Voyage de Morvern Callar (Le)

Voyage de Morvern Callar (Le)
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Voyage de Morvern Callar (Le)
Morvern Callar
Royaume-Uni, 2003
De Lynne Ramsay
Scénario : Liana Dognini, Lynne Ramsay d'après d'après l'oeuvre de Alan Warner
Avec : Raife Patrick Burchell, Dan Cadan, Carolyn Calder, Steven Cardwell, Kathleen McDermott, Samantha Morton
Photo : Alwin H. Kuchler
Musique : Andrew Cannon Bazin
Durée : 1h33
Sortie : 05/03/2003
Note FilmDeCulte : *****-
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Le soir du réveillon, Morvern Callar découvre un cadavre sur le sol de sa cuisine. Son compagnon vient de se suicider. En guise d’adieu, le défunt lui a léguée une lettre, une cassette, une carte de crédit et un roman. Morvern dépense l’argent pour s’offrir des vacances en Espagne avec sa meilleure amie et envoie le manuscrit à un éditeur.

CADAVRE EXQUIS

Le voyage de Lynne Ramsay débute là où d’autres se seraient échoués. Deux yeux dévorent l’obscurité, le regard serein de Samantha Norton glisse sur une main inerte. Un corps ensanglanté gît sur le parquet. Qui est cette jeune fille étendue à ses côtés? Deux foyers éclairent de part et d’autre la tragédie muette. A gauche, les guirlandes illuminées d’un sapin, à droite un moniteur affichant l’injonction, “read me” (lis-moi). Relecture musicale et évasive du roman éponyme d’Alan Warner, Le Voyage de Morvern Callar balaie paradoxalement les mots et absorbe la voix sarcastique de l’héroïne de papier. L’écrivain doublement tué - Warner et lui, son personnage de fiction -, restent des tensions sourdes à dénouer et une intrigue lacunaire à ordonner. Les motifs du suicide ne seront jamais explicités. Morvern s’approprie les biens matériels de l’absent, étouffe son chagrin. Et remplace sans état d’âme le nom du défunt par le sien, sur la disquette du roman à paraître. Evacués, le cadavre et les desseins de l’écrivain mort-né laissent s’épanouir le récit de la survivante, Morvern. Lynne Ramsay s’épargne tout jugement en aparté, pour guetter les séismes intérieurs d’une héroïne trop discrète.

ABOUT A GIRL

La cinéaste contourne les écueils d’une adaptation paraphrastique et servile. Le film ne conserve que la frêle ossature du roman, en le dépouillant de ses affèteries et de toute conclusion hâtive. Enoncée à la première personne, la traversée solitaire d’Alan Warner laissait entendre une multitude de voix à travers celle de Morvern. L’entourage de la jeune fille se résumait à des sobriquets complices et des amitiés opportunes. L’Ecossaise se tenait déjà en retrait, l’oreille alerte. La transposition filmée accentue l’opacité et l’étrangeté du deuil. Le Walkman à portée de main, Morvern goûte l’instant sans l’intellectualiser, profite des retombées financières du roman, abandonne son amie en chemin. Lynne Ramsay écrème les longues plages de confidence, où l’héroïne de Warner s’épanchait sur son père adoptif et son compagnon décédé. Dans sa version délestée, le deuil de Morvern ne s’embarrasse d’aucun sentimentalisme, d’aucun ressentiment. La famille est inexistante, la douleur souterraine. Morvern ne lit jamais le roman dont elle hérite et refuse obstinément de s’appesantir sur ses émotions. Avec un tel patronyme ("callar" signifie "se taire" en espagnol), la rupture entre le livre et le film est consommée.

L’ETE EN PENTE DOUCE

L’impressionnante maîtrise formelle du Voyage de Morvern Callar comble l’absence d’une ligne narrative précise. La composition bipartite du film réunit deux pôles contraires, deux températures distinctes. Une vision cafardeuse de la grisaille écossaise, ses impasses glauques et son austérité monochrome. Une ballade hispanique au cœur des raves hurlantes et de la canicule estivale. Les néons rougeoyants et la luminosité aveuglante du sud par opposition aux troquets enfumés et à l’hiver blafard du nord. L’intimité d’un appartement défraîchi contre l’effervescence d’une résidence touristique. La musique cimente les fragments enregistrés. Morvern écoute inlassablement la compilation-testament. Le roman n’était pas avare de playlists; Salif Keita y côtoyait This Mortal Coil, Les Têtes brûlées, REM et Keziah Jones. Le film alterne déferlements rythmiques et silences aliénants. Le travail sur la bande-son est à ce titre exemplaire. Lynne Ramsay réinvestit l’univers mental de Morvern, en y accolant un nouveau répertoire musical. Les comptines d’Aphex Twin et les boucles hypnotiques de Boards of Canada répondent au somptueux Some Velvet Morning de la fée Nancy Sinatra et l’ogre Lee Hazlewood. Rejetant toute tentation morbide, Lynne Ramsay transforme son bad trip en retour sensuel à la vie.

par Danielle Chou

En savoir plus

Lynne Ramsay

Diplômée de la National Film and Television School, Lynne Ramsay collectionne depuis 1996 les trophées et les distinctions. Elle remporte le Prix du jury à Cannes pour son court de fin d’études, Small Deaths. Son deuxième court métrage, Kill the Day est salué à Clermont-Ferrand. Lynne Ramsay retourne sur la Croisette pour le troisième, Gasman, qui reçoit de nouveau le Prix du jury court métrage. Sélectionné à Un Certain Regard, Ratcatcher, son premier long, fait la tournée des festivals, d’Edimbourg à Brastilava. Le film est nominé aux BAFTA.

Tourné en huit semaines à Oban (Ecosse), à Londres et dans les environs d’Almeria (Espagne), Le Voyage de Morvern Callar réunit l’équipe habituelle de Lynne Ramsay: la monteuse Lucia Zucchetti, le directeur de la photo Alwin Kuchler et la chef décoratrice Jane Morton. Confiée à Alan Warner, l’écriture du scénario revient finalement à Lynne Ramsay et Liana Dognini qui livrent un premier jet après six semaines de brainstorming et de recherches sur le terrain.

Samantha Morton

Native de Nottingham, Samantha Morton débute sa carrière à l’âge de treize ans dans des productions télévisées, dont la série à succès Cracker et les adaptations des classiques de Charlotte Brontë et Jane Austin (Jane Eyre et Emma). Under the Skin de Carine Adler la révèle à la presse en 1997 et lui vaut une kyrielle de récompenses. Après une poignée de métrages restés ici inédits (The Last Yellow de Julian Farino, Dreaming of Joseph Lees d’Eric Styles), Samantha Morton explose aux yeux du public dans Jesus’ Son d’Alison MacLean, aux côtés de Billy Crudup, et en amoureuse muette de Sean Penn dans Accords et désaccords de Woody Allen.

Elle reçoit à l’occasion une citation à l’Oscar et au Golden Globe de la meilleure actrice dans un second rôle. Choisissant ses films avec parcimonie, elle apparaît notamment dans le petit Eden d’Amos Gitaï et le gros Minority Report de Steven Spielberg. En 2002, elle figure à l’affiche de In America de Jim Sheridan et enfile le costume de sirène pour le clip Electrical Storm de U2, réalisé par Anton Corbijn. Elle tourne actuellement sous la direction de Michael Winterbottom, dans Code 46, une romance de science-fiction.

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