The Social Network

The Social Network
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Social Network (The)
États-Unis, 2010
De David Fincher
Scénario : Aaron Sorkin d'après d'après le livre de Ben Mezrich
Avec : Jesse Eisenberg, Andrew Garfield, Armie Hammer, Justin Timberlake
Photo : Jeff Cronenweth
Musique : Trent Reznor, Atticus Ross
Durée : 2h01
Sortie : 13/10/2010
Note FilmDeCulte : ******
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Une soirée bien arrosée d'octobre 2003, Mark Zuckerberg, un étudiant qui vient de se faire plaquer par sa petite amie, pirate le système informatique de l'Université de Harvard pour créer un site, une base de données de toutes les filles du campus. Il affiche côte à côte deux photos et demande à l'utilisateur de voter pour la plus canon. Il baptise le site Facemash. Le succès est instantané : l'information se diffuse à la vitesse de l'éclair et le site devient viral, détruisant tout le système de Harvard et générant une controverse sur le campus à cause de sa misogynie. Mark est accusé d'avoir violé intentionnellement la sécurité, les droits de reproduction et le respect de la vie privée. C'est pourtant à ce moment qu'est né ce qui deviendra Facebook. Peu après, Mark crée thefacebook.com, qui se répand comme une trainée de poudre d'un écran à l'autre d'abord à Harvard, puis s'ouvre aux principales universités des États-Unis, de l'Ivy League à Silicon Valley, avant de gagner le monde entier. Cette invention révolutionnaire engendre des conflits passionnés. Quels ont été les faits exacts, qui peut réellement revendiquer la paternité du réseau social planétaire ? Ce qui s'est imposé comme l'une des idées phares du XXIe siècle va faire exploser l'amitié de ses pionniers et déclencher des affrontements aux enjeux colossaux.

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Si le public réserve au film le même accueil que les critiques américaines, nombreux sont ceux qui devront ravaler leur salive. En effet, à l’annonce du projet, et même aujourd’hui, beaucoup voient encore The Social Network comme "le film sur Facebook" (à prononcer sur un ton dédaigneux). Malgré l'embauche de l'illustre Aaron Sorkin (A la maison blanche) au scénario, puis de David Fincher à la mise en scène, l'ouvrage était considéré comme une vénale tentative de surfer sur un phénomène déjà pas du goût de tous. Toujours prête à cracher sur le moindre projet hollywoodien et manquant cruellement d'imagination et de jugeote, cette populace n'avait pas pris en compte le potentiel offert par les coulisses de la création du célèbre site, de la dramaturgie inhérente aux personnages de cette histoire au propos sur internet qu'il recèle. S'inspirant d'illustres prédécesseurs cinématographiques, The Social Network tire le meilleur de sa double parenté. Ensemble, Sorkin et Fincher ont su dresser le portrait de ce début de XXIe siècle par le biais d'un homme, Mark Zuckerberg, créateur du plus important réseau social au monde...alors qu'il n'a même pas 20 ans. Scénariste et metteur en scène y insufflent leurs styles et thèmes de prédilection, accouchant d'une oeuvre en apparence simple et pourtant incroyablement dense, peignant subtilement le tableau d'une ère nouvelles tout en brassant des thématiques universelles.

