Les Fabelman

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Les Fabelman
The Fabelmans
États-Unis, 2022
De Steven Spielberg
Scénario : Tony Kushner, Steven Spielberg
Avec : Paul Dano, Seth Rogen, Michelle Williams
Photo : Janusz Kaminski
Musique : John Williams
Durée : 2h31
Sortie : 22/02/2023
Note FilmDeCulte : ******
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Le jeune Sammy Fabelman, rêve de devenir réalisateur.

SPIELBERG TELEPHONE MAISON

Même parmi les cinéphiles qui n'ont jamais lu un seul ouvrage dédié à Steven Spielberg, nombreux sont-ils à savoir que le célèbre cinéaste vient d'un foyer brisé par le divorce. Une clé analytique qui permet d'éclairer le travail de l'auteur tant ce trauma a infusé ses films depuis le début de sa carrière. Certaines de ses œuvres comme E.T. (1982) et Arrête-moi si tu peux (2002) s'y sont attaquées plus ou moins frontalement mais le metteur en scène a toujours repoussé le projet de traiter directement de son passé, alors même qu'un scénario - intitulé I'll Be Home, écrit par sa sœur Anne Spielberg (Big) - était prêt en 1999. Spielberg rechignait de parler de ce sujet du vivant de ses parents. Leah Adler Spielberg et Arnold Spielberg sont décédés respectivement en 2017 et 2020. Ayant enfin concrétisé l'an dernier son souhait de réaliser une comédie musicale, le cinéaste s'attelle aujourd'hui à cette autre arlésienne. Mais quel allait être l'apport de cette approche littérale quand l'auteur peut se targuer d'un corpus d'une trentaine de films ayant déjà assimilé et exorcisé ces problèmes? Spielberg répond à cette question en liant plus intimement que jamais la naissance de sa passion pour le cinéma et la dissolution de sa famille. Si les spectateurs moins avertis pourront enfin découvrir les germes de quelques-uns des classiques de Spielberg, Les Fabelman s'avère fascinant pour ce qu'il révèle de très personnel non pas dans ce que Spielberg dit de Papa et Maman Spielberg mais ce qu'il dit de sa vision, plus trouble que prévue, du septième art.

"Les lumières changent les apparences" entend-on tôt dans le film à propos des décorations de Noël ornant les maisons de la banlieue pavillonnaire où habitent les Fabelman, qui se distinguent par leur foyer juif plongé dans le noir. Néanmoins, cette phrase anodine peut s'interpréter comme la véritable Pierre de Rosette du film où la lumière devient synecdoque du cinéma. Spielberg ferait presque des sources lumineuses diégétiques du film un personnage à part entière pour mieux raconter comment le cinéma met tout en lumière, notamment la vérité, et permet de prendre contrôle d'un monde qui nous dépasse. C'est ainsi que naît l'obsession du petit Sammy, l'alter ego filmique de Spielberg. Effrayé avant même sa toute première séance, il se retrouve subjugué par l'accident de train de Sous le plus grand chapiteau du monde de Cecil B. DeMille et va chercher à reproduire cette catastrophe avec son petit train électrique. Pour illustrer l'effroi du garçon, Spielberg met l'emphase sur le phare avant éblouissant de la locomotive miniature, analogie de l'ampoule du projecteur, et ce n'est qu'en le filmant, en le mettant en scène, que Sammy peut s'approprier sa peur. Et ce pouvoir. Un instant parfaitement symbolisé par ce plan où l'enfant utilise ses mains comme écran de fortune pour y voir s'animer l'image du projecteur. Le pouvoir du cinéma est entre ses mains.

Ce n'est pas un hasard si les courts métrages amateurs de Sammy que l'on aperçoit dans Les Fabelman relèvent absolument tous d'un cinéma associé à la violence ou à l'effroi (visite sanglante chez le dentiste, momies, fusillade entre cow-boys, carnage en pleine Deuxième Guerre Mondiale). Toutefois, il est tout aussi intéressant de constater que si ses premiers films recopient la fiction (le déraillement du train, les momies, le western), les suivants mettent en scène le réel (La Deuxième Guerre Mondiale ou, comme le dit Sammy à son père, "ta guerre", le camping, le Jour de Relâche). Ainsi, il n'est plus juste question pour le jeune homme d'apprivoiser ce qui le terrorise au cinéma mais ce qui l'effraie dans sa vie. Quand Sammy s'éveille à la sexualité, ce n'est pas tant la sienne que celle de sa mère (la scène de la danse) et s'ensuivra une séquence mi-Blow Up, mi-Super 8 absolument déchirante où plus que jamais la lumière du cinéma vient éclairer la vérité aux yeux de Sammy. Intégralement muette mais incarnée par un morceau de piano jouée par la mère - John Williams s'appuie d'ailleurs régulièrement sur cet instrument associé à la matriarche, comme pour faire valoir la voix du personnage à travers le film - la scène marque un tournant pour l'aspirant réalisateur qui passera le reste du film à lutter avec l'ambivalence permise par le médium, dégoûté par la manipulation de la vérité qu'il permet puis convaincu par le pouvoir qu'il offre sur le réel. Malgré cela, il demeure une réalité qu'il ne pourra jamais changer, celle du mariage de ses parents.

Le divin a souvent influencé les films de l'auteur et ce dernier évoque régulièrement son judaïsme mais il est intéressant de voir que, comme avec E.T., il choisit d'établir une analogie entre son protagoniste et Jésus, définissant l'artiste comme une personne à la fois égoïste mais également messianique et condamnée au martyr et à la solitude. Tour à tour, pour écrire son histoire, Spielberg alterne entre une approche terre-à-terre et une approche iconique. L'origine de sa passion renvoie aux origines du cinéma par le biais de la figure du train, celui de DeMille se substituant à celui des Lumière, ses premiers films s'inscrivant dans les genres phares du cinéma américain (le western et le film de guerre), et l'apprentissage de la vie se fait notamment par le biais de d'acteurs truculents qui n'interviennent que le temps d'une vignette pour inculquer leurs préceptes sur l'art et la mise en scène respectivement. "Quand la légende devient réalité, imprimez la légende" entendait-on dans L'Homme qui tue Liberty Valance que Sammy va voir. Le reste du temps, ce mémoire adopte une structure plus lâche, elliptique, étonnamment dénué de pathos, bien moins dans l'emphase que ne le laisse croire la bande-annonce, et bourré d'humour. Après avoir passé des années à essayer de reprendre le contrôle sur son histoire, comme dans les films mentionnés dans le premier paragraphe de cette critique, Les Fabelman est le film d'un homme apaisé qui peut enfin porter un regard compréhensif sur ses parents mais surtout un film simple sur le rapport complexe qu'il entretient avec le fait de faire des films. Beau et humble jusque dans son dernier plan, peut-être le meilleur de la filmographie de Spielberg.

par Robert Hospyan

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