Des plumes dans la tête

Des plumes dans la tête
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Des plumes dans la tête
France, 2004
De Thomas de Thier
Scénario : Thomas de Thier
Avec : Colette Emmanuelle, Nicolas Gob, Bouli Lanners, Sophie Museur, Francis Renaud, Ulysse de Swaef
Durée : 1h57
Sortie : 25/02/2004
Note FilmDeCulte : ***---

Blanche et Jean-Pierre Charlier mènent avec leur jeune fils Arthur une vie paisible à Genappes, en Belgique wallonne. Jusqu’à ce qu’Arthur s’aventure seul dans les marais alentours et s’y noie. Le choc est rude, surtout pour Blanche, qui refuse de voir la vérité en face et continue de se comporter comme si son fils vivait encore.

LA COMMARE SECCA

Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes 2003, le premier long métrage de Thomas de Thier était passé relativement inaperçu. Rivalisant avec quelques pointures du rayon auteur, telles que le No Pasaran de Henri-François Imbert ou le Pas de repos pour les braves de Guiraudie, et quelques outsiders de haute tenue, comme le Sansa de Siegfried, Le Monde vivant d’Eugène Green ou encore le braque Gozu de Miike, Des plumes dans la tête n’avait pas su imposer sa spécificité. Il y a pourtant à prendre dans le film de l’ex-documentariste belge. Ne pas se fier, d’abord, au pitch, a priori lourd de sanglots contenus, annonciateur de sensiblerie "psychologisante" et de travail de deuil hautement caricatural. On avance, au contraire, à tâtons dans Des plumes dans la tête, par des chemins détournés, volontiers elliptiques, loin de toute frontalité, jusqu’à flirter dangereusement avec l’opacité. Derrière ces précautions formelles, on sent l'appétence de Thomas de Thier: raconter ce deuil au-delà de sa trame, n’en exposer que la douleur étouffée, la face sensible. Ambitieux, le pari est parfois réussi. La première partie, plus qu’un prologue, narrant la marche silencieuse vers le drame, se fait à petits pas, dans une Wallonie terrienne, crue, esthétisée à l’extrême par l’impressionnante photo de Virginie Saint-Martin. Des contre-jours épais des intérieurs, propices à ce que le malaise se terre, aux étendues à ciel ouvert menaçantes, la force visuelle Des plumes dans la tête se déploie dans toute son ampleur. Quelque chose attend son heure, sur laquelle on hésite encore à mettre un nom. Quelque chose de poisseux, qui, dans une Belgique encore traumatisée par le souvenir de l’affaire Dutroux, pourrait prendre quelque forme cauchemardesque. Cette chose pressentie, on l’attend longtemps, jusqu’à l’oublier presque. Et lorsque le malheur survient, de Thier a l’habilité de l’éclipser et d’opter pour la mesure.

ORIGAMI SUR LE STYX

De cette première partie harassante, l’on sort lessivé. Déjà. Trop tôt, sans doute, car la suite ne nous ménagera pas pour autant. Il n’est pas simple d’accepter de se livrer corps et âme à l’expérience de l’horreur patiente à laquelle nous convie Des plumes dans la tête. La tentation de sauter du train en marche se fait dès lors plus que tentante. D’autant que de Thier commet l’erreur de charger sa deuxième partie de sous-intrigues pas forcément nécessaires (notamment la liaison adultère de Blanche avec un adolescent apprenti ornithologue, dont la marginalité champêtre évoque celle du Noël de La Fin du règne animal, aux mêmes accents de naturalisme de court métrage), et qui viennent encombrer les deux trop longues heures du film. Dommage, car la rencontre d’une Blanche à la dérive avec le fantôme de son fils donne lieu à plusieurs fulgurances formelles du meilleur effet. Ainsi, le corps du petit Arthur, cadavre d’enfant habillé de blanc comme au dernier jour, se trouve-t-il marqué par la mort: son teint pâlit et ses ongles continuent de pousser, perpétuant le malaise moral à l’image. Un passage du Styx à la rame sur un esquif d’origami, d’une éblouissante beauté plastique, marque également et pour longtemps la rétine. Manque cependant une réelle cohérence – qu’on peut tenter d’aller chercher, en vain, dans le défilement des saisons d’une nature omniprésente à l’image, ou dans les interventions régulières du chœur wallon des Premi djou d’fosse, fausse bonne idée bien moins pertinente que dans Les Sentiments par exemple – pour faire de ce film difficile une expérience de cinéma dépassant le strict tour de force formel. Peut-être pour un second film?

par Guillaume Massart

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