Kingdom of Heaven

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Kingdom of Heaven
États-Unis, 2005
De Ridley Scott
Scénario : William Monahan
Avec : Orlando Bloom, Marton Csokas, Eva Green, Jeremy Irons, Liam Neeson
Durée : 2h25
Sortie : 04/05/2005
Note FilmDeCulte : *****-
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XIIe siècle. Un jeune forgeron devient chevalier et part défendre Jérusalem contre les Croisés… Etranger sur une terre qui lui est étrangère, il va servir un roi condamné, s'éprendre d'une troublante et inaccessible reine avant d'être fait chevalier. Il lui faudra protéger les habitants de Jérusalem, dont une immense armée a entrepris le siège, sans jamais cesser de lutter pour maintenir une paix fragile...

RE-PLAY SCOTT

Soyons honnêtes, nous avions enterré le réalisateur de Blade Runner un peu tôt, tournant son nom en dérision, parodiant les scènes de ses films les plus médiocres. Ultime insulte: devenu source de moqueries, Ridley Scott avait vu ces dernières années son frère Tony lui ravir la place de formaliste doué de la famille avec des films proches de l’expérimental (tout est relatif avec Tony Scott, bien entendu, mais Man on Fire ou Ennemi d’Etat comportaient leur lot de réelles surprises). Et si Gladiator et Hannibal s’étaient hissés au sommet du box-office, ils n’étaient à aucun moment parvenus à faire oublier les déconfitures artistiques incompréhensibles que pouvaient être 1492, Traquée, Lame de fond, Black Rain, et l’insupportablement crétin G.I. Jane. Autant de ratages impardonnables, même si visuellement attrayants, pour celui qui commença sa carrière par trois classiques instantanés (Les Duellistes, Alien, Blade Runner), trois films transcendant systématiquement le fond par la forme, et inversement. Autant de ratages heureusement balayés d’un coup par la maestria foudroyante de La Chute du faucon noir, incroyable parabole guerrière renouvelant un à un tous les codes du genre sans jamais sacrifier la forme si chère au cinéaste. Black Hawk Down, c’est la guerre, dans ce qu’elle a de plus terrible, de plus actuelle, sans les démonstrations philosophiques ou humanistes de La Ligne rouge et Il faut sauver le soldat Ryan. Et si cet opus magnifique et désespéré a malheureusement été suivi de l’anodin et inoffensif Les Associés, force est de constater que l’on avait sans doute parlé un peu vite, et qu’il faudrait de nouveau compter avec ce réalisateur.

Quid de ce Kingdom of Heaven au budget démesuré (plus de 130 millions de dollars), plus gros projet d’un cinéaste qui, au début de sa carrière, rêvait déjà d’adapter la légende de Tristan et Iseult? Passionné de chevalerie au point d’y faire une brève allusion dans Alien (Ripley en scaphandre évoquant pour le réalisateur St George guerroyant contre le dragon), Ridley Scott se devait de livrer un jour le film définitif sur le genre, la conclusion ultime aux quelques glorieuses années qui ont vu fleurir bon nombre de plus ou moins vaines tentatives: Troie, Alexandre, Le Roi Arthur... Retour aux sources, donc, vague essai de surfer sur la vague qu’il avait lui-même engendrée avec Gladiator (film avec lequel les concordances semblent évidentes), ou encore nouvelle déception? Réponse en demi-teinte: un peu tout cela à la fois. Le film divisera et ne satisfera pas tout le monde, loin de là. La rédaction de FilmDeCulte a d’ailleurs du mal à se mettre d’accord sur la valeur réelle du produit fini. Au choix: pour certains des qualités énormes et indéniables, une fable humaniste et volontairement lente, un chemin de croix intérieur pour le héros. Pour d’autres, des défauts parasitant le métrage, un montage manquant cruellement de rythme, un personnage lisse manquant de substance... Kingdom of Heaven, c’est un peu tout cela à la fois, comme si Scott avait cherché à livrer ici son "film malade", ce grand film imparfait, attachant même si mal monté, défendu par une poignée de fans, que chaque cinéaste se doit de réaliser un jour ou l’autre pour accéder au statut d’auteur. Explications.

