Raja

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Raja
France, 2003
De Jacques Doillon
Scénario : Jacques Doillon
Avec : Ilham Abdelwahed, Najat Benssallem, Pascal Greggory, Hassan Khissal, Fatiha Khoulaki
Durée : 1h52
Sortie : 03/09/2003
Note FilmDeCulte : *****-

Fred, occidental sentimentalement "perdu" au Maroc, s’éprend de Raja, une jeune jardinière de 19 ans. Celle-ci sent bien que seule une petite aventure d’une ou deux nuits l’intéresse. Méfiante, elle se refuse à lui.

MAROC, TERRE DE PURETE

En déplaçant son cinéma vers un pays étranger, en l’occurrence le Maroc, pays au carrefour du monde arabe et du monde occidental, pays peu à peu libéré des contraintes religieuses du premier et n’ayant pas encore totalement assimilé les conventions du second, il se pourrait que Jacques Doillon soit à la poursuite d’un idéal d’innocence, voire même de pureté. Comme une façon pour lui de faire rebondir un cinéma en perdition, fragilisé par plusieurs échecs récents. Pour autant, ici, il ne s’agit pas d’une errance similaire à celle entreprise par André Téchiné voici deux ans dans son film Loin, qui se déroulait déjà à Tanger et qui était pour le cinéaste un moyen de symboliser l’épuisement artistique qui était le sien, suite à l’échec d’un film trop artificiel. Chez Doillon, pas d’errance, pas de recherche, pas de voyage entre l’Europe et le Maroc. Fred est établi à Marrakech, il y est, il y reste, il le sait. Il ne cherche plus, il a déjà trouvé. Du moins le croit-il.

Doillon tire de ce pays et de ce personnage une véritable liberté narrative, une ligne directrice qui le guide presque contre son gré et qu’il accepte, conférant à certaines des séquences qu’il met en scène les plus beaux moments de vérité de ces derniers mois. Le réalisateur de Ponette, film brutal et paradoxalement enchanté, a cette faculté de se mettre en danger afin de fabriquer un film d’une grande fragilité, à l’image de son personnage au bord du gouffre, un film qui se construit et s’assemble sous ses yeux et sous les nôtres, dans lequel les acteurs réussissent à aller au-delà d’un texte pourtant magnifique. Avec ce nouveau film, Doillon reconquiert une véritable virginité de cinéaste, faisant table rase de ses récents égarements et oubliant les échecs renouvelés. Bien qu’il s’en défende, il y a quelque chose de Fred en lui, et inversement: un personnage exilé, délaissé, débutant une nouvelle vie, une nouvelle histoire, peut être une nouvelle carrière.

CŒUR EN EXIL

Déraciné, être à part, se tenant volontairement à l’écart d’une vie de laquelle il n’attend plus rien, Fred est un écorché, une victime que Doillon se garde bien de pointer du doigt. Pas de stéréotype de l’européen colonialiste et pédophile, venu trouver quelques filles dans des pays en voie de développement. Fred n’attend plus rien, il a fait le tour de ce qu’il avait à savoir, et ce qu’il en retient le laisse dans un état d’amertume profond. C’est de cet état initial que le scénario tire toute sa force, de cette faculté à saisir un instant donné dans la vie d’un personnage, et de mettre en danger sa situation, de le confronter à l’imprévu. La vie qui s’offre alors à Fred prend la forme de Raja, jeune marocaine orpheline elle-même déçue de l’amour.

Dans quel personnage Jacques Doillon se projette t-il? Dans cet occidental qui cherche à mettre en scène une relation trouble et ambiguë, qui cherche à scénariser et diriger les personnages qui l’entourent, à leurs dicter des dialogues à répéter et à retranscrire (Fred ne parle pas l’arabe)? Dans cette jeune fille de dix-neuf ans, qui a sans doute connu les pires violences dans sa vie (viol, brutalité, perte de la mère), qui se laisse porter tout en se méfiant de cet étranger sans doute venu lui aussi lui faire du mal, qui tente parfois de résister à la passion qui naît en elle et qu’elle ne sait pas vraiment nommer? Probablement un peu dans les deux à la fois. Entre ces deux personnages, des échanges, des regards, quelques baisers volés, pas de dialogue, pas de communication verbale. Doillon souligne, pour la première fois par un artifice ingénieux, ce manque de communication entre les êtres, cette façon que l’amour a de brouiller les pistes, les mots, les sentiments. Raja et Fred ne parlent pas la même langue, mais ne se comprennent pas moins que les enfants présents dans Le Jeune Werther. Pas plus non plus. Une belle idée qui contribue à faire de ce film le plus beau de son auteur depuis une décennie.

par Anthony Sitruk

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