Mysterious Skin

Mysterious Skin
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Mysterious Skin
États-Unis, 2004
De Gregg Araki
Scénario : Gregg Araki
Avec : Brady Corbet, Chase Ellison, Joseph Gordon Levitt, Elisabeth Shue, Michelle Trachtenberg
Durée : 1h39
Sortie : 30/03/2005
Note FilmDeCulte : ******

Brian est persuadé d’avoir été enlevé par des extraterrestres à l’âge de 8 ans, alors que quelques heures de sa vie semblent s’être mystérieusement volatilisées. Après son réveil, dans la cave de sa maison, son existence change totalement.

BOY, INTERRUPTED

Promise à toutes les voluptés sur les routes de nulle part,la peau se fait mystérieuse dans le nouveau film de Gregg Araki. Une peau qui brille sur un dos musclé, l’espace de quelques coups de bassin monnayés, ou qui se laisse mourir, cette robe pâle et ternie que le réalisateur essore, comme pour faire sortir de ses pores la graisse en trop, le spleen qui pourrit les cellules, un sentiment malade caché derrière l’écorce. Une maladie au souffle haché, qui ne dit pas vraiment son nom, si ce n’est par énigmes ou images – une sorte d’ovni dans le ventre. Mysterious Skin se fait plus mainstream que The Doom Generation, mais ladite génération perdue, jetée à la poubelle, est toujours au cœur des préoccupations de l’auteur. Ses racines sont empoisonnées dès la petite enfance, l’âge d’un étrange onirisme où l’on croit aux extraterrestres ou aux amours les plus pures, quitte à se pousser un peu pour en embellir les contours. Le trauma, plus qu’un shocker émotionnel, est chez Araki un virus qui diffuse lentement son venin sur Brian et Neil, insidieusement, pendant que les jeunes garçons choisissent la fuite en avant. Le tapinage près des balançoires pour l’un, la traque des soucoupes volantes pour l’autre. Et en pressant sur ces peaux mutilées, Araki cherche surtout à en faire sortir l’indicible, le tabou banalisé ou nié jusqu’aux étoiles, l’essence blessée de quelques gamins perdus.

YOU’VE GOT TO BE SMART IF YOU’RE FOOLING YOURSELF

D’un même point de départ, Araki tisse deux histoires en parallèle, deux chemins accidentés aux dessins différents. Neil, usine sexuelle récoltant liasses de billets et quelques sensations pour habiller le vide qui l’entoure, quitte un nulle part infini (son bled paumé, peuplé de fantômes et de mecs qu’il a tous baisés deux fois) pour un autre (New York, mégalopole anonyme où le gigolo s’endort sans savoir où on l’emmène, se réveille sans savoir où il se trouve). Brian, poussin protégé par sa mère, mouillant son lit des années durant, lance des bouteilles au large, en direction d’âmes aussi égarées que la sienne (une estropiée qui, elle aussi, a "vu des ovnis"). Pas de morale édifiante avec la pédophilie pour toile de fond, mais deux histoires quotidiennes, tristes à crever, où l’on maquille comme on peut les cicatrices et les bleus laissés dans cette satanée peau. Ce sont les horribles opérations chirurgicales de quelques E.T. pour l’un. C’est un trophée pour l’autre. Du nez de Brian coule du sang (comme si tout cela cherchait à sortir malgré tout), tandis qu’il pleut des céréales multicolores sur le visage de Neil - rien qu’un interdit acidulé au contact de sa langue. Le regard de l’un est mort, vidé, violé; l’autre a des saphirs à la place des yeux. Un blondinet déguisé en diable, un ange brun à la beauté inimaginable. Au-delà des antagonismes, Mysterious Skin offre les différents reflets du miroir brisé: un même objet, mais un kaléidoscope de vérités, de douleurs, de mensonges à soi-même.

INNOCENCE

On avait laissé Gregg Araki à ses excentricités bariolées, à ses trips excités en rupture avec le ton grave et lyrique de son nouveau film. Le réalisateur explore d’autres terres, observe finement l’innocence enfantine, ses os de cristal et ses premiers tremblements sensuels. Réaliste et poétique, ce regard-là est d’or, nimbant le long métrage d’une grâce mélancolique permanente, malgré le soufre et la puanteur, touchant du doigt les verts paradis de l’enfance en même temps que ses nuages les plus sombres. "Ce qui est arrivé cet été-là fait partie de moi" dit Neil, ses sentiments abîmés comme un bras ou une jambe lui seraient coupés. Cinq heures enlevées à la vie de Brian, comme on lui aurait arraché un bout de viande dans le ventre, le reste n’étant plus qu’une lente agonie ou, simplement, une quête d’amour, un besoin névrotique plus qu’une mièvre fanfreluche. Auprès d’une mère aussi paumée que son fils, de moustachus comme reflets déformés d’un étrange amour idéal, ou quelques témoins lunaires du "Monde du mystère". Des gens qui, finalement, cherchent la même chose. La tête posée l’un sur l’autre, les deux gamins trouvent une parenthèse de repos, oubliant leurs illuminations, les évanouissements, la figure écrasée dans la baignoire, les yeux tristes d’une jeune fille à la perle. Un réconfort qu’ils savent bien éphémère puisque, fatigués et dévastés, ils ne rêvent plus que de disparaître.

par Nicolas Bardot

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