2 Soeurs

2 Soeurs
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2 Soeurs
Janghwa, Hongryeon
Corée du Sud, 2003
De Kim Jee-woon
Scénario : Kim Jee-woon
Avec : Moon Geun-young, Yum Jung-ah, Kim Kab-su, Im Soo-Jung
Durée : 1h59
Sortie : 16/06/2004
Note FilmDeCulte : ******

Après une longue absence, deux sœurs retournent dans leur grande demeure familiale perdue à la campagne. Elles y retrouvent leur belle-mère, une femme au comportement étrange qui effraie la plus jeune des deux filles.

SŒURS DE SANG

L’été aux lumières douces, les baies sauvages autour de la maison, et le lac serein à quelques pas de là dressent le portrait bucolique des jardins de paresse, des fins de journées engourdies. Mais les lumières noircissent, les baies acides n’ont plus leur goût d’avant, et le reflet dans le lac reste désespérément muet. L’heure est à la peine furieuse, aux angoisses fébriles et à la confrontation de nerfs aiguisés comme des lames. Deux sœurs aux rapports fusionnels, hantées par la disparition de leur mère, et qui se sentent persécutées par sa remplaçante. Ici, la terreur privilégiée par le Coréen Kim Jee-woon est autant psychologique que physique, rappelant ainsi quelques glorieux aînés où la véritable horreur naît avant tout d’un état mental perturbé et d’un sentiment malade (le poids de l’explosion familiale chez Nakata, la culpabilité d’une mère infanticide chez Amenabar). Dans 2 sœurs, la douleur folle du deuil et les transformations monstrueuses de l’adolescence valent bien tous les effrois infligés par des fantômes à un foyer en lambeaux. Malgré la douceur de la campagne, malgré les fleurs délicates qui ornent le papier peint, les poupées assises sur les vieux coffres ou les accords de guitare sèche. Dans le mutisme des hôpitaux, dans les pilules ingurgitées de force, les cachets posés discrètement sur la table, il y a quelques démences étouffées, et un réveil des sens à coup d’électrochocs. Paranoïa et danse des fantasmes, même la maison, prise de démence, se met à hurler, à l’image d’une bouilloire dont le cri amplifié résonne comme une sonnerie d’alarme.

RENDEZ-VOUS AVEC LA PEUR

Ainsi Kim Jee-woon mène t-il son radeau sur une mer agitée par des rebondissements en pagaille, explosions hystériques et moments de frayeur distribués à coups de boutoir. Il s’agit essentiellement de ficelles classiques (fantôme sous le meuble, cauchemar bruyant et porte qui craque) mais agitées avec frénésie, emmêlées jusqu’à l’étourdissement. L’ivresse des personnages hantés se confond alors avec le vertige du spectateur, ligoté à la vision d’une horreur en grand huit, l’œil happé par les écrans qui se multiplient pour le plonger directement dans le charbon des mauvais songes. La porte vers la chambre abandonnée, l’armoire qui s’ouvre et se ferme comme un tombeau, l’énigme dans le placard, et ce désir vicieux, inhérent au genre de voir et de se confronter aux ténèbres malgré la peur. S’ensuit un crescendo dans le jeu de découvertes: le nœud du sac et son contenu mystérieux, une traînée de sang en forme de tapis rouge, ou un bout de ruban qui pend dans le linge du meuble-fétiche, en attendant d’être tiré pour révéler sa funeste prise. Protagonistes et spectateur fusionnent, tout comme les points de vue et les personnalités se mêlent. La mère défunte dont l’existence est racontée par quelques vieilles photos, et la nouvelle épouse qui investit (envahit?) les images puis la demeure encore habitée par le passé. Ou deux sœurs qui semblent parfois ne plus faire qu’une dans le blanc des draps tâchés par leur sang. Seul le père anéanti semble loin des rixes féminines et des tensions sexuelles – car en tant qu’homme, il est exclu du cercle des créatures fantastiques.

POUR UN JEU DE DUPES

Premières placées dans la ligne de mire d’un cinéaste plongé sous les jupes des filles, la jeune Im Soo-jung et sa marâtre de pellicule, Yeom Jeong-a, font brûler la bâtisse. La première livre une performance intense dans le rôle de l’aînée protectrice à la sensibilité de plus en plus mise à mal par les événements. La seconde, dans une apparition spectrale en Folcoche du matin calme, habille peu à peu son manteau théâtral d’une trouble ambiguïté. Kim Jee-woon, pour sa part, confesse avoir été influencé par d’autres étincelles fantastico-féminines telles que Picnic at Hanging Rock de Peter Weir ou Créatures célestes de Peter Jackson. Il a, semble t-il, tiré avec succès l’énigme évanescente de l’Australien (où le blond mystère se meut en secret de jais), ainsi que l’hystérie amoureuse et sanglante du Néo-Zélandais. Autre tableau du musée imaginaire, Signs, de M.Night Shyamalan, cité au détour d’un plan, et voisin dans sa petite mécanique de la peur. Une angoisse irrationnelle mariée à une épouvante vertigineuse, organique, plus asiatique (vous avez dit Ring?), donnant au long-métrage son aura quelque peu hybride. On pourra y voir de la roublardise, un goût pour la tape à l’œil, mais Kim Jee-woon, contrairement à son court-métrage bancal de la série 3, Histoires de l’au-delà, trouve ici un sujet fort qu’il traite avec un mordant ad hoc. Celui des murs aux teintes trompeuses d’agenda de collégienne, des fenêtres tremblantes sur le souvenir, de liens invisibles et coupants comme un poignard, et d’une folie qui n’est plus qu’un océan de chagrin.

par Nicolas Bardot

En savoir plus

Triomphe à Gérardmer

2 sœurs a obtenu 3 récompenses en début d’année au Festival du film fantastique de Gérardmer, dont le Grand Prix, remis des mains du réalisateur Paul Verhoeven. Le film succède ainsi à Dark Water, vainqueur l’an dernier.

Rose et Fleur de Lotus

L’histoire racontée dans 2 sœurs est très librement inspirée d’un conte folklorique coréen de tradition orale (un kogan, "cas public" en Français), intitulé Rose et Fleur de Lotus (traduction littérale du titre du film de Kim Jee-woon). Une femme y persécute ses deux belles-filles, prénommées Rose et Lotus, et va jusqu’à pousser Rose au suicide en cachant les restes d’un rat écorché dans son lit, et l’accusant d’avoir fait une fausse couche. Folle de honte, celle-ci se jette dans le lac et s’y noie. Anéantie par la peine, Lotus, qui apprend la mort de sa sœur en rêve, la rejoint en se suicidant de la même façon. Les deux fantômes viennent ensuite hanter le village, jusqu’à ce qu’un guerrier, nommé Chong Tong-u, ne combatte ces forces surnaturelles. Les deux spectres lui confient leur histoire tragique. La belle-mère sera ensuite exécutée, le père se mariera avec une épouse vertueuse et le couple aura deux filles, réincarnations de Rose et Lotus.

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