David Fincher

David Fincher
Envoyer à un ami Imprimer la page Accéder au forum
Réalisateur

Le cas Fincher est un mystère en soi. Formé par le mauvais bout de la lorgnette selon ses détracteurs (effets spéciaux, pub et clip ne font pas un cinéaste diront les bien-pensants), notre ami s’est imposé comme l’un des réalisateurs américains les plus exigeants et novateurs de ces dernières années. Instigateur de modes – n’oublions jamais les inutiles copycats de Se7en – et de films cultes pour une génération, sa vision le pousse pourtant sans cesse vers d’autres dimensions.

I LIKE MYSELF

Oserions-nous encore chercher le réalisateur américain le plus influent de ses quinze dernières années? Il est là, sous nos yeux, prêt à sortir Zodiac, son sixième film en quatorze ans. Six longs métrages et pas un seul à jeter. Tout juste pourrions-nous tiquer sur The Game dont le script au postulat alléchant ne parvient pas à tenir la distance et le rythme militaire imposé par Fincher. Car en effet, loin du cliché des réalisateurs de pub obsédés par l’image sans se soucier de son histoire ou de ses personnages, le réalisateur s’est construit une filmographie rare mais précise, montant ses projets avec soin, exigeant envers lui-même, son équipe et son casting. Profil d’auteur pas si éloigné d’un Kubrick dans la fausse variété de ses œuvres: on retrouve en fil rouge un désespoir dirigé vers l’être humain voué à sa propre destruction. Il n’y a pas d’issue. Depuis le cultissime Tyler Durden, jusque dans les profondeurs des forges d’Alien 3, sans oublier la minutieuse reconstitution d’une chasse à l’homme perdue d’avance de son dernier Zodiac. C’est aussi l’homme qui a su révéler l’acteur sous l’appeau à midinette Brad Pitt. Sachant casser sa belle gueule dans Fight Club ou détruire ses certitudes de jeune flic dans Se7en.

INSTANT KARMA

A 20 ans à peine, David Fincher fait ses premières armes chez ILM et travaille sur les effets spéciaux du Retour du Jedi, L’Histoire sans fin et Indiana Jones et le temple maudit. Aussitôt après, il quitte la firme de George Lucas pour réaliser des publicités et des clips – sa première pub pour la prévention contre le cancer montrait un bébé fumant une cigarette, témoignant des sombres obsessions de son auteur. Très vite, le jeune réalisateur signe chez Propaganda Films, l’une des plus importantes sociétés de production de l’époque. Il réalise alors quelques-uns des clips les plus importants de la fin des années 80 et fait entrer le genre dans une phase cinématographique, démodant d’un coup l’esthétique ringarde du moment. Réalisateur presque stakhanoviste et visionnaire, son rythme se relâche au début des années 90 alors qu’il commence à s’orienter vers le cinéma. Toutefois, de nombreuses réalisations de Fincher marquent les esprits comme ces Rolling Stones géants dans New York ou bien cette publicité où les top models d’un défilé cachent au sens propre des average Joe and Jane. Chez Fincher, la pub n’est rien d’autre qu’un terrain d’expérimentation pour ses projets "plus sérieux".

DO YOU HAVE FAITH, SISTER?

Sans jamais renier l’approche intrinsèquement artistique de la publicité, Fincher se sent attiré par le grand écran. Son premier film, Alien 3 est un cauchemar personnel. On lui retire son droit au final cut, il renie presque le film, reprochant au studio d’avoir refusé ses idées, rendant le film plus consensuel et moins sombre que sa vision d’origine. Malgré ses nombreuses qualités, la spiritualité qui s’en dégage et une fin courageuse, le film est un échec critique et public. David Fincher retient la leçon et désormais, il ne transigera plus. S’il ne peut pas avoir le contrôle artistique absolu du film, il n’hésitera pas par la suite à quitter la production. C’est ainsi qu’on l’aura vu abandonner Mission: Impossible III et qu’on ne verra jamais sa version de Chapeau melon et bottes de cuir en noir & blanc avec Charles Dance. Toutefois, Alien 3 révèle un esthète et New Line lui confie un thriller noir et désespéré écrit par Andrew Kevin Walker. Ce sera Se7en. Le film remet le thriller au goût du jour et restera l’une des œuvres les plus influentes du cinéma américain des années 90. Combien de films chercheront à reprendre la photo, la fin choc ou ses thèmes dépressifs sans jamais y parvenir? Sous la couche superficielle du film hype se cache une œuvre complexe où Fincher y déploie sa maîtrise formelle et sa vision d’une humanité incapable de laver ses péchés.

