Tortues volent aussi (Les)

Tortues volent aussi (Les)
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Tortues volent aussi (Les)
Lakposhtha hâm parvaz mikonand
, 2003
De Bahman Ghobadi
Scénario : Bahman Ghobadi
Avec : Soran Ebrahim, Hiresh Feysal Rahman, Saddam Hossein Feysal, Avaz Latif
Durée : 1h35
Sortie : 23/02/2005
Note FilmDeCulte : ***---

Kurdistan irakien, à la veille de la "libération" de l’Irak par l’armée américaine. Un groupe d’enfants, menés par le charismatique Kak Satellite, tente de survivre en vendant des paraboles. Arrive alors un étrange garçon mutilé, doté de dons divinatoires, accompagné de sa petite sœur et d’un enfant en bas âge...

LES IRAKIENS TOURNENT AUSSI

Les Tortues volent aussi pose d’emblée un vrai cas de conscience critique: premier film irakien d’après la chute de Saddam, la fable anti-belliciste de Bahman Ghobadi peut-elle passer outre le politiquement correct qui d’habitude préside pour un tel événement? Autrement dit: chaque action, chaque parole prononcée dans le film, doit-elle être décodée par la machine géopolitique, avant que d’être pleinement compréhensible? Et puis, une fois les potentielles métaphores décryptées, sera-t-on à la hauteur de cet exercice délicat qu’est celui de juger du bon positionnement du réalisateur? Trop pro-ceci, pas assez anti-cela… Bonne nouvelle: Ghobadi n’a pas, justement, de positionnement autre qu’un dégoût envers tout ce qui se rapporte à la guerre en général, en particulier celle qui touche les enfants. Difficile, dans ces conditions, de mal tomber: en universalisant son propos pour condamner le monde des adultes et l'incommensurable connerie de la guerre, Ghobadi emporte, forcément, l’adhésion. Mais le propos seul ne fait pas un film. Heureusement, Ghobadi s’en doute, qui parsème son métrage d’épisodes surprenants (la floraison d’antennes paraboliques comme signe d’une civilisation libérale stupide puisque incompréhensible, en est un bon et efficace exemple). La vraie bonne surprise vient de là: pas de pudibonderie, ni de manichéisme simplet – les enfants, certes victimes, savent se montrer autant cruels que solidaires. On sent bien là la touche de cinéma iranien, du Kiarostami des premiers temps plus précisément (Ghodabi, qui pourtant s’en défend, en est l’ancien élève), ici clairement convoqué, notamment dans la description précise et ludique des petites choses du quotidien et les légères pointes de fantastique, qui relancent l’intérêt d’un film fuyant l’imagerie documentaire pour traquer l’allégorie. Vient enfin et surtout une photo sublime, dans des paysages pas moins puissants, en lesquels des acteurs habités évoluent avec aisance.

SUSPENS MALSAIN

Restent en revanche des choix plus discutables, et déjà franchement moins kiarostamiens. Le parti pris, notamment, de tout montrer, même ce qui dans ce cinéma des champs de bataille n'est d'habitude que de l’ordre du suggéré: la guerre, donc, et son horreur cynique, souvent teintée d'ironie tragique. On devrait considérer la chose d’un œil intéressé; le franchissement du politiquement correct devrait donner un peu d'air au genre… Pourtant, ce sont d'autres questionnements qui surgissent : peut-on se permettre de longues minutes de suspens sur un môme de cinq ans jouant dans un champ de mines, en prenant les paris: sautera/sautera pas? A quoi sert d'évoquer plusieurs fois, subtilement, l’horreur du viol d'une gamine, pour finalement nous l’envoyer soudainement en pleine gueule, au détour d'un flash-back à la symbolique criarde (la jeune fille y est habillée d'une robe rouge flashy) et vaine? Faut-il s'appesantir sur un gros plan d'enfant rendu manchot par une mine anti-personnelle, en train justement d'en désamorcer une autre avec ses dents? On n’a pas la réponse à ces questions. On sait cependant que Les Tortues volent aussi les pose. Et qu’elles gênent.

par Guillaume Massart

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