Parfum: Histoire d’un meurtrier (Le)

Parfum: Histoire d’un meurtrier (Le)
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Parfum: Histoire d’un meurtrier (Le)
Das Parfum, Geschichte eines Mörders
Allemagne, 2006
De Tom Tykwer
Scénario : Andrew Birkin, Tom Tykwer
Avec : Karoline Herfurth, Dustin Hoffman, Rachel Hurd-Wood, Alan Rickman, Jessica Schwarz, Ben Whishaw
Durée : 2h27
Sortie : 04/10/2006
Note FilmDeCulte : ***---

XVIIIe siècle, Paris, marché aux poissons, Jean-Baptiste Grenouille vient au monde. Le jeune homme a un don, celui de posséder un odorat sur-développé qui lui permet de déchiffrer et de collectionner toutes les odeurs qui lui passent sous le nez. Alors que, fasciné par celle d’une jeune fille, il provoque accidentellement sa mort, il se rend compte que les odeurs peuvent disparaître. Il décide alors de devenir parfumeur afin d’apprendre à les conserver.

TRAHISON

Toute adaptation cinématographique d’une œuvre littéraire implique une trahison de celle-ci. Le Parfum ne fait pas exception à la règle. La question est de savoir jusqu’à quel point et dans quel but cette trahison s’impose. Le roman de Patrick Süskind, son premier, parut en 1985 et fut tout de suite un énorme succès. En Allemagne, le tirage initial de cent mille exemplaires se vendit comme des petits pains et jusqu’à aujourd’hui ce sont environ quinze millions de lecteurs de par le monde qui ont suivi le tragique destin de Jean-Baptiste Grenouille. En effet, le roman a été traduit en quarante-cinq langues et il existe même une édition en latin. Un tel livre ne pouvait qu’intéresser le cinéma et le producteur allemand Bernd Eichinger voulut tout de suite s’en approprier les droits. Malgré son amitié avec Patrick Süskind, celui-ci s’était alors refusé à les céder. Des propositions du monde entier affluaient mais l’écrivain restait sur sa position. C’est seulement en 2000 qu’il changea d’avis et fit de Bernd Eichinger le plus heureux producteur du moment. Pourquoi avoir attendu quinze ans? La légende dit que Patrick Süskind aurait voulu que Stanley Kubrick s’occupe de la mise en images de son complexe roman, or le réalisateur est décédé en 1999. Légende ou réalité, difficile de savoir car l’écrivain est du genre discret. Toujours est-il qu’avec la vente des droits du roman - la somme de dix millions d’euros est murmurée -, il semble s’être totalement désintéressé du devenir cinématographique de son héros, refusant d’être impliqué de quelque manière que ce soit à la production.

LA TREIZIEME ESSENCE FAIT DEFAUT

Sans doute savait-il mieux que quiconque que le septième art ne pouvait décemment rendre justice à la complexité de son écriture. Ainsi Le Parfum est un condensé de l’œuvre de Süskind mais si, au départ, le matériel est d’une qualité exceptionnelle, au cours de la distillation Tom Tykwer, Andrew Birkin et Bernd Eichinger n’ont pas réussi à en extraire l’essence et doivent se contenter de l’eau de cuisson. Comme le dit lui-même Jean-Baptiste au cours du film: "Il semble que l’expérience n’ait pas réussi". Le spectateur se retrouve au final devant un film à l’esthétique soignée, les cinquante millions d’euros de la production sont bien visibles à l’écran et la caméra de Frank Griebe fait des merveilles, mais le joli flacon est bien vide. Les événements s’enchaînent mais le liant manque, l’histoire est épurée au maximum et il en résulte un sentiment de superficialité. Le monde intérieur de Grenouille, si important pour la compréhension du personnage, reste étranger. Au lieu du narrateur choisi pour la première partie du film, peut-être aurait-il été plus avisé d’utiliser cette voix-off pour laisser parler Grenouille, notamment lors des nombreux gros plans sur le visage du jeune homme, afin de donner un peu d’épaisseur au personnage. De même, lorsque Tom Tykwer se décide à utiliser d’autres moyens qu’un plan serré sur le nez de Grenouille pour représenter l’odorat, son film y trouve en poésie, que ce soit le plan à 360° de Baldini entouré de fleurs alors qu’il découvre le premier parfum de son futur apprenti ou encore le catalogue d’images représentant les senteurs que Jean-Baptiste découvre dans les rues de Paris. Seulement voilà Le Parfum n’est pas un film de Tom Tykwer mais bel et bien une production Eichinger.

QUAND L’ART SE FAIT COMMERCE

En effet, le producteur a non seulement participé à l’écriture du scénario mais il était également quasi chaque jour sur le plateau et a imposé son monteur Alexander Berner à la place de Mathilde Bonnefoy, avec qui Tom Tykwer travaille habituellement. Le film était d’ores et déjà sacrifié d’avance sur l’autel de l’argent. Il est formaté de A à Z pour plaire au public et se vendre à l’étranger. Un film allemand, avec un réalisateur allemand, inspiré d’un roman allemand… mais en langue anglaise et avec une distribution internationale incluant Dustin Hoffman et Alan Rickman, Ben Whislaw étant plutôt inconnu du grand public. Règle primordiale à respecter: le spectateur doit pouvoir s’identifier avec le héros principal. Fini les cicatrices et autres traits disgracieux dont Patrick Süskind a affublé son héros, Grenouille Eichinger est certes d’une maigreur alarmante mais possède des traits d’ange et un air innocent. Il reste un monstre mais un monstre humain dénué de toute pathologie qui pourrait rebuter le spectateur lambda. Les sept ans passés dans le Massif Central, point du roman à l’aspect plus psychologique, sont réduits à moins de sept minutes histoire de ne pas perdre en tempo et d’éventuellement ennuyer le spectateur. Et pourtant l’histoire contée manque de souffle, le carcan est trop serré, le format trop rigide pour laisser passer un ton original qui aurait certes emmené moins de spectateurs au film mais lui aurait laissé une âme. Ici ce n’est point au public de s’adapter au film mais au film d’être taillé sur mesure pour lui. Car il doit faire recette et s’il est besoin d’une preuve supplémentaire, que ce soit celle-ci: le distributeur a donné l’ordre aux différents cinémas allemands de refuser les places gratuites pour les séances du Parfum, chaque entrée doit être payante!

ENTRE LOLA ET PHILIPPA

Dommage, car si Le Parfum reste une production Eichinger, Tom Tykwer était par contre bien choisi dans le rôle du réalisateur, l’histoire de Grenouille possédant des similitudes avec son œuvre. Ainsi, si cette fois-ci la jeune fille aux cheveux rouges a un rôle certes déterminant mais secondaire, le destin de son héros par contre n’est pas sans rappeler celui de Philippa dans Heaven. Comme elle il va quitter la ville et ses sombres allées pour aller en province, sous le soleil, à la rencontre de sa destinée. La patte Tykwer, avec cette caméra qui rase le sol à toute allure, fait toutefois des apparitions et il signe une fois de plus, avec Johnny Klimex et Reinhold Heil, une bande-son parfaitement adaptée au film. Les envolées lyriques de l’orchestre philharmonique de Berlin portent les images et sont un support supplémentaire pour donner corps aux senteurs rencontrées par Grenouille. Fait nouveau, le réalisateur s’attaque pour la première fois à un film historique, lui qui les trouve pourtant presque tous ennuyeux. Peut-être que lors de son prochain essai il sera plus libre d’exprimer son talent comme il l’a déjà fait. Une chose est par contre certaine, Patrick Süskind n’aurait jamais du changer d’avis.

par Carine Filloux

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