Les 8 salopards

Les 8 salopards
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8 salopards (Les)
The Hateful Eight
États-Unis, 2015
De Quentin Tarantino
Scénario : Quentin Tarantino
Avec : Demian Bichir, Bruce Dern, Walton Goggins, Samuel L. Jackson, Jennifer Jason Leigh, Michael Madsen, Kurt Russell
Photo : Robert Richardson
Musique : Ennio Morricone
Durée : 3h02
Sortie : 06/01/2016
Note FilmDeCulte : *****-
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Après la Guerre de Sécession, huit voyageurs se retrouvent coincés dans un refuge au milieu des montagnes. Alors que la tempête s'abat au-dessus du massif, ils réalisent qu'ils n'arriveront peut-être pas à rallier Red Rock comme prévu...

DU SIXIÈME ART AU SEPTIÈME

En 2015, Aaron Sorkin et Quentin Tarantino, sans doute deux des meilleurs scénaristes - et dialoguistes - en activité, auront donc choisi pour leurs œuvres respectives d'opter pour une radicalisation théâtrale. Rien d'étonnant pour le dramaturge Sorkin, qui réinvente ainsi le genre du biopic, et à vrai dire, rien d'étonnant non plus pour Tarantino qui a toujours affectionné les scènes de dialogue en espace fermé, où toute la tension est contenue dans l'échange verbal (avant l'inévitable explosion de violence). Quelques personnages sont emprisonnés dans une pièce. Un ou plusieurs d'entre eux cachent un secret. L'un d'eux cherche à le connaître. Et ça va forcément éclater. Dans tous les sens (du terme). À l'instar de Sorkin sur Steve Jobs, l'approche de Tarantino passe pour une exploration auto-réflexive presque méta. En gros, Les Huit salopards, c'est le premier chapitre d'Inglourious Basterds (ou sa scène de la taverne, ou la deuxième heure de Django Unchained), mais étiré à un film entier. De trois heures. Un véritable tour de force donc, d'une densité thématique surprenante, auquel on ne peut toutefois nier quelques longueurs. Est-ce le statut de Tarantino, sa célébrité, sa solvabilité, son égo, qui empêchent ses collaborateurs de le brider un peu pour le bien de l’œuvre? Si le film aurait gagné à être resserré pour éviter les baisses de tension, Les Huit salopards demeure, dans sa présentation roadshow, avec une Ouverture et un Entracte musicaux, une expérience comme on n'en fait plus.

Comme si l'exercice de style narratif ne suffisait pas, le metteur en scène a le "culot" de tourner le film non seulement en 70mm - splendide "meilleur des deux mondes", avec la netteté et la richesse de détails de la haute résolution numérique mais en gardant la chaleur et le poids de la pellicule - mais carrément en Ultra Panavision, format oublié depuis 50 ans et réservé aux grandes fresques épiques (principaux exemples : Ben-Hur, La Conquête de l'Ouest, Les Révoltés du Bounty, La Chute de l'Empire romain, La Plus Grande Histoire jamais contée). Un huis-clos au ratio 2.76? Contre toute attente, le format s'avère parfaitement approprié et exploité. Ce long rectangle, en plus de sublimer les vistas de l'Ouest enneigé durant les 15 premières minutes situées en extérieur, enferme encore davantage les personnages trois heures durant, mais d'une manière complètement différente d'un 4:3 type Le Fils de Saul. Le cadre écrase les protagonistes et ne leur laisse que des possibilités de fuite vers la gauche ou la droite. Le cadre est notre pièce, notre scène. Chacun peut bouger, s'écarter, valser avec les adversaires mais ne peut pas s'échapper. La mercerie où sont retenus les fameux "salopards" est une pièce unique mais composé de plusieurs petits espaces et le 2.76 offre une vision panoramique proche de la vision humaine, essayant de garder un oeil sur le maximum de suspects.

DJANGO IN WHITE HELL

Oui, parce que Les Huit salopards est en réalité une sorte de remake de The Thing dans l'Amérique post-Guerre de Sécession. De la présence de Kurt Russell au décor d'allure polaire en passant par la bande originale d'Ennio Morricone, que l'on aurait pu croire dans la veine de ses western spaghetti mais qui s'avère plus proche du film d'horreur et recycle même des morceaux non-utilisés de la BO de The Thing, tout transpire l'hommage. Là où l'on a souvent accusé Tarantino de régurgiter ses influences sans les avoir digéré, ici il s'approprie complètement le matériau en lui conférant un sens autre, propre à l'histoire des États-Unis, passée et malheureusement présente, signant un huis-clos paranoïaque sur la place du noir dans l'Amérique d'aujourd'hui. Creusant le même sillon que son précédent film, - après l'esclavage, l'Amérique de la Reconstruction - l'auteur continue son évolution, toujours plus politique. De Reservoir Dogs (1992) à Kill Bill (2003/2004) inclus, Tarantino célébrait l'Histoire du du septième art. Dans Boulevard de la mort (2007), il s'essayait à une réflexion sur son propre cinéma. Dans Inglourious Basterds (2009) et Django Unchained (2013), il utilisait diégétiquement et extra-diégétiquement le pouvoir du septième art pour revisiter (ou plutôt réviser) l'Histoire.

Dans Les Huit salopards, on n'est plus dans le wish fulfilment frontal - Tarantino semble commenter directement dessus, comme en témoigne "la lettre" - mais dans une allégorie où un simple lieu (la mercerie) devient le territoire américain tout entier (on le divise même en Nord et Sud), peuplé d'un "colon" (l'anglais Oswaldo, joué par Tim Roth), d'un mexicain, d'un noir et d'une femme - d'ailleurs, vu comme elle prend cher, le propos porte peut-être plus largement sur le rôle des "opprimés" - mais principalement d'hommes blancs, parfois carrément des Confédérés ou fils de Confédérés. Et dans cet Enfer blanc, l'homme noir fait tache. L'Enfer blanc transforme l'homme noir en monstre. Le film a d'abord vu le jour sous la forme d'une suite littéraire de Django Unchained avant que Tarantino ne décide de transformer Django en un autre personnage pour ne pas avoir de centre de gravité morale. Par conséquent, le Major Marquis Warren interprété par Samuel L. Jackson est une sorte de Django vicié. Ce dernier terminait déjà son film contraint par l'Amérique raciste à devenir un criminel et Les Huit salopards adopte en partie le point de vue de ce "nouvel homme noir" émancipé et devenu un "salopard" comme les autres mais éternelle victime de ses oppresseurs. C'est Dix petits nègres mais avec sept Blancs et un Noir. Tout le film ne raconte que ça: comment le Noir restera à jamais aux yeux de l'Amérique un nègre. Comment chacun se méfie de l'autre. Comment chacun essaie de baiser l'autre. Comment la femme est maltraitée. Déchaînement de violence sale, Les Huit salopards cache derrière le genre un portrait sans concessions de l'Amérique dont les échos assumés avec l'actualité révèlent cette vérité : la période de Reconstruction n'est toujours pas terminée.

par Robert Hospyan

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