Portrait de la jeune fille en feu

Portrait de la jeune fille en feu
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Portrait de la jeune fille en feu
France, 2019
De Céline Sciamma
Scénario : Céline Sciamma
Avec : Adèle Haenel, Noémie Merlant
Durée : 2h00
Sortie : 18/09/2019
Note FilmDeCulte : ****--
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1770. Marianne est peintre et doit réaliser le portrait de mariage d’Héloïse, une jeune femme qui vient de quitter le couvent. Héloïse résiste à son destin d’épouse en refusant de poser. Marianne va devoir la peindre en secret. Introduite auprès d’elle en tant que dame de compagnie, elle la regarde.

Il a été beaucoup question, aux Etats-Unis et aussi en France, dans la foulée du mouvement #MeToo et du collectif 50/50 qui réclame plus de parité dans le milieu du cinéma de «Male Gaze», que l'on pourrait traduire par le regard insistant masculin porté par de nombreux cinéastes hommes sur les femmes. Au Festival de Cannes, où Portrait de la jeune fille en feu a été projeté pour la première fois, de nombreux critiques ont érigé le nouveau film de Céline Sciamma comme un étendard féministe, comme s'il fallait à tout prix opposer le désir fétichiste des mâles à celui des femmes. Bien sûr, on ne peut écarter d'un revers de la main l'aspect politique d'un film qui a reçu la Queer Palm sur la Croisette : on ne filme pas un monde sans homme (le premier arrive à 5 minutes de la fin), une femme artiste (ce qui n'était pas si rare au 18e siècle avant qu'elles ne sombrent dans l'oubli), un avortement (sublime scène sur le droit de toutes les femmes à disposer de leur corps) et bien sûr une passion lesbienne par hasard. Mais ce n'est pas, à nos yeux en tout cas, le discours le plus intéressant du film.

Bobine de filles

Dans un récent tweet, un internaute démontrait avec habilité à quel point les femmes cinéastes étaient systématiquement ou presque oubliées en cas de co-réalisation. Les noms d'Ágnes Hranitzky, Kátia Lund ou Cristina Gallego ne sont pas parvenus à vos oreilles cinéphiles et pourtant elles sont créditées à la réalisation du Cheval de Turin, de La Cité de Dieu et du récent Les Oiseaux de passage. Au Male Gaze s'ajoute la politique des auteurs-réalisateurs rois, surtout en France, qui fait du metteur en scène le Dieu monothéiste du plateau de cinéma. Ce n'est pas le cinéma que défend Céline Sciamma, pour qui l'acte de création est collectif, à part égale entre celui ou celle qui regarde et celui ou celle qui est regardé. Cela remet ainsi en équation toute l'histoire masculine du cinéma de la deuxième partie du 20e siècle en perspective. Le Mépris est-il l'oeuvre du seul Jean-Luc Godard ou une oeuvre à partager entre Jean-Luc Godard et ses acteurs, en premier lieu Brigitte Bardot ? Les films d'Alfred Hitchcock, une influence claire de Portrait de la jeune fille en feu sont-ils uniquement les siens ou sont-ils façonnés par la réponse des actrices à son désir ? Il ne s'agit pas que de genre, ici, mais d'une réflexion plus globale sur la création cinématographique, de la revendiquer comme une oeuvre collective et non individuelle.

Cruelle ironie : le jury d'Alejandro Gonzalez Inarritu a répondu à sa manière en donnant le prix du scénario à la seule Céline Sciamma, prix doublement absurde. Déjà car il va à l'encontre du discours du film, comme nous l'avons précédemment souligné, mais aussi car il récompense ce qui nous semble être son point faible, tant l'évolution de la relation entre les personnages est prévisible, ce qui rend la longue exposition d'autant plus inutile. C'est plus la mise en scène que l'on admire ici, la manière dont les regards et les sourires se superposent aux dialogues, parfois pour les contredire, comment Céline Sciamma et sa directrice de la photographie Claire Mathon jouent avec l'imagerie du cinéma romantique tout en y apportant de la modernité - magnifique scène de la balade nocturne rythmée par un choeur féminin (ou plutôt coeur féminin). C'est d'autant plus remarquable que le genre du film en costume parait suranné aujourd'hui, comme lessivé par des années de (télé)films académiques avec feu de cheminée et partie de cartes.

par Yannick Vély

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