Jour après jour

Jour après jour
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Jour après jour
France, 2006
De Jean-Daniel Pollet
Scénario : Leïla Geissler, Jean-Daniel Pollet
Avec : Jean-Daniel Pollet
Durée : 1h05
Sortie : 21/02/2007
Note FilmDeCulte : ****--

Il habite le monde comme sa maison: immobile. Un grave accident l'a cloué là, en ce point du monde: une maison au milieu d'un grand jardin. Il ne peut plus parcourir le monde: il le contemple jour après jour depuis sa maison.

PIÈCES ATTACHÉES

On voudrait éviter d’aborder Jour après jour par sa genèse; mais c’est le film lui-même qui, d’emblée, y presse. En deux temps: d’abord en introduisant un Jean-Daniel Pollet gravement diminué, s’animant brusquement, sous l'objectif d'une DV tenue par sa femme, d’une tension fiévreuse à l’heure de photographier. Les gestes sont heurtés et ralentis, restreints et contraints. L’homme, que le geste cinématographique faucha, pourrait n’être alors que pitoyable. L’urgence du geste photographique, d’ailleurs, serait même, en d’autres circonstances, hautement contestable – et pour cause: Pollet fait des natures mortes (horrible expression). Ainsi, l’orange posée sur cette table ne s’envolera pas, pas plus que cette fleur en pot. Si chaque clic-clac a pourtant valeur d’exploit, c’est que Jour après jour est une course contre le temps, tant effrénée que lestée. Et que chacun des photogrammes qui le composent est une image arrachée à la mort. Cette unique séquence mouvante, pudique et digne, s'en fait donc le témoin.

Temps 2: le générique. Micro-entreprise filmique (artisanat, en fait) dont l’organigramme fut dicté par le deuil, Jour après jour redistribue également – à son corps défendant? – les habituelles étiquettes. La fiche technique ne lasse en effet pas de surprendre: "Un film de Jean-Daniel Pollet, réalisé par Jean-Paul Fargier", indique en effet une inédite (sauf erreur) mention. Énumérons: Pollet est crédité au "scénario" (en collaboration avec ses femme et fille, Françoise et Leïla Geissler) et aux "images"; Fargier à la "réalisation" et au "texte"; Sandra Paugam au "montage". Dans les faits, pourtant, la division est plus complexe. Le "scénario" de Pollet désigne en réalité l'organisation en classeurs des "images" qui composent le film, le "texte" que signe Fargier compile également des phrases de Pollet, enfin la "réalisation" consista à définir les modalités d'enchaînement (durée, organisation à l'écran) et d'accompagnement sonore (voix, musiques et bruitages) – ce qu'on aurait naturellement tendance à nommer "montage". Une telle redéfinition des tâches, due à un siège vacant et dont on suppose bien qu'elle ne fut pas simple à mettre en forme, pourrait désarmer; on peut aussi la trouver au moins réjouissante, sinon pertinente. Une certaine logique réside en effet à 1. ramener la prise de vues à sa position de proposition préalable au film 2. distinguer clairement l'écrit de l'image et 3. faire du montage la véritable matrice du film.

Si l'on semble chipoter sur la répartition des tâches, c'est que Jour après jour, film-mécano, laisse ses pièces détachées apparentes. La première partie du film, d'ailleurs, souffre de cet inachèvement, qui peine à entremêler les strates audiovisuelles – toutes, pourtant, esthétiquement inattaquables (génie de la lumière et de la composition des photos de Pollet, superbe partition minimaliste d'Antoine Duhamel, émouvante précision des sons d'Emmanuel Soland) – qui par conséquent s'affrontent. L'exemple le plus évident étant sans doute la voix-off qui, non contente de s'enliser régulièrement dans une malice verbale virant verbeuse, a le mauvais goût d'être envahissante, car mixée trop en avant. Heureusement, sur la longueur, la grâce photographique prend le pas sur ce qui boite et, progressivement, c'est Pollet qui reprend le contrôle. À mesure que le labeur cinématographique (split-screen, jeux de mots, rythmique trop sage) s'efface, le film gagne en émotion et en identification. Dès lors, en somme, que le "je" devient vraiment "Pollet", Jour après jour bouleverse: les oranges, les fleurs, les arbres ne sont plus oranges, fleurs, arbres, mais peut-être les dernières oranges, les dernières fleurs, les derniers arbres – les natures dites mortes comme autant de morceaux de vie… La course à la mort qu'amorçait l'introduction se fait ode au vivant et l'on frémit à écouter le monde, et l'on tremble à entendre un train au loin, et l'on s'émeut qu'une photo contienne le monde, qu'un film contienne une vie, qu'un objet soit avant tout de la lumière; quand on sait qu'à l'arrivée, seul le noir attend.

par Guillaume Massart

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