Histoire de Marie et Julien

Histoire de Marie et Julien
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Julien, horloger bedonnant et quarantenaire, s’improvise maître-chanteur auprès d’une certaine Madame X, trafiquante d’antiquités. Mais c’est avant tout son amour éperdu pour Marie, la femme de sa vie autant que de ses rêves, qui rythme sa vie. Mais Marie semble étrange, sinon étrangère…

ON DIRAIT QU’ON REGARDERAIT UN FILM

On dirait qu’il s’agirait d’un film d’auteur. D’un auteur reconnu, qui plus est. Un Jacques Rivette, mettons. On dirait qu’on s’attellerait à ce forcément bel ouvrage, la casquette de critique bien en évidence, attentif au symbolisme intrinsèque du faux raccord en tant qu’il est un faux raccord. On dirait qu’en plus de ça, il s’agirait de l’un de ces fameux films "maudits" qui encombrent les rêves humides du cinéphile lambda. Un rouage d’un système. Une clef de lecture. Un gros truc, donc. Disons, au hasard, l’un des trois films-fantômes du cinéaste, édités par les Cahiers du Cinéma il y a trente ans de cela. Phénix, L’An II ou Histoire de Marie et Julien. Disons ce dernier. Admettons que l’on assiste à la projection, interdit, sans frémir, sans haine ni passion. Deux heures vingt-cinq d’inadéquation filmique béate. A se demander si Rivette admire Shyamalan pour nous resservir un Sixième Sens sous anesthésie. A s’immerger dans les méandres hypnotiques d’un underplay constant. A se perdre sans ferveur au cœur d’un script dédaléen. A se fasciner pour cinq scènes d’amour physique aussi fiévreuses qu’inénarrables. A s’imprégner d’un travail plastique, sonore et visuel à l’insaisissable texture. Et on dirait qu’au bout du compte on ne saurait qu’en dire.

ON DIRAIT QU’ON DEVRAIT EN FAIRE LA CRITIQUE

Alors évidemment, on culpabiliserait. On se dirait qu’on n’a décidément rien compris au cinéma. Que forcément les Cahiers titreraient dessus, et qu’on serait bien incapable d’en faire autant. Qu’il serait temps qu’on soit à même de capter la si précieuse singularité d’un auteur, de son univers, de ses expérimentations visuelles et narratives. Que cette sécheresse critique ne devrait pas avoir lieu d’être. On tenterait des approches diverses. On s’essaierait, vainement, en archiviste du septième art à l’historiographie rigoureuse. On filerait la métaphore de l’horlogerie, avant de se rendre compte de ses limites. On explorerait les terres de l’écriture automatique appliquée au cinéma, sans vraiment être persuadé de leur pertinence. Puis on finirait, fatalement, par se demander comment on aurait perçu ce film s’il avait été tiré du néant. Sans la signature prestigieuse, sans le corps-fantasme de Béart, sans la mythologie d’auteur. Et on avouerait notre incapacité à répondre à une telle question. Parce que, justement, il répond à cette incontournable mythologie, parce qu’il ne saurait en être indépendant, parce qu’il n’a pas de vie détachée de son passionnant historique, Histoire de Marie et Julien ne saurait être évalué pour lui-même. Alors pour une fois, et une fois seulement, on déciderait de se taire, d’en rester là, et d’observer. Interdit, sans frémir, sans haine ni passion.

par Guillaume Massart

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