Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l’existence

Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l’existence
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Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l’existence
En duva satt på en gren och funderade på tillvaron
Suède, 2014
De Roy Andersson
Scénario : Roy Andersson
Durée : 1h40
Sortie : 29/04/2015
Note FilmDeCulte : *****-
  • Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l’existence
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Sam et Jonathan, deux marchands ambulants de farces et attrapes, nous entraînent dans une promenade kaléidoscopique à travers la destinée humaine. C’est un voyage qui révèle l’humour et la tragédie cachés en nous, la grandeur de la vie, ainsi que l’extrême fragilité de l’humanité…

EN JAUNE ET NOIR

Nous, les vivants, le titre du précédent film de Roy Andersson, pourrait tout autant s’appliquer à son dernier essai, ultime volet d’une trilogie entamée il y a quinze ans avec Chansons du deuxième étage. Vivants, les personnages d’Andersson n’en ont pourtant pas vraiment l’air, fantômes au teint blafard trimballant leurs visages de clowns glaçants dans des existences absurdes, pantins d’une chorégraphie qui les dépasse. Film d’ensemble sans protagoniste évident, Un pigeon perché sur une branche… appartiendrait presque au genre quasiment révolu du film à sketch. Une impression de désuétude étayée par un parti pris pictural à rebrousse-poil fait de couleurs blafardes, comme un perpétuel camaïeu dilué, où le ciel aurait la même couleur que les murs, que la poussière. Qu’est-ce donc que ce monde que filme Andersson ? Cette vie quotidienne plombée et terne dont on ne sait pas trop si elle appartient au passé ou au présent ?

A l’inverse de ces bonbons de farce-et-attrape qui, sous leurs aspect appétissants, se révèlent en fait avoir un goût de poussière, Un pigeon perché sur une branche… semble à première vue plonger la tête la première en pleine dépression, mais dévoile peu à peu une richesse et une singularité enthousiasmantes. Bien malin celui qui saura, par exemple, résumer le ton du film. Si les situations dépeintes sont pathétiques, elles le sont aux deux sens du terme : à la fois risibles et poignantes. Chez Andersson, le rire est tantôt (et le plus souvent : en même temps) franc, jaune et noir. Rassurant, cinglant et inquiétant. Le film s’ouvre notamment sur un homme incapable d’ouvrir une bouteille avec un tire-bouchon, jusqu’à l’absurde. Le mot d’absurde n'est d’ailleurs pas choisi au hasard. Il y aurait un parallèle intéressant à tracer entre Andersson et les maîtres francophones du théâtre de l’absurde, en particulier Ionesco. Chez l’un comme chez l’autre, l’absurde est utilisé comme un outil à double tranchant : passé l’effet comique évident et efficace, ils poussent celui-ci jusqu’à le faire basculer dans la folie, c'est-à-dire dans l’angoisse et la violence.

De fait, Un pigeon perché sur une branche… ressemble moins à un collage de rêves que de petits cauchemars. Comme Quentin Dupieux dans son récent Réalité, Andersson crée un monde où chacun cherche en vain une porte de sortie du monde réel. La réalité y a l’air toc, mais il n’y a aucune issue possible : quand un personnage s’endort, son rêve ressemble trop à la réalité pour lui offrir le moindre répit. Même les souvenirs sont également anxiogènes. Même l’Histoire. Le temps d’une scène surréaliste absolument stupéfiante, la « morale » d’Andersson s’éclaircit : il n’y a aucun moyen pour nous d’échapper à notre culpabilité, notre désespoir, à la violence-même de notre condition humaine. Étouffante conclusion ? Tout le génie du réalisateur suédois tient justement dans son art de nous faire passer cette amère pilule à travers un film grand ouvert à l’humour et surtout à l’imagination, deux grandes bouffées d’air qui élève le film loin de la caricature qu’il serait facile d’en faire. Le résultat est une étrange chorégraphie lunaire, qui ne ressemble à rien d’autre, si ce n’est à nos propres vies.

par Gregory Coutaut

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