YOU ARE NOT YOUR FUCKING KAKHIS

Passons rapidement sur un The Game non dénué d’intérêt mais relativement anecdotique quant au reste de l’œuvre fincherienne. 1999 voit les retrouvailles avec Brad Pitt pour Fight Club, un brûlot qui fustige – entre autres (réduire le film à ce gimmick serait simpliste) – l’univers de la publicité. Familier des codes de l’univers, Fincher s’amuse à les reprendre et à les pervertir afin de jouer avec l’idéal consumériste d’une société occidentale qui sécrète les armes schizophréniques de sa chute comme un pus cancéreux. Une fois de plus, la critique est partagée. Certains y voient un pamphlet misogyne et nazi ou une ode à la trépanation volontaire alors que d’autres comprennent la dualité du film, son caractère libertaire et anarchiste. Pourtant, le film se hisse au-dessus de ces contradictions pour y célébrer l’illumination spirituelle au travers de l’autodestruction. Malgré son aura culte immédiat, le film est un nouvel échec violent. L’adaptation du roman de Palahnuik récoltera 37 millions de dollars pour un budget de près de 70 millions. Fincher est à présent le chantre de la dépression. Quatre films éloignés des canons hollywoodiens classiques, baignés dans une lumière noire, qui définissent un auteur à part. Toutefois, s’il veut garder le contrôle artistique, il a besoin d’un succès. Il s’empare donc de Panic Room, Jodie Foster remplace au pied levé une Nicole Kidman au talon d’argile. Le script est simple et efficace et permet à Fincher de poursuivre ses expérimentations formelles et libérer un peu plus sa caméra des contraintes physiques. Le film est un succès qui garantit l’indépendance de Fincher pour quelque temps encore.

L’HOMME QUI VIEILLIT A L’ENVERS

Soucieux de se renouveler, Fincher refuse les gros films-véhicules pour stars pour se pencher sur Zodiac, une autre histoire de serial-killer. Pourtant, rien dans l’approche réaliste et quasi-documentaire de ce tueur qui a sévi à San Francisco dans les années 70 ne ressemble à la suresthétisation de Se7en. David Fincher a grandi, ses thèmes restent les mêmes, mais sont devenus plus introspectifs, moins commerciaux peut-être. La critique le suit peut-être pour la première fois de sa carrière. Seulement le public américain n’est plus au rendez-vous, peut-être déçu par l’approche sérieuse du metteur en scène, radicalement opposée au joyeux massacre de ses précédents films. Peu importe, The Curious Case of Benjamin Button est déjà en tournage, marquant sa troisième collaboration avec Brad Pitt. L’adaptation d’une nouvelle de Scott Fitzgerald racontant les aventures d’un homme vieillissant à l’envers risquera de faire revenir le public dans les salles obscures. On peut ensuite espérer qu’il se remette à son éternelle arlésienne, l’adaptation de Rendez-vous avec Rama de Arthur C. Clarke où il retrouverait Morgan Freeman. Quoi qu’il en soit, David Fincher s’est offert un ticket pour le panthéon des réalisateurs maudits et doués à la Hollywood.

par Nicolas Plaire

En savoir plus

2008 The Curious Case of Benjamin Button 2007 Zodiac 2002 Panic Room 1999 Fight Club 1997 The Game 1995 Se7en 1993 Alien 3

Commentaires

Partenaires