Black Book

Black Book
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Black Book
Zwartboek
, 2006
De Paul Verhoeven
Scénario : Gerard Soeteman, Paul Verhoeven
Avec : Derek De Lint, Thom Hoffman, Sebastian Koch, Halina Reijn, Carice Van Houten, Franken Waldemar Kobus
Durée : 2h25
Sortie : 29/11/2006
Note FilmDeCulte : *****-

La Haye, sous l'occupation allemande. Lorsque sa cachette est détruite par une bombe, la belle chanteuse Rachel Stein tente, avec un groupe de Juifs, de gagner la Hollande Méridionale, déjà libérée. Mais une patrouille allemande les intercepte dans le delta du Biesboch. Tous les réfugiés sont abattus; seule Rachel échappe au massacre. Elle rejoint alors la Résistance et, sous le nom d'Ellis de Vries, parvient à infiltrer le Service de Renseignements allemand et à se lier avec l'officier Mûntze. Séduit, celui-ci lui offre un emploi...

A LIVRE OUVERT

Nous avions laissé Paul Verhoeven exsangue suite au semi échec d’un Hollow Man bancal partagé entre la tradition hollywoodienne dans ce qu’elle a de plus banale (blockbuster classique) et le renouvellement de codes liés à une œuvre de commande. Depuis, plus aucune nouvelle, si ce n’est une éventuelle participation à la séquelle de son plus grand succès, Basic Instinct. Bizarrement, en retournant dans son pays natal après cette errance américaine ponctuée d’éclatantes réussites (Robocop, Total Recall, Starship Troopers) et d’amères déceptions (Showgirls), le cinéaste hollandais livre un film qui, finalement, s’inscrit dans la droite continuité de ses métrages américains: la contamination par le mal (Basic Instinct), la perte de l’identité (Robocop), la tentative de se fondre dans un environnement différent (Showgirls), la sexualité en tant qu’outil de pouvoir (Basic Instinct), l’ambivalence de l’être humain (Total Recall)... Intimement imprégné de ces notions chères au cinéaste, Black Book confirme l’éclatante santé d’un Verhoeven fou: une œuvre ébouriffante faisant la jonction entre un cinéma intrinsèquement européen (l’histoire est issue de faits authentiques survenus en Hollande) et une imagerie hollywoodienne (amplitude des mouvements de caméra, souffle épique des images). Tout au plus pourrait-on reprocher cette construction par épisode, qui va d’un point A à un point B, puis d’un point B à un point C, et ainsi de suite, probablement issue du format télévisuel que ce Black Book a failli adopter. Une fois ce léger bémol exprimé, le doute n’est plus permis: Paul est de retour, et son film renverse tout sur son passage.

GEORGE W. BOOK

Mêlant plusieurs faits authentiques pour aboutir à un scénario cohérent, Verhoeven et son coscénariste parviennent à retranscrire l’atmosphère de l’époque et l’ambiance qui régnait au sein de la population. "Ce fameux 'petit livre noir' était tenu par Mr de Boer, un avocat de La Haye qui fut abattu dans la Goudenregenstraat juste après la guerre", explique Verhoeven, "on n'a jamais retrouvé ses assassins". Et ce "fameux petit livre noir" n’est qu’un instantané inédit des atrocités dont un peuple est capable en temps de guerre ou de dictature, une preuve, s’il en était besoin, de la facilité avec laquelle certains citoyens peuvent approuver des lois injustes. L’un dans l’autre, qu’il explore le passé comme dans Black Book, ou le futur comme dans Starship Troopers, Verhoeven le fait toujours de la même façon: en se référant au présent. "On ne négocie pas avec les terroristes", lance un dignitaire nazi, phrase bien entendu formulée par l’actuel Président américain suite aux événements du 11 septembre. Même de retour en Hollande, c’est encore les Etats-Unis et leur politique actuelle que dissèque le cinéaste, à travers cette réplique déjà reprise ironiquement par George A. Romero dans son Land of the Dead. Les résistants assimilés à des terroristes, le gouvernement américain assimilé au gouvernement national socialiste? Verhoeven n'a pas encore digéré son escapade américaine, et ce Black Book est un doigt profondément enfoncé dans la gorge qui lui permet de vomir sa haine. Tout le monde (il serait trop facile de réduire la charge aux seuls Etats-Unis) en prend pour son grade, et la frontière entre le bien et le mal, l'un contaminant l'autre, se brouille inlassablement. Chez Verhoeven, le peuple en guerre et l'Etat qui le gouverne, ne peuvent échapper à une exacerbation des instincts les plus bestiaux, les plus inhumains.

LE HOLLANDAIS VIOLENT

Pessimiste, Verhoeven? Pas forcément... Car au milieu de ce maelstrom d'émotions contradictoires se débattent les deux personnages principaux, eux aussi ambigus car profondément humains en dépit du conditionnement imposé par leur caste. Quoique le cinéma de Verhoeven ne soit pas dénué de sentiments et d'émotions (Robocop parvenait sans peine à émouvoir le spectateur), Black Book surprend par sa propension à recourir à des schémas traditionnels, presque classiques, tranchant radicalement avec l'aspect héroïque de son Soldier of Orange - pourtant sur un thème proche. Ainsi, la scène sublime durant laquelle l'héroïne, le corps plongé dans l'eau du fleuve, le visage éclairé par le crépitement des armes à feu, assiste au meurtre de ses parents, tranche avec le style radical de ses précédents films, et aussi avec celui brutal et violent de certaines autres scènes. Des scènes de ce niveau, Black Book en est rempli. Durant les 2h25 d'un métrage qui passe comme une lettre à la poste, le cinéaste accumule des plans faisant appel à une imagerie toute hollywoodienne, à un classicisme du meilleur goût qui, ajoutés aux scènes très marquées "Verhoeven" (sexe et sang en gros plan, "Black Book est réaliste et provocant. Personne n'avait encore montré comment nous traitions nos prisonniers en 1945", lance t-il), élèvent le film au-dessus même du traditionnel film de guerre. D’une force brute quasi incomparable cette année, le réalisateur du Quatrième homme parvient, six ans après un semi échec artistique (Hollow Man) à surprendre et à se renouveler. Comble de l’ironie, il se pourrait bien que, aujourd’hui revenu dans son pays natal, il se voit récompensé d’un Oscar du meilleur film étranger lors de la prochaine cérémonie. Hollywood a ses raisons que la raison ignore.

par Anthony Sitruk

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