Redacted

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Redacted
États-Unis, 2007
De Brian de Palma
Scénario : Brian de Palma
Photo : Jonathon Cliff, Mark Cuban, Jason Kliot, Simone Urdl, Joana Vicente, Todd Wagner, Jennifer Weiss
Durée : 1h30
Sortie : 20/02/2008
Note FilmDeCulte : ******
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REDACTED raconte une histoire fictive inspirée de faits réels. C’est une expérience unique qui nous obligera à réexaminer de manière radicale les filtres à travers lesquels nous voyons et acceptons les événements mondiaux, le pouvoir de l’image médiatisée et l’influence exercée par la présentation des images sur ce que nous pensons et ce que nous croyons.

THE ETHICS OF FILMMAKING

Offrande sur un plateau au critique de cinéma : sur l’espace d’une poignée de semaines, quatre films semblent correspondre, tisser les prémices d’un ensemble conceptuel fort, que l’on pourrait ramener à une seule et clinquante formule, du type: le genre à l’épreuve des petites caméras. On pense évidemment et ce faisant n’invente pas l’eau tiède, au quarté gagnant [REC] (le bien-nommé), Diary Of The Dead, Cloverfield et Redacted. Des deux premiers nous ne dirons rien pour l’instant, attendons leur sortie. Du troisième, on peut toucher quelques mots, en préambule. Calibré comme un produit TV mais bombant le torse pour faire ciné, le film fonctionne par son efficacité pure, ses seules aspirations de divertissement honnête, avec ses défauts archétypiques mais ses qualités de spectacle. S’il pêche, en somme, c’est sans doute par manque d’ambition scénographique: film essentiellement de scénario (c’est aussi en cela qu’on parle de télévision – et pas uniquement, que l’on se rassure, du fait de la présence de J.J. Abrams au poste de producteur), Cloverfield réussit narrativement, par son univers référentiel et humble, ce que sa mise en scène menace parfois de saborder. À savoir cette pirouette esthétique et sémantique, pas tout à fait neuve, mais drôlement maligne, qui balance dans le feu d’une action blockbuster une caméra familiale de salon.

Si le scénario tient ce pari, enchaînant quelques trouvailles futées (la cassette DV-palimpseste est la plus marquante), la mise en scène se prend les pieds dans le tapis d’un réel « amateur » convoqué, mais mal assumé esthétiquement. Format 1.85, HD de luxe, photo extrêmement propre, son d’une ampleur et d’une netteté trop parfaites… À une très belle exception près (l’auto-focus ne sachant plus à quel champ se vouer) et mis à part de très convenus plans trop serrés et secousses intempestifs, l’image riche est sauve; indestructible, même, comme nous l’apprend la séquence finale. Sur cette seule base, après vision de Redacted, l’illusion critique fort commode des quatre points à relier sur l’agenda des sorties s’effondre d’elle-même. De Cloverfield au nouveau film de Brian De Palma, il n’y a qu’une fausse route: quand le premier, par frousse d’être mal attifé, renâcle à endosser le costume qu’il s’est pourtant lui-même taillé, le second s’assume ostensiblement dans sa bâtardise, au sens positif du terme, c’est-à-dire au-delà du seul procédé, dans son étrangeté, dans son décalage, dans sa pleine fausseté et non dans une vérité feinte, chausse-trappe évident. Rien à voir, donc, fondamentalement. Ceci d’autant plus que les reproches faits à l’un sont en quelque sorte les louanges faits à l’autre.

Car s’il pose la question du numérique, Redacted, et son titre en témoigne, pose surtout celle de la représentation et du mensonge. Narrativement, bien sûr : l’argument scénaristique ne fait pas mystère des intentions de brûlot politique, nul besoin de les décrypter. C’est surtout le désenchantement absolu qui frappe: que le film soit à la fois un remake, au sens large, des Outrages du XXème siècle et d’images « volées » au XXIème naissant, dit à quel point les problématiques sont restés les mêmes, à quel point le merdier pue la même odeur. Seules les images changent; seule la représentation du merdier donne à croire que le merdier change. Histoires de supports, de formats – mais les histoires des hommes sont les mêmes. Histoires de cinéma, donc. Et pas, comme à coup sûr certains le prétendront (voyez les délirants Cahiers du cinéma de ce mois-ci, par exemple), appliquant une grille de lecture au contresens éhonté, histoires du réel. Bien au contraire: qui attendait De Palma au tournant du docu-fiction ou du mockumentaire, versant Peter Watkins, sera surpris de l’y trouver bien moins du côté de Punishment Park que de celui, factice mais majeur, de l’immense Edvard Munch, la danse de la vie. Au fantasme de found footage de guerre, caméra tremblée à l’excès, Il faut sauver le soldat Blair Witch, De Palma répond sur un mode déconcertant, loin d’un naturalisme voyeuriste par trop confortant.

