Salvador Allende

Salvador Allende
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Salvador Allende
France, 2004
De Patricio Guzmán
Scénario : Patricio Guzmán
Durée : 1h40
Sortie : 08/09/2004
Note FilmDeCulte : ****--

11 septembre 1973, un coup d’Etat fomenté par les Etats-Unis renverse le Président élu démocratiquement Salvador Allende, ce "fils de p…", selon les mots de Richard Nixon. Trente ans après, le documentariste exilé Patricio Guzmán revient, une fois encore, au Chili pour tenter de faire perdurer le souvenir d’une utopie politique avortée.

CHILI REINCARNE

"Un pays sans documentaire, c’est comme une famille sans photo. Une mémoire vide". Joli credo que celui de Patricio Guzmán, cinéaste dont une grande part de la démarche artistique consiste en la reconstitution par l’image d’un souvenir désagrégé, lacunaire. Faire acte de mémoire, voilà la grande Bataille du Chili engagée par l’auteur il y a plus de trente ans et jamais refermée depuis. En 1973, un chef d'Etat marxiste, Salvador Allende, est élu démocratiquement. Patricio Guzmán, caméra à l’épaule, descend dans la rue attraper des morceaux de l’Histoire qui s’écrit sous ses fenêtres. Le rêve tournera court, et à l’utopie d’un monde plus juste, succèdera la barbarie de la dictature militaire. Qui s’en souvient? La mémoire sélective, décrépie, fragmentaire, domine (même si, heureux hasard, si l’on ose dire, le film survient alors que le statut d’intouchable d’Augusto Pinochet vient justement d’être révisé). Celle de Guzmán, elle, s’obstine. En archiviste minutieux, Guzmán combat l’oubli avec l’énergie du désespoir, écaille littéralement la peinture qui recouvre les murs de la mémoire et s’applique à combler les déficiences historiques d’un pays amnésique. Davantage que le discours politique passionné, envahissant et emphatique d’une voix-off émerveillée par "un Président révolutionnaire et démocrate", "qui tient parole [et] n’oublie pas ses promesses", la force majeure de Salvador Allende réside dans cette réincarnation méticuleuse de l’Histoire. En filmant de près la texture des vieilles photos déterrées, du papier rongé où l’on déchiffre encore des traces de croquis à la gloire du Président déchu, des peaux usées par le temps des anciens partisans et de leur regard perdu dans le vague, Guzmán atteint sa cible, mais également ses limites. Salvador Allende peine à franchir le pas entre l’information et l’émotion, comme si le film lui-même n’était pas convaincu de la portée des exceptionnelles et rarissimes images d’époque qu’il dépoussière. La voix-off, notamment, supplante maladroitement la force d’évocation des cris, des chants, des exultations d’époque. Mais c’est surtout la dernière partie de l’enquête qui pêche: emporté par son envie de reconstruction d’un passé révolu, Guzmán se transforme en reliquaire de mausolée, par une reconstitution macabre du suicide d’Allende. Déplacées, ces sinistres séquences restent néanmoins les seules véritables fausses notes d’un documentaire nécessaire.

par Guillaume Massart

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La lutte contre l’oubli menée par Salvador Allende se fait dès l’affiche, à la construction exemplaire. En barrant d’un texte noir, à la puissante simplicité, déjouant d’emblée les pièges paradoxaux de l’Histoire, par la disposition centrale d’une date au sens aujourd’hui mouvant, celle du 11 septembre, Guzmán déjoue le piège de la mémoire collective. Et file la métaphore: à mesure que la citation de l’affiche rapetisse, c’est l’Histoire du peuple chilien qui se reconstitue et qui, progressivement, brouille les cartes. La disposition typographique n’est également pas anodine: "Je me souviens du 11 septembre 1973,…" répond à "…jour sombre où l’Amérique…". A ce stade, l’ironie est évidente mais, comme Ken Loach avant lui, Guzmán dévie une date fondatrice pour en atteindre une autre. La suite emprunte une voie dénonciatrice, mais dépassionnée (à l’inverse du film, par ailleurs) renversant la victime en bourreau: "…fomenta un coup d’Etat pour abattre la révolution pacifique et démocratique qui se construisait au Chili,…". Cohérence ultime, la citation mise en exergue se conclut chichement sur ce par quoi elle était splendidement précédée: "…éliminant son Président de la République, Salvador Allende…". Les points de suspension finaux ainsi que la taille de caractère amoindrie parachèvent la métaphore de la raréfaction du souvenir.

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