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Il y a quelque chose chez Aaron Sorkin qui tient du génie. Les monologues qu'il fait réciter à ses personnages s'apparentent tantôt à de grandes déclarations galvanisantes dont l'emphase parvient à transcender le rare didactisme qu'on pourra y trouver, et tantôt à des soliloques cinglants leur interlocuteur par le pur pouvoir du verbe. Quant aux dialogues, ils se font par échanges rapides et parfois par répétition, créant non seulement une dynamique à la fois éprouvante et entraînante, mais un comique qui ne prend jamais le dessus sur le fond de la scène. Il parvient à insuffler une légèreté salutaire à des séquences très bavardes. Du coup, on obtient une écriture évoluant habilement entre légèreté et gravitas, passant harmonieusement de l'un à l'autre, cocktail parfait pour ce genre de récit contant l'Histoire, grande ou petite. Outre cette indéniable grâce, le scénariste fait également preuve de talent dans la manière dont il donne la part belle à ses personnages plutôt qu'à ses intrigues, composant une galerie d'êtres humains véritables et attachants (dans ce domaine, on parle de séries qui sont character-driven ou plot-driven). C'est sans doute pourquoi il est plus à l'aise lorsqu'il travaille pour la télévision, développant sur plusieurs épisodes ces protagonistes dans tout ce qu'ils ont de plus humains. En revanche, lorsqu'il écrit pour le cinéma, et plus particulièrement quand il s'inspire de faits réels, il lui est obligatoire de s'approcher au plus près des faits. Non seulement doit-il demeurer authentique dans la représentation de personnes réelles à l'écran, mais en plus celles-ci doivent partager l'affiche avec le récit, qui nécessite d'être raconté in extenso en deux heures. Le brio de Sorkin devient alors son plus grand atout mais également un piège. Le récit se fait incroyablement léger et passe comme une lettre à la poste mais ne dispose pas du même temps pour développer ses personnages. C'était quelque peu le problème de La Guerre selon Charlie Wilson, qu'il avait écrit pour Mike Nichols. Cependant, cette fois-ci Sorkin rectifie le tir. Et la caractérisation est bel et bien là même si elle se fait plus subtile. Trop pour certains qui risquent de s'arrêter à l'aspect factuel du film, comme pour le film de Nichols, et de n'y voir qu'une (très) bonne exposition des secrets derrière Facebook.

FLAG

Le parent le plus proche de The Social Network n'est pas le film de Nichols mais Les Hommes du Président. A l'instar du chef d'oeuvre d'Alan J. Pakula, il s'agit de l'adaptation instantanée d'un livre relatant des faits survenus à peine quelques années auparavant - alors que l'on nage encore en plein dans les conséquences - en un film de deux heures qui va à toute allure dans sa narration, avec peu de points d'ancrages émotionnels auxquels se rattacher. Néanmoins, Cependant, l'ouvrage n'est pas exempt d'empathie pour ses personnages. Si Eduardo Saverin, meilleur ami et collaborateur de Zuckerberg, incarne le coeur moral du film, avec qui il est facile de sympathiser, la véritable figure tragique est Zuckerberg. S'inspirant de Citizen Kane dont il épouse la structure en remplaçant les entretiens par des dépositions, Sorkin dépeint le jeune prodige de manière nuancée, faisant de lui quelqu'un d'à la fois détestable et touchant. Tout comme chez Orson Welles, le coeur de The Social Network est contenu dans sa première scène. A l'exception près que dans le cas présent, on apprend d'emblée la nature du "Rosebud" de Zuckerberg : une fille. Cette fille s'appelle Erica et est un personnage crée presque de toute pièce par Sorkin, s'écartant habilement de la réalité pour mieux former son propos, afin de donner un début d'explication aux actions de son anti-héros, qui tient du coup autant de Charles Foster Kane que de Jay Gatsby, abattant tous ces efforts...pour se faire remarquer par UNE fille. Déjà dans sa pièce The Farnsworth Invention, relatant la naissance de la télévision via la lutte entre David Sarnoff, patron de la RKO et visionnaire, et Philo Farnsworth, jeune provincial qui inventa le tube cathodique dans sa grange, Sorkin évoquait les troubles de la création et les dangers du business. Initialement, cette pièce devait être un film et Thomas Schlamme, fidèle collaborateur du bonhomme, devait le réaliser. A l'époque, il le décrivait comme "un conte classique américain de la guerre pour la propriété de l'invention la plus influente du XXe siècle." The Social Network pourrait être défini de la même manière, à un siècle près.