Aussi, aucun filtre ne vient salir les faux reportages TV, aucun défaut de compression n’entache les fausses vidéos streaming. L’écran de cinéma devient écran de télévision ou écran d’ordinateur, l’image est plein cadre, assumée fausse, dans une HD d’une perfection insolente. Le modèle est celui commun à la fiction et aux enquêtes policières d’envergure: la reconstitution. Ou, pour dire les choses autrement, le théâtre. Il n'y a ainsi aucune supercherie: la fiction est annoncée frontalement dès le premier carton et l’ambition de Brian De Palma semble alors rejoindre celle d’un modèle plus inattendu, en la personne de Lars Von Trier, période trilogie américaine (pour le moment) inachevée. Si l’on cite ici, après d’autres, le cinéaste Danois, ce n’est pas par goût du name dropping, mais bien pour souligner le contre-pied pris par Redacted, contre les canons du bon goût attendus. Les ombres de Dogville et de Manderlay planent en effet sur Redacted, moins dans la théâtralité des corps et des affects que dans celle de l’espace – le cadre comme scène, comme topographie du drame. Voyez par exemple le fascinant découpage spatial de la première partie, la répétition de la plongée délimitant l'espace de jeu, l'espace scénique, au sein de l'espace documentaire... Et c’est toujours Von Trier qui est convoqué lors du montage choc des young Iraqis du générique final – un certain cynisme en moins. Car la critique de la représentation effectuée avec grand sérieux par De Palma, implique d’y opposer une éthique de monstration. Celle-ci s’y manifeste par deux clichés de reconstitution, deux photos d’artiste, intercalées parmi les photos réelles. Outre les bandeaux noirs imposés par la production, ces deux images se distinguent immédiatement du flot de clichés morbides, parce qu’elles sont éclairées, cadrées, mises en scène, presque "sublimées" (paradoxe effrayant), donc affichées comme telles. Démarche absolument consciente et par conséquent démarche de mise en scène, donc d'éthique, d'une puissance incroyable, que l’on retrouve à chaque instant du film.

Même le plan séquence-clef ne surjoue pas le réel, mais est posé pour ce qu’il est: du cinéma, absolument du cinéma, gérant le hors-champ, la lumière, etc. Le personnage censé tenir la caméra à cet instant nous est d’ailleurs présenté en tant qu’étudiant en cinéma. On écrit « censé tenir », car le film, et cela relève aussi de la susdite éthique, ne fait pas mystère de sa fabrication: même lorsque les acteurs passent derrière la caméra, il est visible qu'ils ne la tiennent pas. Ils pénètrent bel et bien dans le hors-champ, par convention et nécessité narrative, mais il est très clair qu'ils ne tiennent pas la caméra depuis le hors-cadre. Rien n'est spatialement fait pour nous y faire croire (pour reprendre la comparaison avec le théâtre, ils disparaissent dans les coulisses) et rien n'est techniquement fait pour nous tromper (caméra stable, photographie parfaite, etc.). De même, quand le protagoniste central se filme dans un miroir, il ne se filme pas de face, mais bien légèrement de trois-quarts: aucun doute possible, on « voit les fils. » Redacted ne cesse de réaffirmer que l’objectivité est un leurre, que tout en permanence est mise en scène, que tout plan est théâtre. L’image est ainsi déboulonnée, dans une impulsion d’avant-garde: Jean-Luc Godard (Ici et ailleurs), Peter Witehead (The Perception Of Life, The Fall) rôdent… Où donc pourra aller De Palma après ça ?

par Guillaume Massart

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