En attendant le bonheur

En attendant le bonheur
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En attendant le bonheur
Heremakono
Mauritanie, 2002
De Abderrahmane Sissako
Scénario : Abderrahmane Sissako
Avec : Nana Diakité, Mohamed Mahmoud Ould Mohamed, Maata Ould Mohamed Abeid
Durée : 1h35
Sortie : 15/01/2003
Note FilmDeCulte : *****-

Nouadhibou, ville de transit en bordure de Mauritanie. Plusieurs voyageurs attendent le jour du départ vers l’Europe où, comme ils l’espèrent, ils trouveront des jours meilleurs.

Un corps repoussé vers la plage, une ampoule à la dérive, deux images autour desquelles gravite tout le film d’Abderrahmane Sissako (lire l'entretien). Deux icônes symptomatiques d’un univers de transit dans lequel les êtres arrivent, s’entassent, vivent, en attendant de repartir. En attendant de trouver le bonheur vanté par les émissions de télévision occidentale, celui dont ils rêvent pour eux même et leurs proches, et pour lequel ils sont prêts à sacrifier leur culture. Nouadhibou, on y vient afin de gagner de quoi se payer le voyage vers cet au-delà européen, mais on y vient aussi pour prendre quelque chose et laisser bien plus. C’est tout le drame de l’Afrique qui est décrit par le cinéaste. Celui d’un continent dont la culture s’évapore, dont le peuple s’étiole, où l’idée de départ est omniprésente. Tout le film est contenu dans ce désir de fuite qui s’oppose violemment au désert qui borde cette ville. D’un côté, la mer, l’Espagne, l’Europe, la richesse. De l’autre, les portes du désert. En attendant le bonheur a le mérite de présenter sincèrement et directement la seule alternative qui se présente aux habitants de Nouadhibou, ville dans laquelle on finit par rester, à défaut d’autre chose.

Toute cette idée de fuite du continent africain est magnifiquement symbolisé par le personnage d’Abdallah, jeune homme en attente, habitant chez sa mère qui s’apprête à le voir partir vers l’Occident. Déraciné, ne parlant pas la langue locale, Abdallah est seul, observateur, face à la mer sur laquelle voguent régulièrement les cargos en partance pour l’Europe et sur lesquels il embarquera un jour. Depuis l’écran que représente la fenêtre de sa chambre, il observe le monde qui l’entoure. La barrière de la langue est l’un des thèmes fondamentaux du film. Spectateur, Abdallah ne peut converser qu’avec sa mère, lui qui ne parle pas la langue des villageois. Incapable de s’intégrer pleinement à la société, il ne peut qu’attendre l’hypothétique bonheur qui lui est promis, un jour. En espérant que la mer ne le rejettera pas, lui, et que la civilisation vers laquelle il se déplace l’acceptera. Il y a dans ce film une manière émouvante de présenter ainsi des personnages qui ont la particularité d’être constamment en mouvement, tout en restant au même endroit. Tous ne rêvent que de partir, mais seuls les plus persévérants auront cette chance aléatoire.

Ce mouvement vers la mer est contrebalancé insidieusement par un autre déplacement, salvateur. Si la culture reste en perdition, comme le montre le programme unique de télévision qui ne diffuse que des émissions européennes, il reste malgré tout le savoir, celui qui se transmet de bouche à oreille, de maître à élève. La jeune fille qui apprend le chant, le jeune Maata qui apprend le métier d’électricien, Abdallah qui apprend de Maata la langue locale, la mère qui prodigue à son fils des conseils, les poèmes et chants traditionnels que l’on hérite d’on ne sais où, etc. C’est dans cette passation de savoir que les personnages trouvent toute leur grâce. Il y a dans les regards une réelle fascination pour celui qui sait, et qui transmets ce qu’il sait. C’est probablement tout ce qu’il leur reste, mais en définitive, c’est ici que commence toute civilisation. C’est dans la communication que réside la possibilité de transcender ce désir de partir, et c’est dans l’apprentissage de la langue qu’Abdallah aurait pu trouver une raison de rester. Et peut être d’attendre, ici, le bonheur.

par Anthony Sitruk

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