Looney Tunes passent a l’action (Les)

Looney Tunes passent a l’action (Les)
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Looney Tunes passent a l’action (Les)
Looney Tunes: Back in Action
États-Unis, 2003
De Joe Dante
Scénario : Larry Doyle, Glenn Ficarra, John Requa
Avec : Joan Cusack, Timothy Dalton, Jenna Elfman, Brendan Fraser, Heather Locklear, Steve Martin
Durée : 1h30
Sortie : 10/12/2003
Note FilmDeCulte : ****--

Les frères Warner tentent de redonner un coup de neuf à leur staff de Looney Tunes. Coup de balai autant que de théâtre, ils décident de licencier Daffy Duck, afin de se recentrer sur les aventures de Bugs Bunny. Mal leur en prend, puisque les nouveaux films perdent avec la tête de turc palmipède préférée des cartoonistes l'un de leurs plus efficaces ressorts comiques. Mais Daffy, fier et vexé, préfère jouer cavalier seul et vivre ses propres aventures déjantées…

WHAT’S UP, JOE?

Depuis le bide commercial de Small Soldiers, on ne donnait pas cher de la peau de Joe Dante, génial entertainer, passé d’un coup des spotlights aveuglants de Gremlins à l’estime cinéphile initiée et discrète. Revoici donc l’un des plus brillants poulains de l’écurie Roger Corman, après cinq ans d’absence (si l’on met de côté les séries TV Night Visions, dont Dante signa deux épisodes en 2001, et Jeremiah, adaptation de la bande dessinée éponyme du belge Hermann, qu’il produisit l’an passé), aux commandes d’un "produit" Warner qu’il convient d’aborder avec des pincettes. Entre les affreuses bandes-annonces et les affiches braillardes, il est vrai qu’on n’osait trop rien attendre de ce Looney Tunes. Et il est également vrai que le résultat final n’a rien d’irréprochable. Une constatation d’abord, qui saute aux yeux: Looney Tunes n’est pas Roger Rabbit. Ne serait-ce que d’un strict point de vue esthétique et technique, on se frotte encore les yeux de dépit face à tant de faiblesse visuelle. L’intégration des personnages animés dans les prises de vue en images réelles, quelques passages mis à part (la réunion qui ouvre le film, ou le restaurant et ses toons planqués dans les coins), fait le plus souvent peine à voir. Le reste des effets spéciaux (pas moins de 1200 plans truqués) étant à l’avenant, ce n’est décidément pas dans la performance technique que l’on trouve son plaisir. A croire que le directeur de la photo Dean Cundey, pourtant responsable en grande partie de la réussite esthétique du film de Zemeckis, a perdu la recette magique de sa performance de 1988. L’autre mauvaise nouvelle est qu’on ne peut pas compter non plus sur les acteurs de chair et d’os pour relever le niveau. Filmés sans grande inventivité, Brendan Fraser, Jenna Elfman et Timothy Dalton surjouent sans cesse, et mal. Mention spéciale à Steve Martin, dont on annonçait une prestation débridée et qui au final singe comme il peut ce bon vieux Dr.Evil d’Austin Powers. La liste des déconvenues de cet ordre est, hélas, longue et déprimante. Et pourtant, malgré ces handicaps artistiques certains, ce que l’on pressentait comme une baudruche molle ne se dégonfle pas tout à fait.