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Le film est en partie une étude de ce qui nous pousse à la création. Et la réponse semble être l'insécurité. Dans l'ombre de tous ces faits qui s'enchaînent, ces anecdotes qui forment l'Histoire de Facebook, il y a un homme, désespérément en quête d'acceptation sociale et semblablement incapable de créer un lien. Et c'est lui qui va créer le plus grand réseau social" du net. C'est là que le titre (qui était initialement The Social Experience) prend tout son (double) sens, vu qu'il désigne également ce besoin d'intégration dans une communauté. Sans tomber dans la condamnation bête et méchante de vieillard dépassé, Fincher et Sorkin présentent tout de même un certain scepticisme face à Internet et en particulier ce genre de réseaux sociaux, où l'on peut se faire 500 amis sans ne jamais connaître personne, et mettent évidemment en relation ce contraste entre la solitude de Zuckerberg et tous ces bénéfices factices qu'il acquiert avec le succès et la célébrité ("we have groupies"). L'exercice n'est pas sans ironie. Arroseur arrosé, Zuckerberg, créateur du site tant controversé pour sa politique sur la non-protection d'informations relatives à la vie privée, voit ainsi sa personnalité mise à nue.Une solitude que l'étudiant doit en grande partie à son arrogance, un trait de caractère qui découle de sa très grande intelligence. Rarement les bons mots et la rapidité des répliques de Sorkin n'auront sonné plus juste que dans la bouche de Jesse Eisenberg, dont les précédents rôles dans des films comme Zombieland semblaient le prédestiner à interpréter Mark Zuckerberg. Par le passé, les mauvaises langues ont dit de Sorkin qu'il se regarde écrire, que personne ne parle comme ça dans la vraie vie. Ce n'est pas pour rien que le scénariste est fasciné par les microcosmes constitués de gens intelligents. Ils sont avocats, criminels manipulateurs, Présidents, inventeurs, scénaristes...évidemment qu'ils vont parler de la sorte. Si passer pour un poseur de la prose est le prix à payer, le jeu en vaut la chandelle et l'on peut se réjouir de voir le scénariste prêter à ses protagonistes, qu'ils travaillent à la Maison Blanche ou qu'ils soient étudiants à Harvard, sa voix sans pareil.

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Cette voix aura su trouver une résonance dans l'esprit de David Fincher, reconnaissant dans le manuscrit des aspects thématiques qu'il a déjà traité autrefois et y voyant la possibilité de donner, dix ans après, comme une réponse à son film le plus connu. Ayant émergé d'un nid bouillonnant d'artistes de clips et de pubs au sein de la compagnie de production Propaganda, Fincher s'était déjà intéressé à ce genre de foyer de jeunes talents destiné à être dévoré par la machine lorsqu'il s'était attaché au Seigneurs de Dogtown (éventuellement réalisé par Catherine Hardwicke). En surface, on retrouve des similitudes avec Zodiac, première fois que le cinéaste s'attaquait à une histoire tirée de faits réels et déjà sous l'influence des Hommes du Président, dans le genre (du film d'enquête), dans la structure atypique (pas de construction classique en trois actes) et dans les grandes lignes. Cela dit, c'est plutôt avec Fight Club que The Social Network forme une sorte de diptyque officieux. En fait, le nouvel opus de David Fincher apparaît comme un Fight Club post-Zodiac. S'inspirant à nouveau de faits divers, Fincher signe un Fight Club plus réaliste, plus "mature", où Tyler Durden a perdu et s'est rangé. Tout comme le personnage d'Edward Norton, Zuckerberg est un mec malin. Et comme lui disait Tyler Durden, "comment ça marche pour toi, d'être malin?". Au lieu d'une star du cinéma comme Brad Pitt, Fincher est parti cette fois chercher une pop star, Justin Timberlake, pour camper Sean Parker, l'entrepreneur fondateur de Napster, le site qui a libéré la musique, à présent rentré dans les rangs de l'establishment, qui vient corrompre le jeune Zuckerberg, jusqu'alors un hacker autrement plus anar, mais soudainement charmé par ce double, qui répète les mêmes phrases que lui, et pour qui il va éprouver un désir d'émulation. Initialement, Zuckerberg ne veut pas de pub sur son site et ne veut pas vendre. Zuckerberg est un mec qui s'amuse à tricher à ses examens en utilisant comme pseudonyme Tyler Durden (clin d'oeil quasiment invisible dans le film qui souligne néanmoins la parenté entre Zuckerberg et le narrateur de Fight Club). Jadis, Zuckerberg a envoyé chier Microsoft qui souhaitait lui acheter un logiciel de comparaison de goûts musicaux, et l'a mis en ligne de manière à ce qu'il puisse être téléchargé gratuitement. Comme Parker avec Napster. Et il suivra le même parcours. Aujourd'hui, il est le plus jeune milliardaire du monde. Aujourd'hui, Tyler Durden a perdu. Aujourd'hui, Tyler Durden s'est rangé.

