Lady Chatterley

Lady Chatterley
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Dans le château des Chatterley, Constance coule des jours monotones, enfermée dans son mariage et son sens du devoir. Au printemps, au couer de la forêt de Wragby, elle fait la connaissance de Parkin, le garde-chasse du domaine. Le film est leur histoire. Le récit d'une rencontre, d'un difficile apprivoisement, d'un lent éveil à la sensualité pour elle, d'un long retour à la vie pour lui. Ou comment l'amour ne fait qu'un avec l'expérience de la transformation.

RIGOR MORTIS

C'est une question d'installation: d'abord, être en retrait. Écouter, se taire, être cette femme au foyer, résume une narratrice omnisciente (tantôt à lire et tantôt à écouter), conforme au désir de tout homme de bonne société: attentive, muette, yeux grands ouverts, dissimulant son intelligence avec application. Se taire, subir, devenir transparente. L'installation de Lady Chatterley, témoigne donc de cet état, qui dans un premier temps nous laisse à distance, dépossédé de l'instant, presque indésirable, trop loin pour entendre ce qui se dit. Et que se dit-il, d'ailleurs? Il se dit que la mort est devenue affaire du quotidien; que l'on peut vivre mort, quand on a refusé de mourir.

Il se dit que Lady Chatterley est mariée avec un défunt qui n'a pas voulu mourir. Et que les murs bourgeois qui l'enferment, sont les barreaux d'une prison dorée. Le corps, donc, est mort. Il est sans vie, sans énergie, vidé de sa substance. Il faudrait changer d'air, pour le revivifier. Mais à la voir si effacée, si accoutumée à l'intangibilité, on n'imagine pas Constance (constance!) Chatterley capable d'une telle impulsion salvatrice. Enferrée par son ménage, engoncée dans les convenances, dictée par sa naissance, qui l'oblige à "faire la patronne", sa raideur semble invincible.

À L'OMBRE D'UNE LADY EN FLEUR

Bien sûr, pour que le film démarre, pour que la narration s'enfièvre, puisqu'il s'agit bien d'adapter Lady Chatterley et l'homme des bois (titre du roman originel — et quel titre!), cette impulsion sera pourtant nécessaire. Et bien sûr, Pascale Ferran y viendra, après en avoir différé l'instant au maximum. Mais jamais n'en affirmera la réalité: il faudra en effet que Constance se mette au lit, en plein milieu d'après-midi, toute habillée, pour qu'enfin l'on bascule et que l'effarouchée cède place à l'aventureuse. Rêve? Ou plutôt: fantasme? Éventuellement. Rien, en tout cas, dans la suite du film, n'infirmera ou ne confirmera cette impression. Des indices, cependant: l'amorce de sieste inhabituelle est suivie d'un fondu au noir, dont la fonction était jusqu'alors dévolue à l'introduction des très littéraires cartons explicatifs.

Cette fois, la pause se prolonge et n'est brisée, artifice unique, que par la courbure d'une fleur, détourée sur fond noir. Depuis cette floraison dans un intervalle de montage, la fleur devient motif récurrent, prétexte à l'errance dans les bois, excuse bucolique à la femme adultère n'ayant pas vu l'heure tourner, objet de décoration à entretenir — composition d'espace, donc, au sens strict: qui s'affaire à arranger un bouquet n'est pas soupçonné de tourner le dos —, cache-sexe amoureux, ou même sexe après érection — comparé à un bourgeon, n'attendant que le moment de la repousse pour être à nouveau cueilli… Constance fleurit également, ainsi que le constate une commère au sourire carnassier ("Dès que vous êtes entrée je l'ai senti: vous êtes tellement épanouie!" — on cite de mémoire). Et veut fleurir davantage: avoir un enfant.

SORTIR DU CADRE

Car cette Lady-là veut (qu'on l'aime), exige (qu'on arrête la voiture), discute (de la pertinence du socialisme, avec son patron de mari), jouit (en même temps que son amant) et, on y revient, rêve. D'un après, d'un ailleurs — de leur possibilité. Ainsi chemine le film, émerveillé par cette femme-enfant redécouvrant la vie, faisant l'amour comme pour la première fois (pas toujours bien, d'ailleurs, maladroitement, à tâtons, mais de mieux en mieux), se dénudant par étapes, s'affirmant par pallier. Et capitalise ainsi l'angoisse pendant à son long nez narratif: puisqu'une batterie de théoriciens du récit argua que les gens heureux n'ont pas d'histoire et qu'une armada d'artistes et, dans leur sillage, de spectateurs, boit quotidiennement à cette source, l'attente que le contentement ("Je suis contente": on en est ravis) cède place au désenchantement, que le rêve prenne fin en un réveil douloureux, s'instille naturellement. Habileté de Ferran que de laisser croire au classicisme: chaque scène de trouble est ainsi filmée comme étant potentiellement la dernière, chaque pas en avant fait ainsi craindre la propulsion vers l'arrière, chaque pied-de-nez au cocu Clifford (géniale séquence du fauteuil à moteur récalcitrant) se vit ainsi en présage d'un danger probable… La découverte du pot-aux-roses, le poids traditionnel du mariage, l'amour impossible, ou sa non-réciprocité: autant de cadavres dans les placards du drame adultère. Ferran les abandonne à leurs cintres, qui préfère laisser filer l'amour et laisser dire les amoureux: question, cette fois, de clôture.

Les derniers mots du film sont ainsi bien distincts, bien vivants, battent fort. Une belle et simple idée de cadre en assoit l'opposition d'avec ceux, distants et assourdis, de l'ouverture. Clifford discourait de la mort en petit comité masculin — Constance, seule, entendait dans le couloir les échos de ce discours morbide. Parkin, au contraire, taiseux "ours mal léché" (dixit Clifford), ouvre enfin son cœur à Constance à la faveur d'un ultime tête-à-tête, qui aurait pu appeler une alternance de champ/contre-champ, mesurant l'effet de chaque mot de l'un dans chaque expression du visage de l'autre. Pascale Ferran choisit au contraire de dissocier les amants: isolé dans un cadre fixe refusant le contre-champ de Constance, Parkin déroule l'intégralité de son discours en un seul plan. La vulnérabilité de l'homme des bois se fait alors double: discursive (masculinité d'un bloc avouant sa part féminine) et visuelle (quelle réception pour cet aveu?). On laissera le plaisir du contre-champ au spectateur curieux… C'est une question de clôture: enfin, être au plus près.

par Guillaume Massart

En savoir plus

Un nouveau montage du film sera visible le premier juin sur Arte. Pascale Ferran en révèle les différences notables dans les Cahiers du cinéma de ce mois.

"La version télé est nettement plus longue puisqu'elle est constituée de deux épisodes de 1 heure 40 chacun. C'est la même histoire mais dans un alignement de récit assez différent. La version cinéma est plus directement centrée sur le couple de Constance et de Parkin. Dans le téléfilm, les deux autres personnages du quatuor, le mari et Mrs Bolton, sont davantage développés. D'une certaine façon, le téléfilm est plus fidèle au roman: il y a un peu plus d'intrigue, on peut avoir peur à un moment que leur histoire ne soit dévoilée. Par ailleurs, on entre encore plus dans les méandres de la pensée de Constance. J'aime beaucoup ça dans le livre: la description très détaillée des humeurs d'un personnage qui monte très vite au feu, qui est à la limite de la cyclothymie."On surveillera donc cette diffusion avec attention.

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