BRINGING OUT THE DEAD

En dépit de toute la dépersonnalisation induite par l’exercice du "blockubuster/produit-dérivé" hollywoodien, Looney Tunes n’a rien de déplacé dans la filmographie de Joe Dante. On se souviendra, à profit, d’une interview du fils spirituel de Steven Spielberg parue en décembre 1984 dans le numéro 21 de la revue Starfix, dans laquelle Dante, évoquant son sketch It’s a good life dans La Quatrième Dimension, clamait ouvertement son amour pour les Tunes: "Mon sketch de La Quatrième Dimension s’inspirait des dessins animés de Tex Avery. Je suis assez content du résultat, mais je regrette que nous n’ayons pas eu plus de temps pour développer certaines choses en utilisant l’animation image par image. Je regrette qu’on ne fasse plus de dessins animés pour le cinéma. […] J’aurais aimé dessiner des dessins animés. Je fais moi-même mes storyboards. J’ai un projet de dessin animé avec Tex Avery, mais ce genre est devenu cher et risqué". Dans ces conditions, l’on saisit mieux le désamour ostensible de Dante pour ses acteurs et ses prises de vue en images réelles: ce sont les Tunes qui l’intéressent - le générique de fin, présentant sur fond noir les crayonnés des séquences d’animation, ne s’y trompe d’ailleurs pas - et avec eux tout le capital cinéphile qu’ils représentent. De fait, neuf ans plus tard, on ne s’étonnera pas que ce finalement vieux projet revête des allures de madeleine cinématographique. En effet, comme à son habitude, Dante a truffé son métrage de références, clins d’œil et caméos de tous horizons (Roger Corman himself en réalisateur de Batman, en présence de la Batmobile originale; une vieille Gremlin 74 jaune poussin et crachotante, soulignée par le thème du film éponyme; une géniale reconstitution en noir et blanc de la scène de la douche de Psychose; la Zone 52, pastiche hilarant de la mythique Zone 51, où l’on croise Robby le Robot de Planète interdite, déjà apparu dans Gremlins, une cosse mutante de L’Invasion des profanateurs de sépultures, et même le gimmick sonore des fourmis géantes de Them!, et tant d’autres encore…). Si l’on sait saisir ce mitraillage de références - ce qui pose un sérieux problème de réception, sur lequel nous reviendrons - on sort déjà forcément gagnant de Looney Tunes.

APOCALYPSE NOW

Fort heureusement, Dante ne se contente pas de citer: il exploite ses références, de façon à les détourner et à les mettre en action à sa sauce. Comme souvent (Gremlins et surtout sa suite, mais aussi Piranha ou Small Soldiers), il s’agit ici de prendre le contrôle de créatures fantasmatiques et de faire de ces petits monstres destructeurs les moteurs apocalyptiques du film. D’entrée de jeu, c’est à la dévastation littérale des studios Warner que l’on assiste, avec notamment la destruction de leur symbole majeur, le célèbre château d’eau (au sein duquel, on s’en souvient, d’autres trublions animés, en la personne des Animaniacs de tonton Spielby, avaient déjà fait pas mal de dégâts). "Vous trouvez certains décors de Gremlins trop rouges, affreux? Les gremlins eux-mêmes ne sont pas jolis-jolis… Mais c’est que Gremlins, comme tous mes films, est un film d’apocalypse. Avec une seconde partie qui vient toujours défaire la première", confiait également Dante dans la même interview. Il convient ici d’évoquer la scène-clef du film, au Louvre, dans laquelle le réalisateur exploite une idée déjà caressée dans la série Picture Windows, dont Dante signa un épisode, à savoir donner vie à des tableaux célèbres. Ici encore, Dante donne l’avantage à ses créatures virtuelles. En effet, si les êtres humains se heurtent aux écrans, sinon les déchirent, comme Brendan Fraser, les Toons, libres de toute contrainte, peuvent les investir à loisir. Les voici donc, fondant sous les horloges de Dali, émiettant le pointillisme de Munch ou dansant le french-cancan avec les filles de Lautrec. Ce sont ces trouvailles sublimes, cet amour inconsidéré pour un certain cinéma de l’imaginaire et ce respect absolu du matériau original, qui font de Looney Tunes un objet certes maladroit, mais terriblement attachant. Evoquant son maître à penser, Dante en 1984 avait aussi cette phrase: "Chuck Jones réalise des dessins animés de qualité inégale […], mais il reste le meilleur pour ce qui est de l’expression des personnages". L’élève est dans le même sillage. Reste que l’on discerne mal comment le film pourrait trouver son public: trop référencé et rythmé sur un mode boiteux, Looney Tunes ne s’adresse pas directement aux enfants. L’aspect disparate, quant à lui, est tellement éloigné des exigences cinématographiques standard qu’il ne saurait rallier les suffrages adultes à sa cause. Dommage, quand l'on sait qu’un échec commercial (déjà joué aux Etats-Unis, hélas) risque fort de nous priver de Dante pour un bon bout de temps.

par Guillaume Massart

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