Under the Silver Lake

Under the Silver Lake
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Under the Silver Lake
États-Unis, 2018
De David Robert Mitchell
Scénario : David Robert Mitchell
Avec : Andrew Garfield, Topher Grace, Riley Keough, Jimmi Simpson
Photo : Mike Gioulakis
Musique : Disasterpeace
Durée : 2h19
Sortie : 08/08/2018
Note FilmDeCulte : *****-
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À Los Angeles, Sam, 33 ans, sans emploi, rêve de célébrité. Lorsque Sarah, une jeune et énigmatique voisine, se volatilise brusquement, Sam se lance à sa recherche et entreprend alors une enquête obsessionnelle surréaliste à travers la ville. Elle le fera plonger jusque dans les profondeurs les plus ténébreuses de la Cité des Anges, où il devra élucider disparitions et meurtres mystérieux sur fond de scandales et de conspirations.

DOUBLE (GRAVITY'S) RAINBOW

Qui, après s'être fait larguer, n'a jamais écouté une chanson de variété qu'il estimait jusqu'alors ridicule, et s'est surpris à trouver les paroles étonnamment juste, voire même à pleurer en écoutant cette soupe, conditionné par sa douleur? Qui n'a jamais caché, ou plutôt cru cacher, un message à un(e) ex dans un statut sur un réseau social? On plaisante souvent sur les signaux à déchiffrer lors du "jeu de la séduction" qui précède la relation sentimentale mais on ne parle pas assez de comment il nous arrive parfois de se raccrocher au moindre signe après la fin de cette même relation, voyant du sens là où il n'y en a pas parce qu'on a désespérément besoin d'en trouver un. La métaphore de la rupture n'est pas le seul prisme au travers duquel il est possible de voir cette histoire d'un mec qui s'entête à retrouver la trace de sa séduisante voisine disparue du jour au lendemain tant Under the Silver Lake tout entier est dédié à l'art de la sémiologie et invite donc inévitablement à l'interprétation, mais elle apparaît, surtout au vu du dernier acte, comme la clé pour comprendre ce que la démarche de David Robert Mitchell présente de personnelle au sein d'un exercice bien plus riche qui joue avec les genres pour établir carrément un portrait d'une génération (et même plus largement de la société).

Une longue tradition du récit de détective alambiqué précède Under the Silver Lake, de Raymond Chandler à Thomas Pynchon, mais les codes de ce genre spécifique sont suffisamment ancrés dans la culture populaire pour que même les spectateurs qui n'en auraient vu que des pastiches tels que Kiss Kiss Bang Bang ou The Big Lebowski puissent repérer la façon dont Mitchell s'amuse à les reproduire pour mieux les subvertir. La culture populaire, justement, est au coeur du film. D'entrée de jeu, l'ouvrage rappelle un autre film sorti cette année...Ready Player One. Under the Silver Lake, c'est un peu le Ready Player One hipster et désabusé. À vrai dire, hipster n'est pas le bon terme, le film évoque plus largement les millenials, un terme qui regroupe globalement toute personne née entre 1980 et 2000 mais désigne plus particulièrement cette génération de jeunes privilégiés qui se définit principalement par le biais de la pop culture. Une génération qui ne peut trouver du sens que dans cette culture plus ou moins superficielle : jeux vidéos, bandes-dessinées, boîtes de céréales (!). Le film porte le sceau des années 90, dont la majorité des références sont issues (la NES, Nirvana, REM) mais cette quête parle de et à toutes les générations, de celle qui écoutait des vinyles à l'envers pour trouver des messages cachés jusqu'à celle qui recycle les starlettes de jadis - ou même d'aujourd'hui, Mitchell incluant son premier film et des actrices de ce dernier dans leur propre rôle dans la diégèse de celui-ci - en fantasmes post-modernes, tel Sarah, la fameuse voisine, rêvée par Sam en Marilyn Monroe issue de clichés d'un film inachevé qui ornent son frigo.

En épousant à 100% la subjectivité de son protagoniste, un branleur dans tous les sens du terme, Mitchell dénonce son male gaze, omniprésent, ainsi que le sexisme inhérent au genre, exacerbant l'absurdité de l'attraction sur les femmes du personnage, pourtant rendu littéralement repoussant. Enveloppé tout le long d'une atmosphère onirique et parfois même cauchemardesque, certaines scènes rappelant l'horreur d'It Follows et d'autres, animées, empruntant au Black Hole de Charles Burns, le récit n'a que faire du réel ou de la réalité. On est tellement dans le point de vue de Sam, ce mec qui se balade presque toujours en pyjama, qui a des excès de violence vraisemblablement sans conséquences, avec qui toutes les bombasses veulent coucher, qui tire le fil d'une potentielle conspiration entre médias et millionnaires, et qui vit une enquête entre Hitchcock et De Palma, tout droit sortie des films dont il a les affiches sur ses murs, que cela importe peu. C'est sa réalité. Sa réalisation que toute cette culture qu'il chérit n'a pas de sens ou qu'elle n'a pour sens que de manipuler les masses et de servir les puissants.

Toutefois, Mitchell, toujours autant intéressé par les coming of age stories, a la jugeotte de ne pas terminer le film sur ce constat au mieux cynique et au pire paranoïaque mais de choisir plutôt une conclusion douce amère au cheminement du personnage, qui exorcise ses peurs, qu'elles soient professionnelles (le métier de Sam est sans cesse évoqué sans que l'on ne sache jamais de quoi il s'agit, le mythe d'un acteur raté pèse sur la ville tel un spectre devenu croque-mitaine) ou immobilières (les sans-abris qui sont la hantise du personnage et semblent avoir leur propre société secrète), autant de préoccupations de "jeune actif", et qui accepte, d'une part, un nouveau status quo sentimental et, d'autre part, de ne pas connaître le sens de toutes choses, faisant ainsi le deuil de celui qu'il était, voyeuriste, parano et enfermé dans ses références. Un passé qu'il peut désormais regarder en souriant.

par Robert Hospyan

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