Ghostland

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Ghostland
France, 2018
De Pascal Laugier
Avec : Mylène Farmer
Sortie : 14/03/2018
Note FilmDeCulte : *****-
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Suite au décès de sa tante, Pauline et ses deux filles héritent d’une maison. Mais dès la première nuit, des meurtriers pénètrent dans la demeure et Pauline doit se battre pour sauver ses filles. Un drame qui va traumatiser toute la famille mais surtout affecter différemment chacune des jeunes filles dont les personnalités vont diverger davantage à la suite de cette nuit cauchemardesque...

COMME UNE POUPÉE QU'ON A DÉSARTICULÉE

Martyrs de Pascal Laugier avait été un choc et on peut encore ressentir ses secousses sismiques dix ans après sa sortie. Le film a installé Laugier parmi les voix les plus singulières du cinéma d'horreur actuel, et si The Secret était en apparence plus sage, Ghostland confirme la personnalité à part du cinéaste. A vrai dire, Ghostland avait de quoi se distinguer dès les premières annonces sur ce projet et plus particulièrement l'arrivée au casting de Mylène Farmer. Si l'icône a évidemment cultivé son mystère côté scène musicale, son aura cinéphile est encore plus mystérieuse puisqu'elle n'a tourné qu'un unique film, le maudit Giorgino, un échec commercial monstre devenu une œuvre quasi-invisible. Dès son premier plan, Ghostland fait un clin d’œil à Giorgino (que Laugier citait d'ailleurs en référence pour Saint Ange), ouvrant un couloir souterrain entre deux conceptions alternatives de ce que peut être le cinéma français. Farmer, comme très peu d'artistes français, draine avec elle un imaginaire, une mythologie, et sa simple présence à l'écran serait presque suffisante pour propulser le film dans une autre dimension – l'impression dès le départ de voir autre chose.

Même sans Farmer, même sans les quelques allusions vues ici ou là à l'artiste, Ghostland possède en lui une forte dimension queer. Il y en a une, évidente, qu'on ne peut pas vous dévoiler ici. Il y a ces emprunts au Grande Dame Guignol, genre queer par excellence avec ses effusions tordues et ses hurlements hystériques, où Mylène Farmer prendrait le relais des Joan Crawford ou Bette Davis - voir dans le film un double de Baby Jane maquillée comme un clown n'est certainement pas un hasard. Il y a ces jeux de poupées, il y a ce sens de l'exagération et il y a, en investissant le territoire du queer, cette façon de s'éloigner d'une narration mainstream, de ses motifs, de sa retenue, de son rapport aux sentiments, de sa bienséance – le niveau sonore doit être poussé au maximum : c'est à prendre ou à laisser.

Ceux qui auront envie d'expériences cinématographiques sans pareilles prendront. A l'image de Martyrs, Ghostland est un film inconfortable, d'une brutalité qui confine au malaise. Le long métrage, là aussi comme Martyrs, n'a pas peur des ruptures narratives et n'installe jamais le spectateur. Il le bouscule dans cette fascinante maison de fous, un manoir à poupées comme en rêveraient les deux vieux de Dolls. Mais là où chez Stuart Gordon les poupées étaient joyeusement vicelardes, il y a quelque chose de mélodramatiquement plus noir dans Ghostland. On emprunte ici au conte, tout en le mixant avec autre chose, comme The Secret faisait le lien entre récit policier et motifs de fable. Et on lui emprunte son infinie noirceur dans ce récit de poupées brisées.

Il y a une scène dans Ghostland, filmée dans une camionnette, qui donnerait presque l'impression d'être plongé en plein clip de gothic lolita japonaise, avec ses robes, ses couettes, sa déco bonbon et du sucre répandu partout. Mais ces gothic lolitas-là ont des fêlures comme des poupées de porcelaine, et l'on pourrait se poser la même question que dans Martyrs : « Au bout, tout au bout de la violence, est-ce qu'il y a quelque chose? ». Farmer, sur son album Avant que l'ombre..., précédait Laugier de quelques années en apportant une réponse : « Plus le corps est entravé, plus l'esprit est libre ». C'est une des mystérieuses clefs de Martyrs, c'est une autre clef de Ghostland qui là encore filme la mise à l'épreuve du corps pour mieux parler des refuges imaginaires. Cela parle de jeunes filles oubliées dans un monde qui les broie, cela parle du genre aussi : de son effroi exutoire et du pouvoir de l'esprit. Voilà une proposition radicale, épuisante, fascinante, à l'audace enthousiasmante.

par Nicolas Bardot

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