Vénus noire

Vénus noire
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Vénus noire
France, 2010
De Abdellatif Kechiche
Scénario : Abdellatif Kechiche
Avec : Yahima Torres
Photo : Lubomir Bakchev
Musique : Slaheddine Kechiche
Durée : 2h44
Sortie : 27/10/2010
Note FilmDeCulte : *****-
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Paris, 1817, enceinte de l'Académie Royale de Médecine. « Je n'ai jamais vu de tête humaine plus semblable à celle des singes ». Face au moulage du corps de Saartjie Baartman, l'anatomiste Georges Cuvier est catégorique. Un parterre de distingués collègues applaudit la démonstration. Sept ans plus tôt, Saartjie, quittait l'Afrique du Sud avec son maître, Caezar, et livrait son corps en pâture au public londonien des foires aux monstres. Femme libre et entravée, elle était l'icône des bas-fonds, la « Vénus Hottentote » promise au mirage d'une ascension dorée...

A CORPS PERDU

Vénus noire et son biopic à costumes semble à première vue assez éloigné des récits ultra-contemporains de Kechiche, qu'il s'agisse de L'Esquive ou de La Graine et le mulet. Pourtant, la première moitié de cette Vénus... rappelle L'Esquive ou plutôt reprend, dans un décor totalement différent, son moteur rohmérien: la parole. Comment celle-ci, essentielle, fait-elle avancer l'intrigue, en quoi elle constitue une clef. Le langage est une question centrale de L'Esquive, dans Vénus noire, l'héroïne en est d'abord privée. Naturellement, puisque monstre de foire, animal en cage, qu'on incite à grogner et qu'on dit semblable à un singe. Après une première représentation, Saartjie Baartman, redevenue elle-même, parle pourtant. Mais son exploitation passe par là: pour exploiter son corps, il faudra la priver de parole. A ce titre, la séquence du tribunal synthétise assez cette idée avec la volonté de ne pas faire un film aimable. Kechiche, via son histoire sordidissime et son héroïne victime, avait tout pour faire un film édifiant sur sa pauvre petite Hottentote, grande compassion digne et fouettons-nous le dos à coups d'orties. Au tribunal, les bonnes consciences sont d'ailleurs là pour défendre l'opprimée. Enfin, Baartman s'exprime, et va, contre tout attente, dans le sens de son maître, bille en tête, se définissant comme artiste, ou simplement pour sauver la face. Inconcevable pour ses paternalistes défenseurs qui commencent alors à parler pour elle, suprême humiliation, comme pour l'accuser: encore une fois, de parole elle sera privée.

Le verbe, et le corps. Vénus noire est un long chemin (2h45), mais il n'est nulle question de complaisance ou de dolorisme. Kechiche filme les différentes représentations de Baartman dans leur intégralité, le corps jusqu'à exténuation. On se souvient du dénouement de La Graine et le mulet, de la course tragique du héros, d'une danse du ventre pendant ce temps. Vénus noire parle de cet harassement, d'une exploitation sans fin, en tourbillon, décadence sur décadence, avide et cannibale. Comme le colonialisme, dont nous avons ici l'exotique fantôme dansant. Comme ce regard pornographique, que Kechiche capte d'une caméra à proximité des visages, où le montage joue un rôle capital. Comme la société du spectacle, où la mise à mort se fait divertissement. Le corps, lui, est pris dans une transe jusqu'à épuisement. Jusqu'à claudiquer, s'affaisser et, hideuse ironie, se redresser sous forme de moulage qu'on observe à l'Académie Royale de Médecine. La scène d'ouverture scelle son destin morbide. Le geste de Kechiche, puissant et ambitieux, fait de cette bien nommée Vénus noire l'un des films les plus obsédants de l'année.

par Nicolas Bardot

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