film en studio, ce qui était un travail très difficile.

FDC : Qu’est ce qui a demandé le plus de travail au final, le travail sur l’image ou sur le son ?

VV : Je dois dire que Taboor possédait effectivement une difficulté majeure : il s’agit d’un film réaliste… qui n’est pas réaliste du tout. Je devais donc créer moi-même cette réalité : c’est à dire à la fois un monde visuel et un monde de sons. Le son a un rôle fondamental dans le film, on a mis seulement quinze jours pour tourner mais on a mis quatre mois pour enregistrer et mixer les sons. Je peux vous dire que toute la deuxième partie de la réalisation de ce film a été consacrée à cet aspect.

FDC : En un sens, Taboor est un film qui rend visibles des choses impalpables (les ondes et leurs effets sur l’homme), mais aussi un film qui transforme des choses réelles en éléments surnaturels (les usines filmées comme des vaisseaux spatiaux). Est-ce que cette définition vous convient ?

VV : Pour moi, Taboor représente le destin des êtres humains qui se réalise dans le monde fantastique du cinéma. La première fois que le public a vu Stalker de Tarkovski, beaucoup de spectateurs étaient décontenancés, ne savaient pas dans quel cadre le classer, mais le film a su montrer qu’il n’y a pas forcément toujours besoin d’expliquer un film pour l’apprécier.

FDC : Taboor est à l’évidence un film très différent du cinéma iranien tel qu’on le connaît ici. Le film a-t-il été vu là-bas ? Comment a-t-il été reçu ?

VV : Oui, le film a été diffusé dans le cadre du principal festival à Téhéran, mais je ne suis pas sûr que les cinémas trouveraient beaucoup d’intérêt à le diffuser en salles. Il y a cependant une nouvelle génération de cinéastes en train de se forger en Iran, avec un nouveau point de vue et de nouvelles méthodes, et qui essaie de se démarquer du reste du cinéma iranien. Je suis sûr qu’on va faire une nouvelle révolution, au moins au niveau du cinéma.

FDC : Dans n’importe quel pays, la singularité du film aurait été un frein évident à son financement. J’imagine que le problème est le même en Iran ?

VV : Mais vous savez le budget de ce film c’est uniquement moi et ma femme ! Ça m’étonnerait beaucoup qu’un producteur veuille placer de l’argent dans un tel film. Heureusement nous n’avions pas besoin d’un budget gigantesque.

FDC : Même si le filme ne vise pas le réalisme social, vous y montrez en toile de fond un visage de l’Iran auquel ni le cinéma ni les médias ne nous habituent ; un univers urbain finalement très moderne, désert et silencieux. Cela faisait-il partie de vos intentions initiales où s’agit-il d’une interprétation trop terre-à-terre à vos yeux ?

VV : Je pense que chaque réalisateur dans le monde, à chaque film qu’il réalise, ne fait qu’interpréter l’endroit d’où il vient, que cela se fasse consciemment ou non. Tous les films sont des interprétations des lieux où vit leur réalisateur. Moi-même je viens d’Iran, et même si ce n’est pas forcément mon intention première, il est normal que mon film vous informe d’une certaine manière sur la vie en Iran. Ceci dit Taboor ne parle pas d’une société précise, le protagoniste pourrait vivre dans n’importe quelle société du monde. En même temps, le film témoigne d’une modernisation qui est en train d’avoir lieu actuellement en Iran. C’est quelque chose que je tenais à montrer. Je voulais montrer une société en train d’avancer vers une mondialisation, mais qui cherche à garder son individualité. Je ne sais pas si j’ai vraiment réussi à retranscrire cet aspect, mais c’est pour ça que le protagoniste prend ses distances avec la société qui l’entoure. Il crée son propre monde pour mieux devenir un individu à part entière.

FDC : D’où vient le titre du film ?

VV : Taboor est un terme traditionnel venu de Mésopotamie qui signifie « embryon de la terre. » Cela désigne le lieu où, selon d’anciennes croyances, le monde était crée. C’est également de cet endroit que descend l’Humanité, l’esprit humain.

FDC : Taboor donne effectivement l’impression d’évoluer sans cesse entre le monde réel et ailleurs, mais aussi entre la vie et la mort, le héros évolue presque dans des limbes, il ne croise presque aucun être humain…

VV : Je suis d’accord avec votre analyse. En fait l’univers trouve son équilibre dans la division entre deux aspects fondamentaux : la mort et la vie. L’attitude habituelle de l’Homme consiste à essayer sans cesse de se protéger de la mort, mais la réalité est que cette « moitié » du monde est inévitable. On va tous finir par mourir, mais cela ne signifie pas pour autant que nous n’allons pas renaître à nouveau par la suite.

FDC : Pour finir, une question à laquelle vous n’êtes pas obligé de répondre. La réussite du film vient en grande partie de sa manière de laisser planer le mystère et de laisser place à l’interprétation du spectateur. Est-ce qu’on pourrait tout de même en savoir un peu plus sur ce qui se passe dans cette maison entre le protagoniste et le nain ?

VV : Alors j’ai deux réponses, mais je ne vais vous en fournir qu’une, je garde la seconde pour moi (rires) ! En fait c’est très symbolique. Ce que je voulais montrer c’est que les gens qui sont très riches, les gens qui possèdent le pouvoir, sont en fait des gens à qui on ne devrait donner aucune importance, ce sont des gens qu’on devrait finalement considérer très petits, des nains. On donne un rôle extraordinaire à des gens qui sont en fait très mineurs. On leur donne beaucoup trop de pouvoir, et en leur donnant du pouvoir on se place nous–mêmes dans une relation sadomasochiste vis-à-vis d’eux. D’un coté nous avons tous déjà été trahis par les gens au pouvoir, ces derniers font souvent preuve de sadisme. Mais d’un autre coté on s’est accommodé de ces situations de domination, on a fini malgré nous par devenir masochistes. Les deux protagonistes de cette scène passent un pacte : chacun accepte que l’autre lui tire dessus pour se défouler, pour se calmer. Ils se tirent dessus chacun leur tour, et les deux partis y trouvent leur compte. Le monde continue de fonctionner de la même façon et finalement, entre dominants et dominés, on se ressemble.

Interview réalisée le 9 Mars au Festival de Deauville. Merci à Clément Rébillat.

par Gregory Coutaut

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