Prestige de la mort (Le)

Prestige de la mort (Le)
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Prestige de la mort (Le)
France, 2006
Avec : Claire Bouanich, Jean-Christophe Bouvet
Durée : 1h15
Sortie : 20/06/2007
Note FilmDeCulte : ****--

Luc Moullet, réalisateur, part dans le sud de la France pour faire les repérages de son prochain film dont il n'a pas encore trouvé le financement. Au cours de ses déplacements en montagne, il découvre un cadavre. Il décide de troquer son passeport contre celui du défunt afin que le scoop de sa mort lui permette de mieux diffuser ses oeuvres et de financer ainsi son prochain film. Cependant, il ne s'agissait pas de n'importe quel cadavre...

SIC TRANSIT GLORIA MOULLET

Pour qui filme encore Luc Moullet? Pour les nostalgiques de la Nouvelle Vague, dont les mémoires sélectives ne lui accordent que trop rarement asile? Pour prolonger une œuvre tant méconnue que majoritairement invisible? Pour la presse, peut-être, les joies et peines de la critique?… Pour qui, pourquoi filme-t-on, en France, quand on s'adonne à un cinéma désargenté et confidentiel? C'est la question qui préside au Prestige de la mort, dernier film du réalisateur de Brigitte et Brigitte, bouclé depuis 2006 et qui, enfin, débarque dans (très peu de) nos salles. Les réponses sont diverses, souvent potaches, mais jamais innocentes. D'abord, réponses par élimination: pourquoi ne filme-t-on pas? Pas pour la télévision: TF Hun ou France d'Œuf, même hypocrisie, même avarice, mêmes courbettes feintes, même médiocrité. Pas pour les proches: ils ont perdu la foi, préfèreraient arrêter là les frais et pour tout dire s'en fichent un peu. Pas pour le public: il boudera les salles et de toute façon ignore souvent jusqu'au nom de Moullet. Corollaire évident: certainement pas pour l'argent.

Pour la gloire, alors? Ce pourrait être ça. C'est en tout cas ce que laisse d'abord à penser le pitch quasi-Veberien du Prestige de la mort (beau titre): un certain Luc Moullet, cinéaste has been (has he ever been?) en quête d'un introuvable financement, met en scène sa propre mort, espérant ainsi relancer sa cote auprès des cinéphiles et amener, par la grâce de ce prestige posthume, les "trente de ses trente-trois films" jamais achetés par Arte, à être enfin diffusés - mais attention, pas les courts métrages, dont les droits valent moins chers, et dont il faudra en conséquence prétendre que les négatifs ont été perdus! Le film s'attache d'abord longuement aux détails de l'euphorie étrange de ce Moullet incognito, cherchant son nom sur les stèles de papier faisant (rêve candide) les unes des étalages des bureaux de presse. Évidemment, la combine a aussi ses revers et ses imprévus, la machine ses ratés (notamment le décès, réel cette fois, d'un cinéaste Suisse prochinois au nom plus porteur…). Trame ultra-classique sous les clins d'œil cinéphiles? Sans doute et il faudra une fois de plus en cette année déceptive (Moullet peut paraître ringard, mais il est en cela dans l'air du temps), apposer l'adjectif mineur au Prestige de la mort.

Sans se morfondre pour autant : certes, la portée du film reste limitée; certes, la photo fauchée fait parfois peine à voir… Mais combien de cinéastes français auront, cette année, fait montre d'un tel plaisir de, simplement, filmer (mettons, avec des réussites diverses: Pollet, Robbe-Grillet, Téchiné, Rivette et c'est à peu près tout)? Car voilà bien pourquoi Moullet tourne: par plaisir, par pure jubilation. Et cette joie de filmer transpire de chaque plan, passant avec bonheur de coups de coudes connivents (savoureux rôle secondaire de Bernadette Laffont), à des jeux sur les codes (burlesque à froid, polar boiteux, comédie franchouillarde réhabilitée) et à une poésie de bricoleur (les bouquets de parasols sauvages fleurissant parmi les rochers, le réjouissant travail sur le son, la folie douce des intervalles de montage…). Au centre, Moullet bien sûr, toujours chevrotant, souffreteux et bouleversant, toujours grotesque, sublime et émouvant, et sa galaxie d'acteurs, plus ou moins amateurs, jouant plus ou moins faux. Lorsqu'au détour d'un climax hilarant, le décapsuleur de Coca-Cola le plus maladroit du monde (Essai d'ouverture, souvenez-vous) agrippe un volant, se fantasmant conducteur de rallye, un rapprochement inattendu survient: un film "de la mort" rendant leur respectabilité à des genres oubliés voire méprisés, en y imprimant, avec une ivresse évidente, une patte très personnelle, tout en faisant gronder des bolides, ça ne vous rappelle rien? Attendez de mesurer le soin apporté à la bande-originale (géniale chanson de générique final) et vous verrez qu'on n'a pas (complètement) perdu la tête…

par Guillaume Massart

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