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Formellement aussi, Fincher fait le lien avec Fight Club. Tout d'abord, il est retourné chercher son directeur de la photographie de l'époque, Jeff Cronenweth, qu'il a convaincu de venir travailler sur ce film en décrivant celui-ci comme "une comédie noire, comme Fight Club". Ainsi retrouve-t-on cet éclairage sombre et brunâtre, empreint de mélancolie, couleur Mona Lisa. Le réalisateur s'est également tourné une fois de plus vers des artistes issus de la scène rock industriel/electro pour composer la bande originale du film. Après The Dust Brothers, c'est Trent Reznor (du groupe Nine Inch Nails) et Atticus Ross qui, déjouant les attentes, signent une partition à la fois douce et menaçante, lorgnant même parfois du côté de Wendy Carlos (Orange mécanique) lors d'une reprise synthétisée de Dans l'antre du roi de la montagne de Grieg, pour satiriser une scène de course d'aviron. Cette séquence, l'une des rares dans le film dont la mise en image se fait voyante, soulignant l'effort mécanique des athlètes, isolés dans le cadre comme seuls parties nettes du plan, symbolise la défaite, à plus d'un titre, des Winklevoss. La plupart du temps, la mise en scène demeure plus sage. La forme ludique de Fight Club laisse place au Fincher post-Zodiac, plus mûr et plus subtil. Si The Social Network apparaît à première vue comme son film le moins ambitieux formellement, l'auteur n'est pas pour autant absent derrière la caméra. Il était intriguant de voir Fincher, réalisateur reconnu pour son style visuel, s'atteler à un scénario de Sorkin, verbeux et généralement porté à l'écran par des cinéastes plus pépères comme Rob Reiner. Tout en n'ayant jamais peur de laisser parler les dialogues, en simples champs-contre-champs, Fincher transcende l'écriture. Il se met au service du scénario mais n'est pas limité par celui-ci. Tout d'abord, il gère à la perfection l'alternance exigeante des différentes timelines, de déposition en déposition, intercalée avec les événements en direct et sait souligner l'évolution de tel ou tel personnage à un moment donné au détour d'un plan, mettant l'emphase sur un regard qu'un autre aurait négligé, sans jamais forcer le trait. Mais surtout il dynamise la narration, laissant l'intelligence de Zuckerberg, un temps d'avance sur tout le monde, bloguer en voix off, le cerveau en ébullition tandis que ses colocataires se bourrent la gueule derrière, presque au ralenti. Et le tout s'enchaîne avec un montage parallèle de la revanche des nerds avec la débauche des blaireaux beaux gosses, potentiellement fantasmée par Zuckerberg, aboutissant en une séquence marquant le tournant de ce siècle. Impressionnant.

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Suivant les dépositions de Saverin mais aussi des frères Winklevoss et Divya Narendran, qui accusent Zuckerberg de leur avoir vol l'idée de Facebook, la structure permet de présenter les points de vue de chacun. Le metteur en scène affectionne particulièrement ce genre d'ambivalence, souhaitant que le spectateur puisse trouver de la pertinence aux propos de personnages opposés. Dans Seven, on peut ainsi s'identifier à l'optimisme tendance facho de l'inspecteur Mills (Brad Pitt) tout en partageant la vision désabusée de Somerset (Morgan Freeman) et en comprenant la haine de l'apathie et l'absolutisme moral de John Doe (Kevin Spacey). Il en va de même pour Fight Club et le discours anti-société de consommation de Tyler Durden, qui se fait tout d'abord libérateur avant de devenir totalitaire à son tour. On va voir The Social Network prêt à condamner Zuckerberg mais tout n'est pas aussi manichéen. Peut-être Saverin avait-il une vision trop limitée des choses et peut-être les riches Winklevoss sont-ils juste agacés qu'un étudiant de la classe moyenne les ait devancés. Même lorsque le récit change de protagoniste, adoptant le point de vue de Saverin au lieu de celui de Zuckerberg, une partie de nous se demande s'il n'est pas quelque part l'architecte de son propre malheur. Ce qui est sûr, c'est que Zuckerberg, lui, l'est. Lorsque le film se focalise à nouveau, dans les dernières minutes, sur son héros tragique, l'oeuvre prend toute sa portée émotionnelle. Malgré toute sa noirceur, Fight Club se terminait sur une note optimiste, Adam et Eve face à un monde où tout était à reconstruire. La fin de The Social Network paraît optimiste, elle ne l'est pas. Et la dernière scène résonne longtemps.

par Robert Hospyan

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