Mektoub My Love : Canto Uno

Mektoub My Love : Canto Uno
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Mektoub My Love : Canto Uno
France, 2017
De Abdellatif Kechiche
Durée : 2h55
Sortie : 21/03/2018
Note FilmDeCulte : *****-
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Sète, 1994. Amin, apprenti scénariste installé à Paris, retourne un été dans sa ville natale, pour retrouver famille et amis d’enfance. Accompagné de son cousin Tony et de sa meilleure amie Ophélie, Amin passe son temps entre le restaurant de spécialités tunisiennes tenu par ses parents, les bars de quartier, et la plage fréquentée par les filles en vacances. Fasciné par les nombreuses figures féminines qui l’entourent, Amin reste en retrait et contemple ces sirènes de l’été, contrairement à son cousin qui se jette dans l’ivresse des corps. Mais quand vient le temps d’aimer, seul le destin - le mektoub - peut décider.

40 DEGRÉS À L'OMBRE

Au tout début de Mektoub My Love, le nouveau long métrage d'Abdellatif Kechiche, un jeune homme derrière une fenêtre jette un œil à un couple qui fait l'amour avec passion. Cela pourrait presque ressembler à un clin d’œil malicieux aux détracteurs de La Vie d'Adèle qui ont souvent réduit les 180 minutes du long métrage lauréat de la Palme d'or à une scène d'une dizaine de minutes de baise. Kechiche, pour ses films et le reste, peut exaspérer – mais c'est précisément pour cela qu'il est un cinéaste précieux. Par l'honnêteté brutale de son regard, par sa volonté d'épuiser ses spectateurs, par sa façon de traiter d'une histoire comme on presse une orange jusqu'à la dernière goutte. Aussi intense qu'inconfortable. Mektoub My Love en est à nouveau un formidable exemple.

Cette première scène de voyeur donne toutes les clefs de Mektoub : ce récit de séduction très sexuée questionne avant tout le regard masculin. Ce n'est pas gâcher un quelconque suspens que de dire qu'Amin, le héros du film, ne fait guère l'amour durant ces trois heures – mais ça ne l'empêche pas d'avoir envie, de regarder avec excitation, de mater les culs de filles qui débordent de leur short en jean dans un mélange de vulgarité et de body confidence sexy. Ce n'est pas une gentille poupée idéale opposée aux autres garçons toxiques, c'est un être de chair, comme les autres. Un peu différent certes, plus doux, plus réservé – en tout cas à la masculinité très différente. Il est sans cesse question de garçons au cinéma, mais plus rarement de masculinité. Kechiche, après les amoureuses de La Vie d'Adèle, explore cette masculinité et la façon dont elle s'exprime dans un cadre aussi propice que des plages et bars d'été où s'exerce la séduction.

« Si la beauté était un crime, tu prendrais perpèt' », « Moi j'vole que des cœurs » entre autres : les garçons de Mektoub draguent comme des gros bolos, leur petit spectacle de coq est assez affligeant mais ils ne semblent pas s'en rendre compte. On imite la démarche d'Aldo Maccione, on fanfaronne sur son job pour impressionner les filles (« Je gère des affaires »), c'est là un catalogue de la cagole masculine mais le regard sur la masculinité dans Mektoub My Love ne se limite pas aux garçons qu'on trouve sur les plages de Sète. Les baratineurs toxiques ne sont pas la propriété du sud, les vieux mecs qui choisissent de ne pas entendre les non des jeunes filles non plus. Cela paraît léger, solaire, estival, mais il y a un malaise oppressant qui de temps en temps s'invite dans ce jeu de séduction qui tourne parfois au jeu de possession.

Plus tard dans le film, deux jeunes femmes se demandent comment on dit je t'aime en arabe. Chacune a son idée mais elles ne se mettent pas d'accord, le héros lui-même semble à peine capable de bredouiller une réponse et cela ne semble pas être totalement un hasard. Mektoub raconte l'assurance de ces grands garçons qui se comportent comme des enfants, assommés par l'alcool ou fuyant les responsabilités. Une assurance bien fragile tandis que les femmes, si elles ne sont souvent regardées par les protagonistes (et la caméra qui s'en fait le relais) que comme des culs, sont en fait bien plus responsables et libres. La scène de la boite, interminable et dantesque, en est la meilleure preuve : elles peuvent bien s'autoriser de faire tout ce qu'elles veulent de leur corps, danser se retenir, s'embrasser entre elles – autant de choses que les garçons ne s'autoriseront jamais. Cette liberté, elles ont le courage d'aller la chercher et la prendre tandis que le héros bégaye comme Porcinet et que son cousin finit ivre mort.

On a rarement vu ce sujet traité avec autant d'honnêteté que dans Mektoub My Love. Une honnêteté qui va de pair avec l'ADN du cinéma d'Abdellatif Kechiche, qui sait comme personne installer un nerf permanent alors qu'il raconte à peine une histoire. Il y a ici quelque chose d'incroyablement vivant et qui tient à nouveau à une direction d'acteurs absolument prodigieuse – tout le cast est exceptionnel. Comme on est chez Kechiche, la peau rougie par le soleil semble l'être sans maquillage, on danse jusqu'à l'épuisement ; quand chez d'autres cinéastes on rencontre le réel par l'épure, Kechiche le saisit en rallongeant, en commençant avant et en terminant plus tard de longues séquences d'où surgit la vérité. Ici, celle d'un contrat social masculin tragi-comique, observé avec un mélange de mordant et d'attachement, dans des images envahies de soleil jusqu'à l'évanouissement.

par Nicolas Bardot

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