Company

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The Company
États-Unis, 2003
De Robert Altman
Scénario : Barbara Turner
Avec : Neve Campbell, James Franco, Malcolm McDowell
Photo : Andrew Dunn
Musique : Van Dyke Parks
Durée : 1h50
Sortie : 11/02/2004
Note FilmDeCulte : ******
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Une année de travail au milieu des danseurs du Joffrey Ballet, sur scène, en répétitions, en coulisses…

NEVE EN A REVE, ROBERT L’A FAIT

Ancienne danseuse du National Ballet Of Canada (l’équivalent de l’Opéra de Paris) pendant près de dix ans, Neve Campbell a raccroché ses chaussons en 1992 pour faire carrière sur les écrans. La demoiselle n’en a pas pour autant délaissé son amour d’enfance fréquentant régulièrement des écoles de danse lors de ses temps libres. Voyant son succès auprès du public s’accroître (la série télé La Vie à cinq puis le triomphe des trois Scream), elle a peu à peu développé l’idée de s’impliquer dans un projet qui mêlerait danse et cinéma de manière intelligente et constructive. En 2000, avec l’aide de Barbara Turner (scénariste entre autres de Pollock), elle a entrepris l’écriture d’un scénario mettant en scène le Joffrey Ballet (compagnie de Ballet de Chicago). Sans savoir exactement la forme que prendrait leur film, les deux femmes se sont intégrées au sein de la compagnie; l’une en tant que danseuse pour essayer de retrouver son niveau d’antan et d’assimiler la gestuelle propre à ce corps de ballet et l’autre en tant qu’observatrice. Après plus de deux ans d’un travail assidu et une trame bien définie, il fallait trouver un réalisateur pour porter à l’écran ce projet inhabituel. Au cours du processus, Neve Campbell songeait à Robert Altman, le seul réalisateur, selon elle, capable de rendre un groupe, une communauté, vivante à l’écran.

Si au premier abord le choix de Robert Altman semblait incongru – en raison de sa non expérience dans le genre – le résultat final montre qu’il était judicieux et parfaitement adéquat. En effet, bien que le rôle de Loretta ‘Ry’ Ryan (interprété par Neve Campbell) soit mis en exergue à plusieurs reprises, le sujet même du film n’était pas autour d’une seule danseuse, mais d’un corps de ballet, d’une compagnie, d’un univers dans sa globalité. Comme il a pu le faire dans nombre de ses réalisations précédentes, et notamment Gosford Park, Robert Altman installe sa caméra devant ce groupe qu’il observe, guette, dissèque. Son regard qui pourrait sembler passif est en fait intimement impliqué dans l’organisation du récit, proposant de s’immiscer au cœur de la danse, de contempler ses rouages, de zoomer sur les détails que le simple spectateur ne perçoit pas. A l’aide de la technologie numérique plus légère, il capte toute l’essence naturelle de la beauté des corps en mouvement, leurs connexions entre eux, leurs rapports à l’espace qui les entoure. Il propose ainsi des séquences de danse profondes et intenses comme le solo en blanc de Noel (Emily Patterson, danseuse au Joffrey Ballet). Company en ressort comme étant un film profondément altmanien dans sa façon de passer à la loupe les entrailles d’un microcosme tout en développant un traitement plus radical que dans ses films précédents.

SUR SCENE COMME A L’ECRAN

Ce qui semble peu commun dans ce nouveau film de Robert Altman est son côté quasi documentaire. A l’exception du trio Neve Campbell, Malcolm McDowell et James Franco, les personnages principaux sont les réels danseurs du Joffrey Ballet interprétants leurs propres rôles. Les chorégraphies sont filmées comme des captations de spectacle, la caméra se promène dans les vestiaires, les salles de répétitions. La narration est tellement neutre qu’elle se fond derrière la représentation visuelle. La limite entre le reportage et la fiction apparaît aussi mince qu’un papier calque laissant passer la lumière d’un monde à l’autre. Car les traces fictionnelles sont belles et bien présentes. On est loin du documentaire habituel qui interviewe les interprètes, tronque les représentations, montre les coulisses sans pour autant oser rentrer dans l’intimité du danseur. L’art de Robert Altman et du scénario de Neve Campbell se situe là. Ils donnent à voir ce monde avec une telle justesse qu’ils arrivent à brouiller les pistes. Ils font croire que tout est pris sur le vif alors que ce que l’ont reçoit est factice. Le ballet Blue Snake, autour duquel s’articule la trame de l’histoire, n’a pas été créé pour les interprètes contrairement à ce qui est suggéré, mais fait partie du répertoire néo-classique américain. Les danseurs sont certes tous membres du Joffrey Ballet mais ont été sélectionnés spécialement pour le film (certains furent aperçus dans Save the last dance).

