Nue propriété

Nue propriété
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Nue propriété
Belgique, 2006
De Joachim Lafosse
Scénario : Joachim Lafosse, François Pirot
Avec : Kris Cuppens, Isabelle Huppert, Jérémie Renier, Yannick Renier
Durée : 1h30
Sortie : 21/02/2007
Note FilmDeCulte : *****-

Quand leur mère décide de vendre la maison familiale, Thierry et François réalisent qu'ils vont devoir vivre leur vie d'adulte. Leur relation fusionnelle va alors se transformer en guerre fratricide sous les yeux impuissants de leur mère.

À TRAVERS CHAMP

Grand prix du jury au Festival d'Angers, Ça rend heureux, deuxième long métrage de Joachim Lafosse, révélait ce qu'on supposait être un cinéaste du dialogue. Ode au cinéma désargenté et au bricolage, le film était porté par un humour mordant et sans pitié, dont l'acerbe pertinence parvenait à faire oublier les carences de mise en scène. L'image numérique y agitait en effet un cadre jamais stable et privilégiait les plans-séquences en gros plan, au détriment, parfois, de la lisibilité de l'action. Si la finesse d'écriture et l'énergie des acteurs emportaient le morceau, on n'eût pas juré qu'on tenait en Lafosse un formaliste acharné, dont on eût plutôt souhaité qu'il se décidât parfois à autoriser sa caméra à se reposer sur son pied.

Réjouissante surprise, donc, lorsqu'on découvre la nouvelle configuration filmique: on aurait pu craindre qu'en s'enfermant dans les limites du cadre, dont il avait pris pour habitude de déborder, et dans les contraintes "de luxe" d'un tournage en pellicule, Lafosse se trouve gêné aux entournures, intimidé – il n'en est rien. Nue propriété, au contraire, sonne comme un premier aboutissement dans la jeune filmographie du réalisateur de Folie privée. La précision maligne de l'écriture, ici redoutable, est en effet accentuée par une mise en scène au cordeau, confrontant les corps à leur gravité et à leur poids, suscitant par la verticalité générale la crainte d'un effondrement horizontal, et par le hors-champ la peur d'un surgissement ou d'une dissimulation. Ainsi spatialisé et temporalisé par un scrupuleux sens de la coupe (chaque séquence a son tempo et chaque longueur de plan ses palettes d'émotion), le scénario de Lafosse s'en trouve paradoxalement libéré. La rigueur formelle autorise en effet les situations dramatiques à détourner les attentes et à brouiller les pistes, jonglant entre férocité satirique et malaise familial.

C'est que Lafosse préfère dire les choses que laisser la symbolique en simplifier l'appréhension. Un fils (Jérémie Rénier, diabolique) peut se laver les dents tandis que sa mère (Isabelle Huppert, impériale) prend sa douche, ou partager le bain avec son frère, sans qu'automatiquement les voyants de l'inceste clignotent. Le malaise est plus terre-à-terre: comme déjà dans Ça rend heureux, l'argent, grand tabou du cinéma d'auteur, dans Nue propriété, régit les rapports humains. Tout y est effectivement affaire de possession, de legs, d'investissement. Dessous affriolants versus argent de poche, bonne conscience friquée du père remarié versus charge quotidienne de la mère célibataire, héritage versus émancipation… Le nerf de la guerre n'est ici pas qu'une périphrase: le matériel mérite, lorsqu'on ne souhaite plus le partager, qu'on se batte pour lui (notamment lorsqu'il est – moto, console ou voiture – moyen d'évasion) et peut même se faire arme. Les corps, malmenés par lui (pour le plaisir – escapade boueuse en motocross – ou pour blesser), souffrent de s'y heurter. Nulle échappatoire, hélas: le cadre, on y revient, les y enserre, les y étouffe (voyez justement la virée motorisée dans la boue, cet arc de cercle que décrit l'engin et qui ne parvient jamais à sortir du champ). Il faudrait le déplacer pour fuir. Cruauté du dernier plan: trop tard, c'est le cadre qui déguerpit.

par Guillaume Massart

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