BATAILLE ROYALE

Ridley Scott a toujours été grandement tributaire des scénarios qu’il adaptait. Au mieux, cela peut donner Blade Runner. Au pire, certains des autres titres cités ci-dessus. Formaliste incroyablement doué, ex-fils de pub, capable de donner une véritable substance à des images visuellement splendides (ce que son frère mettra quinze ans à savoir faire), Ridley Scott se dérobe dès que l’on tente un tant soit peu l’analyse globale de son œuvre. Des leitmotivs apparaissent, certes, mais il semble plus attaché à investir frontalement un genre pour en extraire le meilleur, qu’à approfondir des thèmes communs à ses films. Kingdom of Heaven semble ne pas déroger à la règle. Un personnage modeste qui se révèle au fur et à mesure du métrage, un genre formidablement exploité, un budget dont chaque dollar se retrouve pleinement à l’écran, une caméra qui s’engouffre dans des décors faramineux et superbement photographiés... Et pourtant. Pourtant, le cinéaste semble avoir changé depuis sa Chute du Faucon noir, se révélant un filmeur certes doué pour la guerre (beaucoup plus que dans Gladiator), mais surtout capable de la théoriser et d’en pointer du doigt le ridicule. Un plan, sublime et définitif, le plus beau du film, dépassant à lui seul tout ce qui a été tourné jusqu’à maintenant: cadrées en plongée, deux armées en pleine bataille à travers la minuscule brèche d’un mur de Jérusalem. Le grotesque de la guerre dans toute sa splendeur, thème déjà abordé dans cette épopée de G.I.'s débarqués en pleine guerre somalienne, une guerre différente de ce qui a pu être filmé auparavant, une guerre qui déjà surprenait par son ridicule, son aspect risible. Thème par ailleurs transcendé par une gestion impeccable de l’espace, par une clarté incroyable, bien que parfois sans doute trop consciencieuse (quoi que l’on pense du film d’Oliver Stone, il manque au Scott un petit grain de folie comparable, par exemple, aux délires psychédéliques du récent Alexandre – cf. la scène des éléphants).

Au-delà de la représentation de la guerre, on soulignera malheureusement les ruptures de rythme incroyables, témoins d’une très probable version longue disponible un jour en DVD, et ramenée ici à une durée plus consommable. Si les batailles semblent avoir été volontairement pensées pour être courtes (et elles le sont), elles sont si mal intégrées dans un ensemble au montage parfois trop brut qu’elles se révèlent un rien bancales, comme si Scott avait mieux géré l’élément spatial que temporel. Problème qui s’étale d’ailleurs à tout le métrage, le phagocytant parfois tellement que l’on parvient à s’y perdre: sur combien de semaines, de mois, d’années, s’étale cette épopée? Mauvaise gestion du temps, donc, dont les principales victimes restent bien entendu les personnages, engoncés dans une histoire qui ne leurs laisse pas toujours le temps d’exister. Si Orlando Bloom s’en sort parfaitement (et c’est justement ce physique de jeune premier, sur lequel on aurait pu gloser à loisir, qui sert le personnage et lui donne toute sa saveur), Eva Green voit malheureusement toutes ses meilleures scènes réduites les unes après les autres, découpées avant même que son personnage ne puisse réellement s’exprimer. La plupart des acteurs s’en sortent sans problème, certains réalisent même de splendides compositions (Jeremy Irons notamment), mais leur personnage débarque sans prévenir dans le film et repart aussitôt. Qu’advient-il, justement, du personnage de Jeremy Irons, sacrifié bêtement avant la fin du film? On ne le saura pas. Bizarrement, alors que le film cherche généralement à se détourner de la bataille et à se focaliser sur les personnages, certaines scènes dites calmes sont régulièrement coupées pour laisser place à la violence, comme si le réalisateur (ou le producteur?) avait peur d’ennuyer le spectateur. C’est malheureusement là qu’est le réel défaut du film, dans cette incapacité à choisir entre épopée intérieure et spectacle guerrier, qui incite au charcutage pur et simple du film.