A ceci il faut bien sûr ajouter de trio d’acteurs professionnels pour interpréter les trois personnages fictifs mis en avant par le scénario. Malcolm McDowell est Alberto Antonelli, dit "A", directeur de la compagnie. Pour incarner cet homme à la tête d’une institution aussi importante que le ballet de Chicago, l’acteur s’est inspiré du véritable directeur et fondateur de la compagnie, Gerald Arpino. Il a repris ses grands traits de caractères et le traitement de ses relations avec les danseurs, les chorégraphes, les maîtres de ballets, tout en s’appliquant à les romancer. Neve Campbell et James Franco ont eu un plus large champ de possibilités pour interpréter Ry et Josh. Neve s’est laissée imprégner par ses deux ans de stage intensif au sein du ballet, remettant à jour sa technique, assimilant avec brio les caractéristiques de la gestuelle des danseurs du Joffrey. Après dix ans d’arrêt elle relève impeccablement le difficile défi de remonter sur pointe, la maîtrise de son corps est parfaite et lui permet de signer un pas de deux extrait de My funny Valentine d’une grande qualité. A côté d’elle, James Franco incarne le seul protagoniste extérieur à cet univers. S’il n’apparaît que peu à l’écran il est primordial dans la construction psychologique du personnage de Ry en étant à la fois un échappatoire et un élément de soutien.

DANSE TA VIE

La particularité de Company, ce qui en fait un film à part, étrange, inclassable et qui laisse le public dans une certaine expectative, n’est pas tant son traitement que son contenu. Un film sur la danse, sur un corps de ballet, il y en a des centaines. Des films d’une qualité souvent médiocre qui ont contribué - avec le désintérêt flagrant du public pour la danse - à la chute libre de ce genre. Si le nouveau Altman pourrait à priori être classé parmi ces œuvres dévastatrices, il apparaît en fin de compte d’une toute autre classe. Exit les caricatures poussées des danseuses maigrichonnes, navigant entre anorexie et boulimie, pimbêches avides de succès, prêtes aux pires vacheries dans le but de réussir. Exit les grandes folles aux poignets cassés qui ne font de la danse que pour admirer les beaux postérieurs moulés de leurs partenaires de scène. Exit les jalousies inutiles, les fortes têtes qu’il faut dompter, les exclusions abusives et autres traits négatifs habituellement liés au cadre strict d’un corps de ballet. Grâce au travail poussé de Neve Campbell et Barbara Turner, Company est dans le vrai. Les danseuses vont manger ensemble pour fêter leur anniversaire sans pour autant aller déverser le contenu de leur estomac dans les toilettes les plus proches, les blessures sont supportées avec dignité comme étant inévitables, les remplacements ne sont pas pris comme une exclusion, mais comme une envie de produire le meilleur sur scène.

Si les rapports sont parfois conflictuels entre les protagonistes, ils ne le sont jamais dans la danse, car le plaisir de la scène et de la performance sont là avant tout. Un univers qui pourrait sembler étrange, inabordable, impénétrable, alors que les personnages ont pour seule spécificité d’avoir une passion qui surpasse tout, qui se place avant le reste. Une vie de sacrifice, d’apprentissage de la douleur, de la concession pour pouvoir capter l’instant magique de la scène. Un monde au profit d’une simple étincelle. Peu importe si l’on rentre fatigué le soir les pieds en sang, si l’on est obligé de travailler tard dans un bar glauque enfumé, si l’on tourne à cinq cigarettes par jour alors que l’on devrait prendre soin de son corps, si l’on n’a pas le temps de passer un instant privilégié avec la personne que l’on aime, si l’on doit partager un petit appartement entre cinq colocataires… Si au bout du compte tous ces sacrifices permettent de danser, ils deviennent moins douloureux qu’ils en ont l’air. Ils sont le lot commun de cet univers, font partie de l’acceptable, de l’habituel. C’est ce que Company donne à voir dans toute sa simplicité. Sans sacraliser la danse ni ses interprètes, sans les caricaturer ni les dénaturer, il propose d’ouvrir les yeux du spectateur, de toucher du doigt cet art qui semble si obscur et impalpable.

par Julie Anterrieu

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