Mulholland Drive

Mulholland Drive
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Mulholland Drive
États-Unis, 2001
De David Lynch
Scénario : David Lynch
Avec : Laura Elena Harring, Dan Hedaya, Ann Miller, Mark Pellegrino, Justin Theroux, Naomi Watts
Durée : 2h26
Sortie : 21/11/2001
Note FilmDeCulte : ******

"OK. Alors vous avez rêvé de cet endroit. Racontez-moi."

Une limousine glisse sur Mulholland Drive. À l'intérieur, des hommes et une femme brune. L'un deux pointe son pistolet sur elle, juste avant d'être percuté par une voiture en sens inverse. Seule survivante, la fille devenue amnésique va chercher refuge par pur hasard (?) chez une jeune femme blonde toute juste débarquée à Los Angeles dans l'espoir de devenir actrice. Elle va tout faire pour l'aider à retrouver la mémoire, découvre comme seul indice de l'argent dans son sac. Deux hommes dans un café discutant d'un rêve, où un monstre revient hanter l'un d'eux. Sauf qu'il se pointe au coin de la rue...Un tueur à gages enchaîne bourdes sur gaffes... Alors quand notre brunette a un flash en regardant le badge d'une serveuse de nom de Diane (ou de Betty), on se dit franchement que c'est pas la peine de continuer ce résumé, vous serez de toute manière obligatoirement largués.

À un moment de ce vertigineux Mulholland Drive, un producteur balance à un réalisateur branchouille: "Ce n'est plus ton film". Devinez à qui il peut bien parler... Excepté dans son précédent, Une Histoire vraie, d'une simplicité désarmante, Lynch (Elephant Man adore poser des bases pour mieux laisser le spectateur errer dans les dédales d'un dénouement épatant d'étrangeté, incompréhensible mais génial. Ne cherchez pas à déchiffrer l'intrigue de cette angoissante oeuvre schizo, vous n'y arriverez pas. Ce film, comme Lost Highway , se résume à un immense puzzle où les pièces se révèlent trop grosses à emboîter, laissant planer un mystère, un doute, le chaos aussi certainement. Mais là ou certains cinéastes s'enorgueillissent de cette duperie en règle avec un certain mépris pour le spectateur (Godard et son mal nommé Eloge de l'amour), le cinéma de Lynch possède ce côté ludique qui laisse planer un suspense persistant sur ce qui est susceptible de se passer, car impossible de prédire où va nous emmener la scène suivante. Mulholland Drive explose les intrigues, mélange les genres, atteint un niveau optimal d'émotion. Car Lynch le sait, le cinéma reste avant tout une expérience, un univers irréel à découvrir. Libre à vous d'interpréter les signes partiels de cet entubage bluffant, mais franchement on vous le déconseille : le casse-tête était (presque) parfait.

Après un générique curieux de jerk dépassé en forme de rêve américain qui ne va pas tarder à devenir cauchemardesque, les intrigues s'enchevêtrent (le burlesque d'un tueur maladroit, un moment anthologique avec un expresso, l'absurde d'une rencontre avec un troublant cow-boy, la noirceur d'une rencontre ambiguë entre deux bombes sexuelles...), se multiplient (sans jamais relâcher l'intérêt) et se complètent pour mieux s'annuler ensuite. Un espace-temps décalé, un milieu californien tordant d'apparences trompeuses et un échange imaginaire entre tous les rôles surgissant sans crier gare: tout n'est question que de sensations, de perception. Personne n'éprouvera Mulholland Drive comme son voisin de projo s'il s'en donne la peine. L'esthétique travaillée du film rajoute à l'hallucination inquiétée, à l'hyperréalisme déchaîné, que ce soit dans des scènes lesbiennes très chaudes ou dans un opéra lacrymal et fantastique. S'appuyant avec brio sur le thème du double, Lynch réussit à brouiller les pistes surtout grâce à un trouble identitaire indescriptible, le spectateur se retrouve dans la même situation que les personnages: condamnés au déluge sensoriel.

Prix de la mise en scène en définitive parfaitement justifié, tant Lynch atteint la quintessence de son art, quelque part entre Twin Peaks et Lost Highway, avec une louchée de Blue Velvet pour ce rapport si particulier à l'érotisme (hormis la plastique des héroïnes, les mouvements félins et les scènes étirées amplifient cette délicieuse impression). Les travellings et les formidables inventions visuelles rappellent souvent l'irrationalité de l'atmosphère captivante mais toutefois étouffante de toute cette folie humaine encerclée de flippants effets sonores. David Lynch persiste et signe, il est l'un des seuls à pouvoir nous faire avaler n'importe quoi, comme sa galerie improbable de gueules aux visages difformes ou aux cheveux bleus, d'une nature paranormale fascinante et artificielle. Et que dire de Naomi Watts et Laura Harring, dont les manières de jouer bifurquent soudain avec un talent évident, qu'il s'agisse de pleurer hystériquement ou de se masturber plein cadre. Incroyable, irracontable, magistral, Mulholland Drive est un plaisir intense de spectateur, dont le suspense se poursuit bien après la séance. Et maintenant, silencio.

par Yannick Vély

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