Gloria Mundi

Gloria Mundi
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Gloria Mundi
France, 2005
Avec : Armand Abplanalp, Philippe Adrien, Roland Bertin, Jean-Louis Broust, Thierry Godard, Olga Karlatos
Durée : 1h32
Sortie : 02/11/2005
Note FilmDeCulte : ***---

Une comédienne joue, dans un film qui reste inachevé, le rôle d’une terroriste arabe que des parachutistes torturent. Pour mieux incarner son personnage, elle se torture elle-même. Étroitement mêlées, la fiction et la réalité font de sa vie un calvaire: elle est séparée de son fils et de son amant Hamdias, le réalisateur du film; un producteur l’humilie, des intellectuels de gauche se moquent de sa foi révolutionnaire… Derrière la caméra, Hamdias assiste à sa souffrance.

SIC TRANSIT PELLICULA MUNDI

Que faire, que dire, trente ans après, de Gloria Mundi? Réponse, en forme de satire féroce et excessive, à l’omerta entourant les bourreaux de la guerre d’Algérie, le pamphlet fiévreux de Nico Papatakis ressort aujourd’hui en copie réformée. Pas rénovée: reformée. Comme si Papatakis n’assumait pas que, "un certain temps après la réalisation de l’œuvre, le contexte historique s’estompe", selon la juste formule de Jean-Claude Biette (cf. En savoir plus). Le film est aujourd’hui autre, comporte un prologue lourdement didactique, a remasterisé ses explosions et s’est même peuplé de figurants de synthèse. Désormais s’y meuvent étrangement ces nonchalants fantômes numériques, poussant de semblables silhouettes floues dans une Seine aux tumultes factices, dressant leurs carrures brouillardeuses entre l’héroïne et le monde… Gloria Mundi 2005 (regardez les fiches techniques officielles, 1975 n’y est plus) ne serait donc pas une ressortie. Si l’on désirait (re)découvrir le brûlot qui fit scandale au beau milieu des seventies et fut vidé des salles manu militari, il faudra repasser.

HOMINEM TE ESSE MEMENTO

On y revient: qu’est-ce, alors, à dire? Que Papatakis veut-il qu’on voie, maintenant, dans l’histoire de cette femme s’écrasant des mégots sur les seins, s’électrocutant les tétons et le pubis, en vue d’éructer le cri le plus juste possible à son metteur en scène de petit ami? Une Star Academy de la gégène? Une dénonciation des tortures irakiennes? A dire vrai, la réponse nous importe peu. Quelles que soient les intentions, on se gardera de les exposer. Car ce qui importe, c’est seulement le cri, le hurlement - et la justesse du cri. La justesse de la douleur, elle, n’est jamais à prouver. Que l’on demande à ce cri d’être bon, d’hurler vrai, voilà la singulière horreur du cinéma. Son motif hypnogène, itou. Ainsi passent la gloire du monde et la nécessité du cri. En 1975, en 2005, n’importe quand, Gloria Mundi ne se lamente pas, il vocifère; ne provoque pas, il agit; ne menace pas, il passe à exécution. Cette dernière peut bien être maladroite, datée, prétentieuse, expansive, grotesque, gênante… On en prend acte. Mais il en restera toujours, malgré tout, quelque chose: un cri, un déchirement, un fracas salutaires.

par Guillaume Massart

En savoir plus

Cité dans cette critique, un extrait d’un article du regretté cinéaste Jean-Claude Biette, datant de 1999 et demeuré non achevé, paraît illustrer l’idée des présentes lignes. Aussi mérite-t-il d’être, au moins partiellement, ici reproduit.

"Une œuvre, c’est un objet qui est plus qu’un objet: il est ce qui engage un individu qui l’a fait au-delà de l’accomplissement même de l’objet. L’éthique d’une œuvre est ce qui lie cette œuvre à son histoire. Son histoire d’œuvre et sa place dans une Histoire plus générale. Une œuvre est accomplie en un certain temps, en un certain pays, fait appel à ou est énoncée dans une certaine langue, un certain contexte historique. Un certain temps après la réalisation de l’œuvre, le contexte historique s’estompe, devient différent. Il est peut-être moins connu, moins présent, moins contemporain pour l’œuvre, il se détache d’elle, ou plutôt l’œuvre se détache de lui et se met à exister dans une nouvelle époque, dans laquelle elle trouve une nouvelle existence dans un nouveau contexte historique, social, culturel, dont les habitants n’ont pas forcément la conscience. Le temps qui passe induit, provoque, des perceptions nouvelles pour une œuvre. […] L’éthique, c’est d’abord tenir bon, et ne pas céder sur sa propre pensée en acte."

Ce texte a été publié dans son intégralité, sous le titre Le cinéma et l’éthique, dans le numéro 50 de la revue Trafic.

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