Calvaire

Calvaire
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Calvaire
France, 2005
De Fabrice du Welz
Scénario : Romain Protat, Fabrice du Welz
Avec : Jackie Berroyer, Jean-Luc Couchard, Brigitte Lahaie, Laurent Lucas, Philippe Nahon, Jo Prestia
Durée : 1h30
Sortie : 16/03/2005
Note FilmDeCulte : *****-

Chanteur itinérant, Marc Steven atterrit dans l’auberge de M. Bartel, un ermite ancien comique rempli de solitude depuis le départ de sa femme. Sa camionnette étant en panne, Marc s’installe pour quelques jours chez le vieil homme, et constate bien vite que ce dernier a une attitude bizarre.

LE DERNIER VILLAGE SUR LA GAUCHE

Calvaire, en dépit de ses innombrables et évidentes qualités, aurait pu souffrir d’un mal bien français: être pris en étau entre la recherche de l’originalité à tout prix (au point d’aboutir à l’absolu n’importe quoi d'un Bloody Mallory) et une volonté évidente et nécessaire de retoucher le genre depuis ses propres fondations (les sympathiques mais peu originaux Haute Tension et Nid de guêpes) - deux raisons pour lesquelles le cinéma de genre en France piétine. En un sens, Calvaire est en même temps la confirmation et l’exception de la seconde règle. Confirmation car le film n’apporte strictement rien qui n’ait été vu auparavant dans les classiques du cinéma d’horreur américain. Exception car en reprenant la trame originale de ces classiques, en les réadaptant à la sauce franco-belge, en poussant leurs archétypes à leur paroxysme, le film parvient largement à trouver ses marques. Pourtant, tout ne commence pas sous les meilleurs auspices. Des personnages caricaturaux (l’infirmière – jouée par Brigitte Lahaie), une mise en scène approximative (surabondance de plans filmés à l’épaule), un déroulement prévisible. Pendant un quart d’heure, Fabrice du Welz (lire l'entretien) accumule les poncifs, joue la facilité - comme persuadé de la réussite de ce qui suit, et de l’effet tétanisant que le film aura sur le spectateur. Ce n’est qu’une fois que Laurent Lucas pose ses affaires dans l’auberge de Jackie Berroyer que Calvaire parvient enfin à démarrer. Quelques plans inquiétants, quelques lignes de dialogue ambiguës, suffisent à provoquer soudainement le malaise, à nous persuader que nous sommes en face d’un authentique produit déviant, au potentiel horrifique évident. Son réalisateur se décrit ainsi : "Je suis très friand de cinéma déviant, d’horreur, populaire, épique, burlesque, avec une préférence pour les productions américaines et asiatiques. Je suis un fanatique de Wong-Kar Wai, comme de Larry Clark, Peckinpah, Buñuel, Ford, André Delvaux, et tant d’autres. Pour Calvaire, il y a une œuvre très forte qui m’a accompagné sur ce film: Massacre à la tronçonneuse". Un titre qui guide le cinéaste tout au long de son tournage, au point qu’il lui rend hommage lors d’une traumatisante scène de repas.

LE DERNIER CHAPERON ROUGE

Pourtant, si l’empreinte de Tobe Hooper est prégnante sur une bonne partie du métrage, Fabrice du Welz sait s’en dégager et chercher ses influences ailleurs. Véritable traumatisme aux allures de conte, Calvaire trouve son originalité dans une esthétique proche d’un Mario Bava (et donc finalement très peu américaine), filmant une forêt comme un continuum fantastique et troublant dans lequel des enfants habillés de rouge apparaissent sans raison, les climats s’enchaînent à grande vitesse, les marécages suintent la mort... Sombres, fantasmagoriques, primaires, les images filmées par le chef opérateur Benoît Debie sont de toute beauté et retranscrivent pleinement la personnalité de la région. Véritable chaperon rouge tombé entre les mains d’un loup humain, Marc Steven (incroyable Laurent Lucas) arpente les sentiers couvert de sang, évoluant au milieu d’une végétation fantastique et horrifique, se perdant au milieu des vapeurs du froid matinal. A ce titre, le film cherche d’ailleurs aussi bien à travailler l’image que le son, afin de devenir une véritable expérience sensorielle qui trouve son apogée dans un final apocalyptique, absolument terrifiant et choquant, qui laisse pantois, les jambes flageolantes. Rarement l’élément sonore aura à ce point servi l’élément visuel, et inversement, le cinéaste mêlant dans un déluge d’horreur cris d’animaux et hurlements humains, ramenant ses personnages à l’état de bêtes immondes. C’est d’ailleurs probablement dans ces scènes que l’on retrouve le plus l’influence de Hooper et de son Massacre à la tronçonneuse, que Fabrice du Welz a l’audace – et l’intelligence - de citer au plan près. Suggérant sans cesse plus qu’il ne montre, le réalisateur parvient à distiller une angoisse sourde, à générer un choc que Gaspard Noé, pour prendre un exemple récent, avait su créer avec son Irréversible. Sombrant parfois dans le catalogue d’horreurs et de tortures, le film parvient justement à s’en sortir la tête haute par son art de la suggestion, jouant plus sur l'esquisse et le son que sur le gore.

JACKIE, PETITE FEE DE NOS CAMPAGNES

Si la première partie du film, celle située dans un hospice, apparaît comme la plus faible, elle permet néanmoins de situer le personnage principal, et par là même de donner sa tonalité au reste du métrage. Subissant dans cet incipit les avances d’une vieille dame, puis de l’infirmière en chef, Marc est présenté par le cinéaste comme "un réceptacle de la folie, ou du désir, de tous les autres. Une sorte de Tintin quasi asexué, qui semble recueillir et être le point de mire des fantasmes de tous". Le calvaire du personnage sera donc sexuel, et son odyssée un voyage à travers l’image fantasmée que les autres personnages ont de lui. Volontairement efféminé dans ses gestes et ses paroles, Laurent Lucas parvient par un jeu de regards à retranscrire le trouble qu’entraîne cette vision de lui-même que l’aubergiste lui renvoie. Subissant les pires outrages, il traverse un chemin de croix (glauque scène de crucifixion) au milieu d’un village où ne subsiste manifestement aucun élément féminin. C’est sans doute là d’ailleurs la limite du film, dans cette façon de présenter une galerie de portraits tous, sans exception, plus cinglés les uns que les autres. Immédiatement compréhensible, et donc prévisible dans son déroulement, Calvaire n’atteint absolument jamais le réalisme des films de ses aînés, car trop ancré dans le surnaturel, trop coupé de la réalité. Alors les personnages sont superbement campés par ces ogres cruels que sont Jackie Berroyer et Philippe Nahon, et le film parvient largement à produire son effet. Mais il lui manque ce petit discours - autre que strictement sexuel – que pouvait avoir justement un Massacre à la tronçonneuse. Dépourvu de réelle moelle, le film accumule les qualités, sans jamais les transcender par un arrière-plan plus vaste. Se contentant de présenter libidineusement ses personnages, Fabrice du Welz échoue à les faire exister. Un petit bémol qui s’efface bien rapidement une fois les lumières de la salle allumées, lorsque ces images de dément filmées par le réalisateur reviennent à l’esprit.

par Anthony Sitruk

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