UNITED COLORS OF BEN HETON

"Les films de Ridley Scott semblent avoir de plus en plus d’ampleur et raconter en même temps des histoires de plus en plus intimes". Le chef décorateur Arthur Max donne les clés du système: de l’infiniment grand vers l’infiniment petit. Ridley Scott a changé. Ou plus exactement revient aux préceptes qui faisaient la beauté de son cinéma: envers et contre tout, le personnage avant tout. Précepte négligé dans le dispendieux 1492, par exemple, film dans lequel Dipardiou se révélait noyé au milieu d’images publicitaires tournées pour n’importe quel produit d’hygiène corporelle. Oublié le Christophe Colomb qui foule au ralenti et sur une musique de Vangelis le sable de la Terre promise. Enterrée cette Demi Moore au crâne rasé qui hurle à son supérieur un inégalable "suce ma bite" effroyable de ridicule dans G.I. Jane. Le personnage chez Scott retrouve sa saveur, sa profondeur, celle qu’il avait perdue pendant quinze ans (au passage, ce retour vers le personnage explique sans doute en partie le succès public retrouvé depuis quatre films par le cinéaste). C’est le cas notamment de Balian, ce chevalier à la foi perdue lors du suicide de sa femme, aux convictions mises à mal par les cerbères hypocrites du Christianisme, à la certitude ébranlée de trouver le pardon un jour. Quête intérieure qui le mène à Jérusalem, jusqu’au Golgotha. Parcours initiatique, chemin de croix, parallèle à la guerre qui s’annonce dans une Palestine déjà déchirée entre trois peuples. Balian, dont les choix devront être faits en fonction des préceptes édictés par un père imposé (excellent Liam Neeson), en fonction des questions qui se posent à lui, et des réponses qu’il trouvera dans ce "Royaume des Cieux". Parcours par ailleurs régenté par un personnage au discours central, celui de l’Hospitalier.

"Il (l’Hospitalier) essaie de lui transmettre une notion essentielle, celle de l’action juste, envers et contre tout. Il lui dit que c’est ce que cherche Dieu. Tout le reste est folie. Il est inutile d’entendre des voix, inutile de s’agenouiller. Il suffit d’agir dans la droiture". Tout le propos du film est contenu dans ces mots de Ridley Scott. Blockbuster au charme désuet, Kingdom of Heaven se permet un discours un rien démago, mais qui a le mérite de détonner sévèrement dans une production hollywoodienne bien souvent muette sur la question religieuse. Alors on rira sans doute de certains plans montrant des enfants souriants, provenant d’horizons et de religions diverses. On accrochera ou pas à cette vision naïvement paradisiaque d’un jardin construit par Balian sur ses propres terres, oasis de paix et de tolérance forgée au milieu du désert. On reconnaîtra surtout le courage de prendre pour modèle un héros musulman, le Roi Saladin, homme à la droiture indiscutable et aux aspirations légitimes et honorables: celles d’un monde en paix autour de la ville sainte, devenue un îlot de sérénité pour trois religions monothéistes qui s’affrontent encore aujourd’hui (le parallèle avec la situation d’aujourd’hui est clairement exprimé durant le film). Et si l’on peut sans doute regretter la vision sale et probablement scandaleuse qu’aurait eu Paul Verhoeven des Croisades (il fut un temps attaché à un projet similaire), force est de constater que Scott ne s’abaisse jamais à présenter les Croisés sous un jour positif, les peignant comme de vulgaires soldats fous de Dieu. A partir de là, le discours de ralliement qui précède la bataille finale n’en devient que plus fort, plus juste, et plus symptomatique d’une vision utopiste. Scott est un humaniste. On le savait déjà, mais lui semblait l’avoir oublié. On ne peut que se réjouir de retrouver un auteur jadis aimé et respecté. De belles retrouvailles, en somme.

par Anthony Sitruk

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